Critique « LA FEMME® N’EXISTE PAS » : Un spectacle au cœur des inégalités

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La Femme® n’existe pas raconte l’histoire d’un groupe d’hommes et de femmes qui, ayant fait naufrage sur une île après avoir fui la guerre, doit fonder une nouvelle société. Dans ce nouveau monde, les femmes réclament de faire partie du gouvernement pour établir les lois et les institutions. Face au refus des hommes, elles mettent en place leurs propres outils de résistance : s’enlaidir, faire la grève du sexe et, bien entendu, écrire leur règlement.

Le spectacle est une adaptation de La Colonie de Marivaux, une satire écrite en 1750 où l’auteur dénonce les travers inégalitaires de la société de son époque. Alors que nous célébrons la Journée Internationale pour le Droit des Femmes – et non la Journée de la Femme (certes, cette formulation est plus aguicheuse mais elle est aussi vidée de toute sa substance), nous pouvons être certains d’une chose : les mentalités ne progressent que trop lentement. C’est sans doute là un des éléments à l’origine de cette réécriture contemporaine par l’équipe du Théâtre Variable n°2.

Keti Irubetagoyena (metteuse en scène) et Barbara Métais-Chastanier (autrice et dramaturge), issues de l’École Normale Supérieure de Lyon, mènent depuis 2004 un travail de recherche sur les dramaturgies du réel : ces formes hybrides s’inspirant des problématiques réelles pour faire théâtre. En 2015, elles lancent un cycle de créations, Luttes et émancipation, autour de la question des « modalités de résistance aux systèmes de domination dans notre société ». C’est dans ce cadre que s’inscrit le spectacle La Femme® n’existe pas, qui interroge notre rapport à l’égalité hommes-femmes.

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Le processus égalitaire se retrouve jusque dans la distribution puisque, acteurs comme actrices interprètent à tour de rôle la ligue des femmes puis l’assemblée des hommes. Si le spectacle reprend tous les mécanismes de la dramaturgie de Marivaux, l’adaptation semble à certains endroits plus pauvre que le texte original. Le rythme du spectacle est (volontairement ?) lent et l’on se questionnera sur la pertinence du prologue par rapport au reste de la création : ce texte de démarrage s’intéresse à l’histoire de l’atoll de Bikini, théâtre d’essais atomiques à partir 1946. Hormis la plaisanterie sur « le » bikini (objet de séduction pour la femme), la concordance est mince.

Aussi, peut-être faut-il interroger autrement la création de Keti Irubetagoyena et de son équipe. Peut-être ne faut-il pas y voir une « création finie » mais plutôt une expérimentation théâtrale, un laboratoire où les artistes-chercheurs (Bruno Coulon, Jézabel d’Alexis, Nicolas Martel, Julie Moulier et Grace Seri) ne seraient plus au service d’un texte mais d’un questionnement. Le sens de la création s’en retrouve-t-il bouleversé ?

D’un point de vue scénique, le message est clair. Rien ne nous laisse supposer que nous sommes au théâtre : les lumières de service restent allumées, les comédiens circulent librement entre les gradins, les coulisses et la scène, et le plateau ressemble davantage à la salle de réunion d’un comité de quartier qu’à un plateau de théâtre. Rien ne nous laisse supposer non plus que nous devons adhérer à la fiction : bien au contraire, le jeu, la scénographie et les costumes nous poussent constamment à garder la distance nécessaire à la réflexion.

La conclusion du spectacle est, quant à elle, plus amère que celle voulue par Marivaux. Dans un cas comme dans l’autre, « tout rentre dans l’ordre » (c’est-à-dire que la révolte des femmes se termine par une victoire des hommes), mais pas pour les mêmes raisons. Si chez Marivaux, nous assistons à une ruse des hommes qui met fin à la ligue des femmes, il n’en est rien pour Keti Irubetagoyena. La révolte échoue car les femmes n’arrivent plus à s’entendre sur une lutte commune. Cela en dit long sur notre société et sur notre incapacité à mettre nos différends – et nos privilèges personnels – de côté au profit du bien commun. Il nous est plus facile de demander à autrui de renoncer à ses privilèges que de renoncer aux nôtres. Or, une démocratie ne peut avoir de sens que si chacun y met du sien. « La femme » n’existe pas et c’est bien là le problème : il n’y a que « des femmes » qui ne parviennent pas à définir des objectifs communs profitables à toutes.

Un spectacle à retrouver jusqu’au 10 mars 2018 à L’Échangeur puis en tournée en Île-de-France, à Toulouse, Nîmes, Poitiers et Albi.