« Derrière le miroir » : spectacle étonnant sur l’abîme de la création

Un spectacle sur les affres de la création

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Affiche de la pièce
Affiche de la pièce "Derrière le miroir"

Quelles sont les ombres qui se cachent derrière la création ?

Connaissez-vous le terme de leucosélophobie ?
Il s’agit de la peur de la page blanche, du manque d’inspiration, qui torture et plonge dans le doute les auteurs démunis de ne plus trouver leurs mots. Peur vécue par Stephen King, qui l’a régulièrement évoquée dans ses romans, elle signe une petite mort pour l’écrivain, plongé dans le cercle vicieux du vide nourri de la peur coupable de ne plus vibrer ou faire vibrer.
Derriere le miroir "Derrière le miroir" : spectacle étonnant sur l'abîme de la création

Que se passe t-il dans cette maison ?

« Voici un petit doigt d’oranges pressées. »
Par une belle voix de baryton, le majordome ouvre le bal sur cette réplique.
L’action se passe dans un manoir cossu, richement décoré. Un écrivain en mal d’inspiration, Alfred, est entouré de différent serviteurs, habillés de noir, raides, le visage peint en blanc.
Leurs actions délurées (l’un va utiliser un fer à repasser sur un fauteuil ou un tableau, l’autre effectue des rondes dansées permanentes) interrogent au bout de quelques minutes le spectateur : font-ils partie de la réalité ? Est-ce une maison où la folie règne en maître ?
Les répliques fusent et s’enchaînent dans un ballet plutôt bien maîtrisé.
« Vous avez un talent post mortem. »
"Derrière le miroir", une pièce sur les affres de la création.
L’auteur Alfred, en mal d’inspiration, dans la pièce « Derrière le miroir ».

Une création cruelle

La scénographie est astucieuse : les tableaux s’allument les uns après les autres, illustrant une idée cruelle qui vient s’immiscer dans la tête torturée d’Alfred. Le plateau central tournant emportent les artistes dans la valse du tractage et de la publicité.
Alfred invoque les personnages de son dernier roman, incarné par ses serviteurs, et leur pose un ultimatum : cette nuit, afin de redonner un rebondissement à son dernier livre, l’un d’eux devra mourir. Mais le choix leur revient, ultime lâcheté de l’auteur.
Que vont faire les personnages face à ce dilemme ? Se révolter ? S’accuser mutuellement pour survivre dans les pages d’un livre déjà oublié ?
L’univers délicieusement dépassé est celui du cirque : Zampano, le lanceur de couteaux, Madame Loyale et ses grands yeux tristes, Bozo le clown maladroit et touchant et Yvette, la douce accordéoniste.
C’est un théâtre d’ombres, d’où surgit quelques lumières de vie, d’espoir. Poussant le paroxysme de la manipulation, Alfred va jusqu’à torturer, humilier ses personnages, mieux les briser pour mieux les manipuler. Il joue à Dieu. Mais ses créatures n’ont pas dit leur dernier mot.

Le retour à la réalité

La tension monte jusqu’à la tempête finale qui les emportent loin de la scène.
Pas de spoiler ici, bien que le retour à la réalité peut-être parfois rude. La folie est plus confortable et rassurante que le monde réel, ce coin de meuble où l’on se cogne.
Derrière le miroir est une belle réflexion sur les difficultés de la création et les sacrifices personnels qu’elle peut faire naître, l’égoïsme parfois, des auteurs. L’art n’est plus un pont entre les mondes, il isole, détruit et abime celui qui crée et son entourage.
L’harmonie entre les registres comiques et dramatiques est plutôt bien équilibré, l’interprétation de l’ensemble des comédiens est excellent, un joli moment à découvrir à l’Essaïon.
Le spectacle a été crée avec le soutien du Théâtre 13, dans le cadre d’une résidence de création. Le texte est édité chez l’Harmattan Edition.
Affiche de la pièce "Derrière le miroir", une pièce sur les affres de la création.
Affiche de la pièce « Derrière le miroir »
Représentations les vendredis et samedis du 2 juin au 17 juin 2023 à 21 H 15.
Les jeudis, vendredis et samedis du 22 juin au 29 juillet 2023 à 21 H 15.Théâtre de l’Essaïon, 6 rue Pierre au Lard, 75004 (en face du centre Pompidou)
  • Autrice : Valérie Mastrangelo
  • Mise en scène : Valérie Mastrangelo
  • Distribution : Daphné de Quatrebarbes, Manuel Olinger, Aude Ollier, Laurent Muzy et Juan Ramos.
  • Scénographie : Atelier F
  • Création Lumière : Florian Guerbe
  • Création Sonore : Jules Poucet
  • Co.produduction La Famiglia et Cambalache
  • Site de la compagnie : http://www.compagniecambalache.com/