Anne de Boissy, metteuse en scène et comédienne, adapte au théâtre le roman autobiographique, L’analphabète, d’Agota Kristof. La mise en scène bilingue fait se rencontrer et dialoguer le français et langue des signes française (LSF).
Langue maternelle et langue ennemie dans L’analphabète
Publié en 2004, L’analphabète est un roman autobiographique écrit par Agota Kristof. Née en Hongrie en 1939, elle est obligée de fuir son pays en 1956, alors envahi par les troupes soviétiques. Elle trouve refuge à Neuchâtel, en Suisse, où elle apprend le français. Agota Kristof qualifie le Russe et l’Allemand de « langues ennemies ». Ce sont, en effet, les langues des pays qui ont envahi son pays, la Hongrie. Par ailleurs, le Français devient sa langue d’adoption, celle dans laquelle elle a choisi d’écrire.
« Cette langue, je ne l’ai pas choisie. Elle m’a été imposée par le sort, par le hasard, par les circonstances. Écrire en français, j’y suis obligée. C’est un défi. Le défi d’une analphabète. »
Agota Kristof
Le conflit entre langue maternelle et langues ennemies, central dans L’analphabète, fait écho à la réalité aujourd’hui entre la langue des signes française et le français. Ainsi, le collectif des Trois-Huit a choisi d’adapter ces textes sur scène, dans une écriture où langue des signes et langue orale se partagent l’espace.
Plus qu’une traduction : un dialogue
Dans un premier temps, Anne de Boissy traduit par la parole ce que signe Isabelle Voizeux. Ainsi, les deux femmes racontent à la première personne l’histoire d’Agota Kristof, de son enfance en Hongrie, à sa vie adulte en Suisse, en passant par son exil.
Petit à petit, les deux textes se mêlent, la voix de l’une et les mains de l’autre se croisent, s’attendent et se cherchent. Le spectateur ne sait plus qui traduit qui. Jouant avec le décor épuré et subjectif, qu’elles transforment au fil des scènes, les actrices se font écho et se répondant, créant, finalement, un véritable dialogue entre les deux langues.
Un contraste saisissant est visible entre les deux actrices. Quand l’enthousiasme et la vitalité se lit dans les mains et sur le visage de celle qui signe, la solitude et la monotonie est visible sur le visage de celle qui parle. Un différence flagrante qui crée une opposition majeure entre les deux jeux des actrices.
Le spectateur qui ne signe pas, ne saisira pas le texte dans son entièreté, les blagues lancées ça et là ou encore les spécificités du dialogue entre les deux femmes. Celui qui ne parle pas la langue des signes, aura l’impression d’être un étranger dans un pays où il ne parle pas la langue. Un peu comme Agota Kristof lorsqu’elle est arrivée en Suisse. Le spectateur qui ne signe pas aura le sentiment d’être analphabète.
Un petit mot sur Agota Kristof
Agota Kristof est une écrivaine, poète, romancière et dramaturge née en Hongrie en 1935. Lorsque la Hongrie est envahie, en 1956, par les troupes soviétiques, Agota Kristof, âgée de 21 ans, s’enfuit à pied avec son mari et leur bébé, pour rejoindre l’Autriche. Ils s’installent finalement en Suisse, à Neuchâtel, où elle trouve un emploi dans une usine. Elle vivra là-bas jusqu’à la fin de ses jours.
En 1987, elle devient célèbre avec son premier roman, Le Grand Cahier, qui reçoit le prix du livre Européen. Deux autres livres suivent, La Preuve et Le Troisième Mensonge. Aujourd’hu,i la trilogie, traduite dans le monde entier, est toujours rééditée.
L’analphabète
Texte de Agota Kristof.
Mise en scène, adaptation, interprétation Anne de Boissy.
Traduction, adaptation, interprétation Isabelle Voizeux.
Traduction, adaptation Géraldine Berger.