Critique Ombre Vorace au festival d’Avignon

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Film, Roman, Nouvelle, ont pour point commun le récit, cette histoire qui nous embarque dans un monde où l’on navigue entre la frontière du réel et de la fiction sans jamais réellement percevoir ni repérer à quel moment l’on passe d’une rive à l’autre. Au Théâtre, tout est faux et ce que l’on voit est aussi le résultat de notre coopération. La scène est dénudée mais l’on voit les choses parce qu’on nous dit qu’elles existent. Or, avec Ombre Vorace de Mariano Pensotti, vous vous surprendrez à vous demander si ce que vous venez de voir est vrai.

Entre fiction et réalité :

Jean Vidal est un alpiniste en fin de carrière qui décide de gravir le Mont Annapurna qui se situe au Nepal. Son père y est mort 30 ans plus tôt. Son histoire va être adaptée au cinéma et son rôle va être joué par Roux, un acteur désabusé qui va retrouver l’envie en se battant pour ce premier rôle. Lorsque l’on visionne cette pièce, on a la sensation d’être devant une œuvre cinématographique. Pensotti, Argentin, est aussi réalisateur et travaille avec sa troupe grupo Marea, depuis 2005.
Les deux personnages n’ont de cesse de raconter que leur histoire a fait l’objet d’un travail cinématographique mais, parce qu’ils n’ont pas reçu l’accueil espéré, le public pensant que c’était faux, ils ont choisi de porter leur voix au théâtre. La narration a deux voix, comme deux monologues bien indépendants mais qui se répondent. On a la sensation qu’une toile se tisse sous nos yeux avec deux fils de couleurs différentes.
On suit sa composition et on perçoit, au fur et à mesure, les rapports. Le brouillage s’opère aussi lorsque les personnages parlent du physique réel des acteurs. Leur façon de narrer les faits tout en regardant le public droit dans les yeux permet de maintenir le flou. Sans compter l’ancrage géographique et temporel, puisque la nomenclature a les noms des villages environnant Avignon, dont le Mont Ventoux. Ce qui n’est pas étonnant puisque la Troupe propose réellement des spectacles itinérants aux alentours de cette ville.

– Le double :

Quelle serait notre réaction devant quelqu’un qui fait de notre vie un rôle au cinéma ? Notre être est transformé en fiction ce qui oblige à se confronter, à observer la transmutation de notre propre existence. Il faut confronter non seulement la vision que l’on a de soi-même et celle que les autres ont de nous. Le décor participe à cette réflexion. Divisé en deux parties égales, la scène présente à gauche le protagoniste du film et à droite l’acteur.
Les deux marchent, en cadence, sur un tapis roulant et ont les mêmes paroles au début. L’acteur a une diction légèrement moins assurée qui laisse entendre qu’il jouera le double de Jean Vidal. Cette façon de marcher donne  l’allure d’une marche de randonnée, mais elle va de pair avec la progression linéaire des personnages qui marche sans s’arrêter pour atteindre le sommet, pour arriver à l’accomplissement de leur personn(age). Derrière eux un grand mur blanc est érigé, tripartite et mobile.
Cela rappelle la montagne, métaphoriquement ce mur à gravir mais aussi la toile à projection. L’arrière du mur est un miroir, ou plus exactement une glace. Reflet et mise en abîme, le double fictionnel, Roux qui joue Jean, et le double qui apparaît dans la grotte de glace. La relation chiasmatique entre Jean Vidal et son père, et Roux et son père participe à la question d’identité et du rapport à l’autre et donne alors une profondeur émouvante aux personnages.

– l’Ascension :

Du mont Ventoux est un livre de Pétrarque écrit en 1336. Petit livre, dont la force de description et de narration est telle que le monde pensait qu’il était vrai, or tout est fiction. Cela pose la question de la puissance de la fiction et comment la projection peut transformer nos vies. L’ascension, ce livre mais aussi l’ascension littérale permet de surmonter les obstacles, de gravir les plus grosses roches de la planète pour un accomplissement de soi et une fois au sommet, être dans la transcendance car on atteint Dieu, ou bien l’on constate les dégâts de nos actions.
Le sujet de la fonte des glaciers nous oblige à nous demander si l’être humain pourra de nouveau atteindre le sommet de quoi que ce soit s’il n’est pas capable d’élever son âme. Gravir fictionnellement la montagne aurait été pour Pétrarque une occasion de se métamorphoser. Il serait « monté comme homme du moyen Âge et redescendu comme homme de la Renaissance ». Celui dont les écrits symbolisent l’Humanisme nous demande comment la fiction nous transforme et quelle part nous prendrons d’elle ?

Conclusion de notre avis sur Ombre Vorace :

Cette pièce a été une balade charmante, et une randonnée épouvante. Les malaises et la fonte des glaciers qui laissent apparaître les corps, nous rappellent nos Histoires, les décombres ensevelis qui ne peuvent être découverts qu’en prenant de la hauteur. Mais serions-nous capable de monter si un Autre ne nous aide pas et dans quelle mesure la vision que l’on a de l’autre nous construit ?
Grâce à cette pièce, Nous éprouvons aussi, et surtout, la joie et le plaisir enfantin d’écouter une histoire. Le trouble persiste, est ce que c’est vrai ou pas ? Vous le découvrirez. Mais ce qui compte avant tout pour Pensotti, c’est que cette expérience, elle, est réelle.