Julia, de Christiane Jatahy : quand théâtre et cinéma se mêlent sur scène

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Après avoir été la révélation du festival Temps d’Images en 2013 avec cette même pièce, le 104 a souhaité remettre à l’honneur Christiane Jatahy. Julia a donc été jouée du 18 au 22 octobre pour une deuxième série au 104.  La version brésilienne de Mademoiselle Julie de Strinberg a une fois de plus conquis les salles combles.

125 ans après Strinberg, une Julia transposée au Brésil

Avec Mademoiselle Julie, Strinberg avait exploré la transgression de l’ordre social. Par l’amour impossible de ses deux personnages issus l’un de la classe dominée et l’autre de celle des maitres, Strinberg avait montré l’impossibilité pour deux êtres de classes opposés de s’aimer. Julia, c’est l’impossibilité de s’accorder et de se considérer comme égaux, malgré l’attirance.

La metteur en scène brésilienne Christiane Jatahy reprend cette fable et, effaçant tous les personnages secondaires, projette son domestique noir et son aristocrate blanche dans un huis clos brésilien puissant et charnel.

Dans Julia, tout commence par le film « fait maison » d’un père qui filme sa fille. On comprend leur relation dès l’instant où les images apparaissent sur l’écran : un père sous le charme de sa fille, qui ne peut s’empêcher de la fixer et de la surveiller par l’intermédiaire de la caméra. La petite Julia, elle, semble apprécier d’être poursuivie par l’objectif. Toute jeune, elle sait déjà jouer des codes du cinéma : elle apparait, disparait, se fait prier, porte une attention particulière au cadre dans lequel elle est filmée (quitte à « nettoyer » le cadre du jardinier noir alors au travail)
Puis une courte séquence sur la Julia adolescente qui refuse de se faire filmer nous rapproche du récit de Strinberg : peut-être est-ce au moment du suicide de sa mère ?

Une pièce saisissante sur le fond et la forme

Puis nous voilà au présent, une soirée bat son plein dans le jardin de la propriété alors que le père est sur le point de revenir d’un voyage d’affaires. La jeune adolescente a grandi. La voici en robe courte, aguichant un homme plus âgé qu’elle, Jelson, qui s’avère être son domestique.

Bientôt, on les retrouve entre la cuisine et la chambre de Jelson, le jeu de séduction est à son paroxysme. Sous l’emprise de l’alcool et d’un amour transgressif, l’acte sexuel a lieu. Nous ne sommes plus à l’époque de Strinberg, et Christiane Jatahy demande un engagement physique intense de la part de ses acteurs. Jamais le texte de Strindberg n’aura résonné autant que dans cet acte physique prolongé. Par sa bestialité, il met en valeur les différences de langage, de rêves et de projets des deux personnages.

Ensuite, plus rien ne sera comme avant. Julia sera « souillée », partagée entre le remords, la honte et l’arrogance à son plus haut point. Dès lors, et pendant toute leur joute verbale et physique, Julia et Jelson n’auront presque plus que du mépris l’un pour l’autre. Leurs destins sont pourtant désormais liés et l’issue est inévitable…

La caméra pour des émotions décuplées

Le coup de maitre de Christiane Jatahy vient de l’introduction de la caméra dans cette histoire d’amour impossible vieille de plus d’un siècle. Entre théâtre et performance, les deux amants interdits sont scrutés par l’objectif. Chacun de leurs souffles, de leurs battements de paupières, de leur tremblement de lèvres est révélé par cette indiscrète sur des écrans mobiles de la scène nue du 104.Le cameraman lui-même fait office de relais entre l’émotion poignante et parfois violente de la scène et le ressenti des spectateurs.

S’il arrive souvent que théâtre et écrans fassent très très mauvais ménage, avec Julia, Christiane Jatahy a su parfaitement les entremêler. Les images filmées en direct viennent soutenir la narration, élargir le propos et le prolonger. La relation au voyeurisme de notre société est elle aussi questionnée par l’omniprésence des écrans : on se surprend parfois à les regarder davantage que les comédiens, pourtant si charismatiques et engagés dans leur jeu.

Entre théâtre et cinéma, une réussite !

Les barrières entre cinéma et théâtre sont totalement floutées. D’autant que les passages entre les moments de théâtre et de cinéma, voire leur superposition, sont d’une fluidité et d’une pertinence surprenantes. La caméra permet de repousser les frontières du théâtre et propose une approche de l’histoire inexplorée jusque là. La transgression des classes sociales se mue en transgressions des codes de la théâtralité dans un parallèle parfaitement maitrisé.

De la même façon, la pièce casse les règles du théâtre quand Julia Bernat, la comédienne fétiche de Christiane Jatahy, brise le quatrième mur à la fin de la pièce, et s’adresse à nous directement en français. Elle va jusqu’à briser les murs de la salle en sortant dans le hall du 104, toujours suivie par le caméraman. Pour finir par sortir totalement de son rôle, et nous exprimer les difficultés qu’elle a de le jouer. Pur moment de complicité avec le public que Julia Bernat sublime par une émotion vraie et à fleur de peau.

 

En un mot et pour conclure, la mise en scène captivante de Christiane Jatahy n’a d’égale que le fascinant duo de comédiens ! Pas de dates en prévision en France pour le moment, mais si Julia revient hanter les théâtres, foncez-y !