L’histoire
À Séoul, Kim Sum est développeuse de l’application de rencontre en ligne baptisée « Somebody » et directrice de technologie dans l’entreprise Spectrum. Elle a deux amies, Im Mok-Won, qui est chamane et Yeong Gi-eun, inspectrice en fauteuil roulant du poste de police de Sangdong. L’application « Somebody » se voit impliquée dans une affaire de meurtre. Kim Sum et Yeong Gi-eun rencontrent l’architecte Yoon-O virtuellement. Yoon-O est un homme séduisant, mais semble cacher quelque chose derrière son charisme. Pendant ce temps, Yeong Gi-eun enquête sur l’affaire du meurtre avec l’aide d’Im Mok-won.
Impressions
Très loin des préceptes dont nous étions habitués, Netflix hache, déchiquette et écrase tous les piliers de nos chers dramas. Nous sommes éjectés dans une autre dimension qui semble complètement à l’opposé de ces derniers. Toute innovation est la bienvenue. Les adeptes du genre, tous ceux qui suivons les dramas coréens depuis décennies, avons constaté que les productions Netflix s’éloignent considérablement de nos bonnes vielles séries coréennes, créées pour être regardés en famille. Des productions comme « My name », « Extracurricular », « Kingdom », « All of Us Are Dead », « My glory » (on compte les jours jusqu’au 10 mars, pour voir la suite !), et bien sûr, bien sûr, « Squid Game », sont plus dans la lignée des films sud-coréens et, petit scoop, les chefs d’œuvre sud-coréens existaient bien avant « Parasite ».
Nous connaissons les acteurs, surtout Kim Young-Kwang. Nous ne sommes pas dans un terrain si voilé que ça. La synopsis semble mystérieuse, l’affiche, ses couleurs, Kim Young-Kwang, dégagent quelque chose qui nous met mal à l’aise. Nous choisissons de visualiser cette série avec l’espoir d’un bon thriller. Un thriller érotique qui plus est (de la science-fiction jusqu’à présent).
Ce drama est pour le moins déroutant. Plusieurs histoires bifurquent depuis un point de départ : Yoon-O. On pourrait croire que le départ n’est autre que l’application des rencontres, mais cela va plus loin et il faudrait plutôt se focaliser sur la personne qui l’a créé. Le drama est constitué de tout un tas d’éléments qui s’ajoutent petit à petit sans nous laisser le temps de les analyser. Très difficile donc, de nous repérer, ayant l’impression de nous trouver dans un cafouillis décousu et sans forme. Dans un de ces vieux films allemands, comme « Les larmes amères de Petra von Kant » de Fassbinder, sorti en 1972. Les répliques sont tellement lentes et espacées dans ce film, qu’on finit par s’endormir et se réveiller en sursaut dès que l’un des personnages parle enfin.
Ce ne sont pas les répliques mais plutôt toutes ces scènes pourvues d’une histoire propre auxquelles il faut s’accrocher si on veut absolument comprendre. Et on veut comprendre. L’application garde les messages supprimés par la même personne qui les envoie. Qui d’entre vous n’a pas déjà dit quelque chose qui aurait souhaité aussitôt supprimer comme sur WhatsApp ? Cette application cherche donc d’approfondir dans le caractère de chaque abonné, de connaître sa vraie personnalité. Kim Sum, la jeune femme qui l’a créé, souffre du syndrome d’asperger. C’est le cas, ou est-elle une psychopathe ? Ou les deux ?
Elle a deux amies. Yeong Gi-Eun, une policière en fauteuil roulant et Im Mok-Won, une chamane. Plus improbable, impossible. Le truc à se demander si cela pourrait vraiment exister, si trois femmes aussi différentes pourraient être des amies. Mais, soit. Yoon-O entre en scène. En fait, chaque personnage entre simultanément en scène sans qu’on sache à qui doit-on s’accrocher. Et s’il faut s’accrocher car pour l’instant, ça patauge. Mais petit à petit, chaque petite histoire prend de l’ampleur chevauchant les autres, adoptant une forme inattendue.
Yoon-O est un architecte séduisant et charismatique. Il a un côté « mâle puissant et très sexy » et un autre côté fragile et démuni. Sauf que derrière toute cette apparence envoûtante se cache un psychopathe manipulateur qui se sert de l’application pour sauter et tuer qui de droit. Nous avons la possibilité de rassembler tous les morceaux éparpillés du scénario pour suivre enfin une direction plus concrète. La suite s’avère surprenante pour ne pas dire ahurissante, étrange, machiavélique…
Très, très rares sont les scénarios qui s’épanchent sur la mort d’un enfant. On va peut-être nommer le fait, mais vous ne verrez jamais un enfant se faire torturer dans un film. Déjà parce qu’il a été prouvé que le meurtre d’un enfant entraîne le flop d’un film et ensuite parce que le mauvais goût a de toute évidence des limites aussi. Il en va de même pour les handicapés. Comme si s’attaquer à des êtres aussi vulnérables provoquait chez le spectateur un mal-être insoutenable. Il est possible de regarder des scènes horribles parce qu’il y a toujours l’idée de fuite dans notre cerveau. On imagine que la personne va courir, qu’elle va réussir à s’échapper. Mais un handicapé, « une personne en situation de handicap » ne court pas. Alors le transfert se fait très vite et on se demande, pétrifiés, comment la personne va s’en sortir et si elle va s’en sortir.
Yoon-O joue au jeu du chat et la souris avec elle et le pire de l’histoire c’est qu’elle a l’air d’aimer ça. La première question qui pourrait émerger dans tout spectateur qui ne connaît pas un fauteuil roulant serait, mais pourquoi est-ce qu’elle se met dans une situation pareille ? Du coup, bien sûr, on accuse le scénario d’invraisemblable. Détrompez-vous, la plupart des personnes qui se trouvent en fauteuil roulant après un accident, se voient souvent dans l’incapacité de se rendre à l’évidence de leur nouvelle condition. L’énergie qu’elles éprouvent n’est pas en accord avec la nouvelle situation. Elles n’ont pas encore intégré que leur corps ne peut plus faire certaines choses. Et si peut-être le fait a été intégré, la non-acceptation a pris une telle place, qu’elles pensent pouvoir continuer une vie comme avant. Ou plutôt exactement comme avant.
Loin de nous de vous imposer une thèse sur le ressenti des personnes en fauteuil roulant. Déjà parce que chaque personne est différente mais surtout parce que, regardant les choses bien en face, pour une fois, le cinéma n’a pas fait d’une personne handicapée une personne archi vulnérable, effacée et surtout, asexuée. Les critiques par rapport à ce personnage et l’invraisemblance de son comportement viennent des tous ces personnes qui ont déjà une idée toute faite de ce que c’est d’être en fauteuil roulant. Des clichés infondés qui répercutent sur l’idée qu’on se fait de la consistance du scénario. Un scénario qui se tient et qui finit par rassembler tous ces éléments qui semblent tomber comme des météorites, sans liaison apparente. (Personne ne polémique sur le choix de Kim Sum de coucher avec un psychopathe, ou sur le danger de chercher l’âme sœur à l’aide d’une application !)
Pourquoi est-ce que Yoon-O ne la tue pas ? Par pitié ? Un psychopathe n’est pas censé ressentir de la pitié. Parce qu’elle ne vaut même pas la peine d’être tué comme les autres puisqu’à ses yeux elle n’est pas comme les autres ? Peut-être. Parce que, comme lui, elle est un être à part ? Probablement. Mais plus on avance dans le drama, plus on se demande si ces trois femmes ne sont pas complètement idiotes. Pourquoi s’accrochent-elles à ce gars exécrable ? Sont-elles tellement stupides ou tellement en manque qu’elles n’arrivent pas à voir sa vraie nature ? Pourquoi sont-elles succombées sous ce charme froid et calculateur ?
Nous arrivons à la fin. Le réalisateur Jung Ji-Woo et l’écrivain Han Ji-Wan nous ont pondu un dénouement absolument génial. Cela pourrait passer par le résultat, l’aboutissement inéluctable de toute l’histoire hypnotique dont nous venons d’être témoins, et puis c’est tout. La fin en soi n’a rien d’extraordinaire mais plutôt le ressenti qu’elle engendre. Nous avons traité toutes les femmes de ce drama de stupides, d’idiotes, de têtes de linotte, pour rester correctes et voilà qu’on se surprend à éprouver de la tristesse. À compatir. On a réussi à nous faire tomber sous le charme de Yoon-O à notre insu. Ce ressenti nous fait vraiment comprendre le comportement, le caractère des personnages, l’essence du drama.
Une fois de plus, l’incontestable preuve du talent sud-coréen fait surface. Cette façon d’approfondir le sujet, de lui donner des millions de possibilités, de nous le soumettre à travers d’un prisme aux faces infinies… tous ces éléments donnent de l’espace. L’histoire individuelle devient tentaculaire, de petites gouttes de mercure cherchent à se rassembler nous offrant un rendu étonnant et qui, comme d’habitude, donne à réfléchir.