Après Versailles, le Centre Pompidou et le Louvre, l’artiste Jean-Michel Othoniel investit le Petit Palais pour sa plus grande exposition personnelle depuis 2011. Pour cette exposition mécénée dans le cadre des Jardins Culturels Dior, l’artiste crée son « Théorème de Narcisse ». Il réenchante les lieux à travers plus de soixante-dix œuvres allant du musée jusqu’au jardin. Un voyage à découvrir jusqu’au 2 janvier 2022.
Portrait de Jean-Michel Othoniel
Né en 1964, Jean-Michel Othoniel est un artiste sculpteur français. Aujourd’hui, il vit et travaille à Paris. Diplômé de l’École nationale supérieure d’arts de Cergy-Pontoise, il commence à se faire connaître à la documenta 13 de Cassel, en 1992, grâce à ses sculptures en soufres. Un an plus tard, à la suite d’un voyage et d’une rencontre avec un vulcanologue, il s’intéresse aux propriétés du verre et à ses capacités de passer d’un état à un autre.
Les notions de métamorphoses, de sublimations et de transmutations sont ainsi au cœur de sa démarche. Si vous ne connaissez pas Jean-Michel Othoniel, vous avez peut-être aperçu son travail sans vous en rendre compte. En effet, en 2000, invité dans le cadre de sa première commande publique, Jean-Michel Othoniel transforme la station de métro parisienne du Palais-Royal du Louvre. Le Kiosque des Noctambules avec ses deux couronnes de verre et d’aluminium devient alors une œuvre emblématique dans la capitale.
En 2011, le Centre Pompidou décide de lui consacrer sa première rétrospective qui retrace sa carrière depuis le début en 1987. Intitulée « My Way », l’exposition présente quatre-vingt œuvres inédites et monumentales qui font appel à l’imaginaire. En 2015, l’artiste investit Versailles avec Les Belles danses, un ensemble de trois sculptures fontaines installées sur les bassins. Ses œuvres in situ dialoguent soit avec des lieux historiques, soit avec l’architecture d’aujourd’hui, toujours dans le but de poétiser et de réenchanter le monde.
La genèse du Théorème de Narcisse
Dans cette exposition, Jean-Michel Othoniel évoque la théorie du reflet, qu’il développe depuis plus de dix ans avec le mathématicien mexicain Aubin Arroyo. Mais, cette fois-ci, l’artiste l’aborde à travers une nouvelle approche : La Théorie de Narcisse. Dans la mythologie grecque, Narcisse est un chasseur originaire de la Béotie. Fils de la nymphe Liriope et du dieu fleuve Céphise, il est doté d’une grande beauté. D’après Les Métamorphoses d’Ovide, alors qu’il est venu s’abreuver, il voit, pour la première fois, son propre reflet dans l’eau et en tombe éperdument amoureux. Complètement hypnotisé, il restera plusieurs jours à se contempler et finira, face à cette passion inassouvissable, par dépérir, malgré les avertissements de la nymphe Écho. Dès lors, le mythe de Narcisse renvoie souvent une forme de névrose.
Cependant, comme l’indique Gaston Bachelard, « le narcissisme n’est pas toujours névrosant, il joue aussi un rôle positif dans l’œuvre esthétique. La sublimation n’est pas toujours la négation d’un désir. Elle peut être une sublimation pour un idéal ». (Gaston Bachelard, « L’eau et les rêves. Essai sur l’imagination de la matière », 1942, p.64)
C’est dans cette perspective qu’il faut percevoir l’exposition Le Théorème de Narcisse de Jean-Michel Othoniel qui indique qu’ « Ici je vois le narcissisme comme positif, explique l’artiste, dans le sens où il sert à se construire et à faire refléter le monde autour de soi. […] Les gens qui se montrent en disent beaucoup sur le monde d’aujourd’hui ». À l’ère du selfie, l’artiste nous invite à travers ces sphères en verre, à observer notre propre reflet autrement, mais aussi à contempler le reflet du monde. Cette mise en abîme de l’image de soi nous interroge sur le rapport que nous entretenons avec le monde qui nous entoure.
Le reflet d’un monde qui change
Le Théorème de Narcisse amorce alors une transition d’un monde à l’autre. Les œuvres mettent en lumière, à travers le reflet, un monde qui change. Ainsi, La rivière bleue, (2021) dans ses couleurs aigues-marines, semblables à des pierres précieuses, Jean-Michel Othoniel fait basculer l’architecture du musée vers celle d’un château de conte de fée. L’installation opalescente in situ est alors un passage amenant le visiteur vers un voyage initiatique.
Après la cascade de l’entrée, le visiteur se dirige dans les jardins, teintés d’exotisme, qui émerveillaient déjà les visiteurs du XXe siècle. Et c’est au cœur de ce dernier, que Le Théorème de Narcisse puise son essence, avec les œuvres qui font écho aux fameux colliers de perles de l’artiste. Chaque perle en métal argenté ou couleur or renvoie le visiteur à sa propre image. Suspendus dans les arbres ou posés sur l’eau, les lotus recouverts de feuilles d’or semblent flotter et se refléter dans arbres et bassins.
Dialoguant avec le jardin, chaque œuvre a cette particularité d’évoluer et de changer au gré du temps. Ainsi, le verre s’harmonise ou contraste selon l’heure, la météo, la luminosité – de l’aurore, en passant par le crépuscule jusqu’à la nuit – ou selon les saisons. Chacun de ces changements apporte une dimension nouvelle à l’œuvre, dans un enchantement perpétuel. En ce sens, au-delà de son propre reflet, le visiteur contemple le reflet de ce monde qui change inlassablement.
Un dialogue entre le musée et les œuvres de l’artiste
Tous les ans, à l’automne, le Petit Palais invite un artiste contemporain à exposer son travail au cœur du musée. Ainsi, cette invitation crée un dialogue entre les œuvres permanentes du musée et celles de l’artiste. Pour cette saison, c’est Jean-Michel Othoniel qui est chargé d’imaginer une exposition afin de construire contraste et harmonie dans les jardins et l’architecture Art Nouveau de l’édifice. À travers soixante-dix œuvres, dont une partie conçue spécialement pour l’événement, l’artiste souhaite aller plus loin dans le dialogue entre l’architecture et le patrimoine, un dialogue qu’il expérimente depuis ses débuts. En effet, selon lui, « le chef-d’œuvre du Petit Palais est le bâtiment lui-même ».
Pensé par l’architecte Charles Girault lors de l’Exposition universelle de 1900, le monument du Petit Palais a été conçu pour faire rêver. Dès l’entrée, le ton est donné. Donnant l’impression d’un ruissellement, une cascade de plus de mille briques bleues épouse les marches de l’escalier extérieur. Le dialogue se déploie également à l’intérieur-même du musée. Ouvrant de nouvelles perspectives, les fenêtres ponctuent le parcours et permettent d’instaurer une continuité entre l’extérieur et l’intérieur. Ainsi, les Nœuds d’argent présentés sous la galerie extérieure, s’inscrit dans la même perspective que le tableau intitulé Le Sommeil de Gustave Courbet : deux œuvres qui se confondent presque par un jeu de superposition.
À mi-parcours de l’exposition, l’artiste installe un sublime et imposant lustre en verre de Murano au cœur d’une pièce circulaire, dans une parfaite harmonie. Surplombant l’escalier pour descendre vers le sous-sol où se situe la suite du parcours, Couronne de la Nuit nous invite à circuler autour d’elle afin de s’en émerveiller sous tous les angles. Elle amorce alors une transition du haut vers le bas, d’une lumière extérieure vers une pénombre plus intimiste.
Une exposition pour réenchanter le monde
« J’ai eu envie de récréer un jardin d’Éden, hors du monde ».
La visite se poursuit au-rez de-chaussée du Petit Palais, dans un espace plongé dans une semi-obscurité. À travers l’installation Agora, une œuvre inspirée par son voyage en Inde, Jean-Michel Othoniel accentue l’onirisme de l’exposition. Pour ces Nœuds sauvages qui survolent le sol, l’artiste utilise une palette de couleurs extrêmement riches mais douces, des couleurs faites de dégradés et de nuances. La lumière et la couleur crée ainsi une atmosphère apaisante et méditative.
Tout au long du parcours, il nous offre une parenthèse enchantée, poétique, presque irréelle et illusoire. Faisant appel à nos sens et notre imagination, cette exposition est accessible pour chacun d’entre nous, puisqu’elle est gratuite. Jean-Michel Othoniel déclare que : « J’ai voulu créer un lieu d’irréalité, d’enchantement, d’illusion, de libération de l’imagination, un lieu à la frontière du rêve qui nous permet le temps de la visite de résister à la désillusion du monde. » Ainsi, cette invitation au rêve nous offre dans ce moment éphémère, une possibilité de résister aux désillusions du monde.
Une exposition pour réenchanter le monde et notre quotidien, à découvrir et redécouvrir au fils des saisons jusqu’au 2 janvier 2022.
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