Mesdames et Messieurs il ne vous reste que 10 jours pour aller voir un spectacle féerique. En effet, quoi de plus parfait que d’aller voir Neige au mois de Décembre.
Alors, courez par delà la ville et les forêts pour monter à la colline du théâtre national, car rien n’est laissé au hasard dans ce spectacle merveilleux de Pauline Bureau. En voici quelques preuves :
Une scénographie et un décor hors cadre
A la manière de signaux visuels que l’on ne perçoit pas mais que notre œil enregistre ou d’une chanson fredonnée par votre ami que votre attention ne capte pas mais que votre oreille entend, et qui influence ainsi vos désirs et vos actions, ainsi, notre entrée dans la forêt se fait sans bruit par quelques traces de biches et de loups sur le sol silencieux du théâtre.
On descend et on monte les escaliers en suivant ces traces, alors on se rend compte que nous ne sommes pas seuls. Une diffusion vidéo d’arbres d’hiver projette leurs grandes ombres sur l’espace dédié aux enfants et aménagé aux couleurs d’hiver, aux couleurs de Neige. Un signal préventif sur la thématique de l’enfance, entre le coin cuisine et les livres. Et avant de choisir quel chemin prendre pour rejoindre nos places, une immense carte se dresse devant nous. Un repère au croisement des chemins.
En entrant dans la salle, un couloir , une galerie de glace. Il fait froid. Puis une fois assis, on est entouré d’arbres dénudés et ébranlés par un vent d’hiver. Nous sommes dans la forêt, et malgré une salle comble, il semble qu’un lourd silence pèse sur la salle. Tout est calme et au ralenti.
La scène représente une forêt de bouleaux, ces grands arbres blancs et fins dont les feuilles jaunes jonchent le sol terreux. Une souche d’arbre est au premier plan et sur la droite de la scène une énorme citerne prend place. Vous verrez alors surgir de nulle part des biches et des loups, et de la neige. Les projections des acteurs filmés sous l’eau donne une dimension surnaturelle au spectacle, sur cette scène merveilleuse. Les sons, le craquage des feuilles, le hurlement des loups, les couleurs à la fois glaciales et verdoyantes, les sensations à la fois inquiétantes et fantasques.
La citerne de forme ronde s’ouvre et laisse apparaître, à la fois, la chambre et le poste de police. On a toujours accès à l’intérieur des choses à travers elle, mais à l’extérieur, nous sommes au fin fond de la forêt. Le spectateur est en immersion. Un bravo pour ce spectacle conçu et préparé avec un magicien.
Réécriture et inspiration du conte des Grimm : Blanche-Neige
Pauline Bureau s’est inspirée de ce fameux conte que tous les enfants connaissent, à savoir Blanche-neige. Grâce aux frères Grimm ou par l’adaptation cinématographique de Disney, toutes les générations présentes la connaissaient. Ils connaissent cette belle princesse aux couleurs flamboyantes et vives: des joues et des lèvres rouges comme le sang, une chevelure noire comme l’ébène et une peau blanche comme la neige. Une incarnation humaine féminine de vie, de force et de pureté. Cette princesse naïve meurt trois fois et revient à la vie.
Ce cycle, comme le pense Bureau, peut être interprété comme le cycle féminin de l’enfant qui devient jeune fille et reste femme. Le temps cyclique est matérialisé par les saisons et les mots « quelques mois plus tard ». Il semble que les saisons du printemps et de l’été se confondent mais peu importe que les temps soient imprécis, car ils nous font ressentir cet enlisement et ce glissement imperceptible des émotions et états d’âme de l’adolescence.
Dans son œuvre, elle prend le contre-pied du conte. Son héroïne n’est pas forcée d’aller ce cacher dans une forêt sombre et inquiétante, mais elle décide de fuguer dans cette forêt qui semble l’attendre et l’accueillir. Décisionnaire, et volontaire, elle refuse de rester cette enfant effrayée de tout et enfermée dans ce cocon où sa mère décide aussi de tout.
Pause ! Les rencontres, les lieux et les endroits forment la personnalité, et Neige est une jeune fille qui va s’en sortir et trouver une solution aux rapports conflictuels avec sa mère, avec elle-même et avec les autres. La forêt incarne le paradoxe de se perdre pour mieux se retrouver. La parole libère, même si certains mots sont adressés en aparté ou aux oreilles d’une mère inconsciente. Cela pose peut être la question de ce qui est avouable à nos parents ; des vérités psychologiques évidentes qui n’ont peut être pas besoin d’être entendues mais comprises des deux cotés pour que chacun puisse retrouver sa place et sa vitalité.
La question de la sauvagerie et les personnages
- « La vie sauvage », tel est le commentaire apporté par le commissaire de police lorsque le chasseur lui explique qu’il vit dans la forêt. Je le mets en italique puisque à cet instant de la pièce, par l’intonation ironique et à demi articulé pour que ce mot passe plus vite, il est finalement utilisé en mention à l’oral car se trouve ici le nœud du conte et de la pièce de Bureau : Qu’est ce qui est sauvage ? Une question qui fait déjà débat à notre époque moderne, mais qu’elle tente de préciser : ce qu’on croit être sauvage, la définition qu’on en donne, notre part de sauvagerie et notre ignorance sur le sujet. Sans doute, cette question se personnifie à travers le personnage du chasseur joué par Regis Laroche, dont la voix grave et presque rauque colle à merveille à ce personnage énigmatique. Les premières impressions données sont celle d’une ombre noire surplombante et observatrice du haut de la citerne. Le spectateur, qui ne connaît pas la nouvelle histoire, se demande alors quel sera le destin de ce personnage par rapport à Neige ? On dirait une figure inquiétante, est-elle en danger de mort ?
- Finalement, il ne semble pas plus inquiétant que le comportement la Mère et de Neige après qu’elles soient tombées dans les pommes. Ironie du terme à cause du fruit empoisonné que Neige lèche allégrement au début de la pièce. Ici, elles ne font que subir leur propre vinaigre sentimental. À leur réveil, elles rampent menaçantes vers nous, prêtes à bondir et à nous dévorer ? Pourquoi ? Peut-être est-ce la part d’animosité extériorisée à ce moment là ou révélée, comme un accès à l’inconscient de ces deux femmes. On les voit autrement…mais, au moins, elles marchent côte à côte. Marie Nicolle et Camille Garcia ne se font plus face à face comme un miroir, mais elle se tournent peut-être vers un autre miroir. Les cheveux noirs et ébouriffés des deux actrices semblent évoquer le désordre et les peines de cette vie. Le corps long et élancé de Nicolle est idéal pour incarner, au début, l’image de la mère supérieure, dominatrice ou qui cherche à l’être en s’habillant de blanc à la place de Neige. Et le visage mature, mais le corps presque enfantin de Garcia, enferment à la fois les trois vies d’une femme. Habillée d’un tutu, d’un short et d’un tee-shirt manche courte en hiver, Neige est déjà à la deuxième saison avant qu’elle y soit véritablement arrivée. Mais les paroles de sa voix fluette prédisaient déjà sa métamorphose.