« Il était une fois » est une adaptation théâtrale de trois livres de Germaine Tillion, desquelles se dégagent une expérience commune : la résistance. En effet, il lui a fallu résister aux conditions précaires durant la période où elle étudia dans l’Aurès. Résister contre l’envahisseur allemand. Résister aux conditions d’internement dans le camp de concentration pour femme. Résister intellectuellement pour la résistance algérienne.
La pièce s’agence donc autour de trois tableaux : Il était une fois l’ethnologue, Ravensburg, Les Ennemies complémentaires. Ces trois chapitres apparaissent comme des entités différentes qui se poursuivent finalement avec une certaine logique.
La thèse sur les Chaouias d’Algérie en 1934
Ce premier tableau porte sur une étude ethnologique sur le peuple des Chaouias, natifs de l’est de l’Algérie. Camille Grandville nous fait état des événements personnels entremêlés aux faits historiques de Germaine Tillion. Née en 1907 et décédée en 2008, Germaine Tillion est une femme progressiste qui fut l’objet de très nombreux combats sociaux tels que l’égalité des femmes, le droit à l’avortement et le contrôle des naissances.
La comédienne parvient à nous transporter en s’appropriant des expériences de la vie de l’ethnologue avec émois. Dénué de toute structure dramatique, le spectacle constitue une œuvre à la fois biographique et documentaire. La multiplicité des moyens de communication sont favorisés. Nous sommes ainsi témoins de la projection de photos, articles de journaux, de bandes son, d’une carte géographique afin de déterminer le parcours établi dans une ambiance musicale de la région concernée.
Une extraordinaire prouesse tant au niveau de l’enchaînement des actions que du jeu des comédiens qui apportent un corps au texte. Le décor et la mise en scène nous invitent au voyage et au dépaysement.
Déportation à Ravensbrück en 1943
Le décor se transforme, le ton est donné. Nous voilà propulsés en plein cœur du camps de Ravensbrück dont fait état ce deuxième tableau. Germaine Tillion y a été internée pour acte de résistance et sa mère pour complicité.
La scène se compose principalement d’une longue table de bois sur laquelle les trois autres comédiennes représentant les prisonnières travaillent la terre de glaise.
« Comprendre ce qui vous écrase est en quelque sorte le dominer » Germaine Tillion
La théâtralité de cette partie est rythmée par ces femmes qui tiennent le rôle d’un chœur. Elles interprètent avec engouement quelques passages de l’opérette. Le Verfügbar aux Enfers, une parodie d’Orphée aux Enfers, notamment écrite par l’ethnologue lors de son incarcération. Il s’agit d’une description ironique et concise de la condition des détenues. Leurs chorégraphies, mêlées à leurs voix harmonieuses, nous apparaissent comme de réjouissants interludes. Ce qui contraste grandement avec le récit concentrationnaire évoqué par Camille Grandville. La terrible expérience semble avoir été disséquée avec méthodologie, apportant un texte dénué de toute sensiblerie. L’entracte arrive à point nommé.
Ennemis complémentaires issus de la guerre d’Algérie
Troisième et dernière partie, la scénographie change radicalement. Germaine Tillion décide de retourner en Algérie à la fin de l’année 1954 dans le cadre d’une mission d’information. C’est la guerre. Nous sommes transportés dans un contexte plus bruyant. Il nous apparaît des archives de la période projetée. Ce brouhaha décrit une certaine complexité des événements. Germaine Tillion ne prend ni le parti de la France ni celui de l’Algérie. Un fort sentiment de compassion l’animera pour ces ‘‘ennemis complémentaires’’ qu’elle tentera de faire dialoguer.
Elle tentera de faire cesser les attentats d’un coté, les tortures et les exécutions de l’autre. Son unique préoccupation fût de sauver des vies. Face à l’inégalité de ces deux communautés, elle va apporter sa contribution en créant des centres sociaux en vue d’aider la population à lutter contre la misère, la maladie et l’illettrisme. Ethnologue d’exception, ses engagements la menèrent au Panthéon le 27 mai 2014.
« Il était une fois » parvient à retranscrire cette association délicate de l’histoire objective et du vécu subjectif de Germaine Tillion. La richesse des documents historiques liés à sa destinée extraordinaire en fait un documentaire scénarisé dont nous pouvons déplorer quelques longueurs. On regrette également de ne pas avoir ressenti la multiplicité de sentiments nuancés tel un ascenseur émotionnel.
Saluons les performances remarquables de Manon Allouch, Pauline Dubreuil, Camille Grandville, Pascal Omhovère et Myriam Sokoloff que nous espérons revoir rapidement sur scène.
Informations
Studio Casanova au Théâtre des Quartiers d’Ivry
69 avenue Danielle Casanova, 94200 Ivry-sur-Seine
01.43.90.11.11