Pour leur première réalisation sur petit écran, Eric Toledano et Olivier Nakache s’attaquent à la question de l’inconscient. Et, ils reviennent sur une période marquante de notre histoire. En thérapie, la nouvelle série d’ARTE, explore l’impact que peut avoir un traumatisme collectif sur les angoisses individuelles. Un sujet qui résonne avec la période de bouleversements actuelle. Les conflits internes des personnages constituent le cœur de l’énigme. Une série singulière et émouvante, portée par des acteurs admirables de sensibilité.
Thérapie sur le divan du docteur Dayan
Paris, novembre 2015. Au lendemain des attentats du Bataclan, cinq patients en état de choc se confient au docteur Philippe Dayan. Ils sont en crise existentielle. Si leurs angoisses sont antérieures aux attentats, la situation de chaos a réactivé les traumas.
Chacun a son histoire personnelle et ses raisons d’aller mal. Chacun a son propre rapport à la thérapie. Certains font semblant de ne pas y croire, pour ne pas admettre leur fragilité. Mais au fond, tous recherchent la même chose: qu’un professionnel les aide à mieux comprendre qui ils sont, et leur révèle certaines vérités qu’ils se cachent à eux-mêmes. Car en analyse, le rapport à la vérité est complexe. Il y a ce que l’on vient dire, et ce que l’on vient ne pas dire à son analyste. Tout en espérant qu’il le remarque. Empathique et bienveillant (en apparence), Philippe Dayan tente de porter l’inconscient à leur conscience.
Thérapie collective
Les angoisses qui se jouent dans le cabinet du Docteur Dayan sont universelles. La vie qui abime et dénoue les liens. L’angoisse du temps qui passe. La peur de la mort, particulièrement prégnante dans ce climat de chaos. En thérapie parle d’individus en souffrance, qui cherchent à démêler les nœuds de leur existence. Des hommes et des femmes incapables de prendre certaines décisions, et qui s’empêtrent dans leurs contradictions. Le tout dans une société choquée qui a connu l’horreur. Mais aussi, une société ultra-connectée où paradoxalement, la communication entre les individus est de plus en plus difficile. Il y a un peu de nous-même, en chacun de ces patients. Témoin privilégié de ces moments d’intimité, le téléspectateur peut lui aussi se plier au jeu de l’analyse. Et suivre une thérapie par procuration.
La nuit la plus longue de leur vie
Ariane vient de passer “une très très longue nuit à lutter contre la mort”. Pendant quarante-huit heures, elle a opéré non-stop les blessés des attentats. Mais elle refuse l’admiration. “J’ai fait mon job” dit-elle froidement, comme pour mettre à distance ce qu’elle vient de vivre. Adel, lui, est flic. Chef de groupe pour le BRI. Il est entré au Bataclan juste après le massacre, alors que les terroristes étaient encore à l’intérieur. Dayan l’interroge sur ce qu’il a vu, et vécu. “Que vous est-il arrivé là-dedans?”. Comme Ariane aux urgences, c’est le silence qui a d’abord frappé Adel. Un silence de mort. Comme Ariane, il ne veut pas qu’on dise qu’il est un héros. Comme Ariane, il parle de “job”: “On est formés et payés pour ça”. Un “nous” qui le protège de ses émotions personnelles. Et surtout, Adel n’a pas le droit de flancher. Pas maintenant.
Dans le déni
Adel et Ariane refusent d’admettre l’évidence : ce qu’ils ont vécu les a profondément marqués. Pourtant, Ariane prétend que la crise avec son compagnon n’a rien à voir avec les attentats. Quant à Adel, Dayan il le “voit venir”, avec ses bottes de psy. Une phrase qu’il répète plusieurs fois pendant la séance.
Damien attend sa femme Léonora. Ils font une thérapie de couple. Elle est en retard, ne répond pas au téléphone, ce qui met Damien hors de lui. “Au lendemain des attentats, elle met son portable sur silencieux !”. Il appelle le bureau de Léonora et la secrétaire lui apprend qu’elle est partie en début d’après-midi. “Seule?” demande t-il, angoissé. Damien est dans le déni d’une vérité qui crève les yeux : il est malade de jalousie. Il finit par appeler sa belle-mère, qui ne sait pas où est sa fille. Mais évidemment elle s’inquiète, rappelle, et Damien prend des airs excédés: “J’ai ouvert les vannes de l’hystérie maternelle”.
Rancœur et culpabilité
Deux sentiments qui vont si bien ensemble… Alors qu’il venait d’entrer au Bataclan, une main s’est accrochée à la jambe d’Adel. Une main émergeant des “tas”. Mais il ne s’est pas arrêté. C’est le protocole. La BRI sécurise et ensuite les secours interviennent. Adel s’accroche au protocole comme à une bouée de sauvetage. N’empêche, Adel s’en veut et depuis, ce moment ne le quitte pas. Il s’en veut aussi d’être là, en thérapie, alors que les terroristes sont toujours dans la nature. Puis un souvenir refait surface. A la mort de sa mère, il en a voulu à son père de ne pas avoir craqué.
Ariane, elle, culpabilise d’avoir eu envie d’un autre homme que Cédric, son compagnon. A qui elle reproche de lui avoir lancé un ultimatum “au plus mauvais moment”: vivre ensemble ou se séparer. Elle est en colère, Dayan tempère: “Après un trauma majeur, les gens sont dans l’effroi et ont besoin de se raccrocher à quelque chose”.
Thérapie de la colère
“Je ne suis pas angoissé, je suis en colère” dit Adel. En colère contre son impuissance face à l’horreur, contre les politiciens, les bobos humanitaires, les intellectuels comme Dayan, enfermés dans leur monde et qui n’ont rien fait pour empêcher “ça”. En colère contre lui-même, car il sent qu’il perd le contrôle. Adel va mal, mais il n’a pas le temps d’aller mieux, il a à charge des vies humaines. Il y a urgence. Il est venu voir Dayan pour qu’il lui trouve une solution, après tout c’est “son job”.
Ariane est en colère contre Cédric. Camille contre sa mère. Léonora contre Damien qui ne comprend pas qu’elle ne veut pas d’un nouvel enfant. Dayan contre sa femme, une “mère phallique” qui étouffe leur petit garçon de onze ans… Les attentats ont réveillé une colère qui s’exprime tous azimuts.
Difficile de parler de soi
Ces patients partagent la même difficulté à dire des choses sur eux. Et des choses objectives. Camille, jeune-fille de seize ans qui “de base” n’était pas venue parler d’elle. Suite à un accident de vélo, Camille a besoin d’une contre-expertise pour les assurances, certifiant qu’elle n’est pas suicidaire. Camille fait penser à Adel, qui aimerait que Dayan devine qui il est sans avoir à parler de lui. Un peu comme les voyantes, qui peuvent prédire le destin d’individus rien qu’en voyant une photo d’eux.
Léonora, elle, déclare qu’elle ne veut pas garder le bébé, et devant les mines déconfites de Dayan et Damien, éclate de rire: “C’est bon, j’ai été assez convaincante?”. Elle prétend qu’elle a joué un personnage, qu’elle a exagéré ses peurs mais ce qu’elle vient de dire est probant. Comme pour Adel, Camille et Ariane, quelque chose en elle avait besoin d’être entendu.
La rencontre avec soi-même
Camille est championne de natation, elle fait partie des sélections pour les prochains JO: “Je ne suis pas dans la merde”, lâche-t-elle. Des mots qui en disent longs sur ses conflits intérieurs. Même si elle dit être habituée à la pression, Dayan n’y croit pas. Camille aurait-elle provoqué cet accident pour échapper à une responsabilité trop lourde pour elle?
“Ici, on peut avoir de grands moments de vertige” dit Dayan à Camille. Vertige de la révélation des désirs inconscients qui échappent à notre conscience. Vertige de la rencontre avec soi-même, cet “être” que nous croyons connaitre mais qui reste bien souvent un mystère. Prendre conscience des motivations qui nous poussent à agir est une découverte qui peut faire vaciller. “Ce qui arrive dans ce cabinet aux patients, c’est pas toujours ce à quoi ils s’attendent. Et ça fait pas toujours plaisir” prévient Dayan.
En quête d’un regard
Tous cherchent un regard extérieur sur eux-mêmes pour dénouer leurs conflits internes. Et pour sortir de leurs angoisses et de leurs contradictions. Mais aussi un regard qui les rassure. Dans le cas de Damien et Léonora, qui se déchirent sous les yeux de Dayan, c’est une demande d’assentiment. Ce couple désuni voudrait que leur thérapeute choisisse à leur place. Doivent-ils garder l’enfant que Léonora attend?
Ou au contraire, une demande de désapprobation. Comme Ariane, qui raconte à Dayan ses frasques avec un infirmier dans un des bureaux de l’hôpital. Ariane culpabilise et attend de son analyste qu’il soit dégouté par son récit. Peut-être cela la rassurerait-elle. Mais Dayan ne rentre pas dans le jeu des émotions. Ce qu’elle a fait, Ariane appelle ça “le coup de queue après le coup de scalpel”. Dayan le nomme plus élégamment “la pulsion de vie”.
L’analyste analysé
Les psys ne sont pas à l’abri de dérailler. Et c’est parce qu’il sent qu’il va dérailler que Dayan contacte Esther après douze ans de silence. Esther est psy, et c’est une amie. Pendant dix ans, elle a été son “contrôleur”. Dayan a suivi une thérapie avec elle. C’est le protocole. Sauf que depuis Esther, il n’a plus de contrôleur. Mais il ne lui dit pas tout de suite. Il commence par lui parler de sa lassitude. Il a perdu le “goût”, trouve tous ses patients prévisibles. Puis il enchaîne sur ses problèmes de couple. Le soir des attentats il cuvait après s’être disputé avec sa femme. Pendant que Paris était à feu et à sang. Culpabilité. Écouter ses patients a provoqué une prise de conscience chez lui. “Je suis resté trop longtemps coupé du monde et le réveil est brutal”. Le voilà en colère.
En thérapie
Adaptée de la série israëlienne “BeTipul”
Réalisée par Eric Toledano et Olivier Nakache
Avec Frédéric Pierrot, Mélanie Thierry, Reda Kateb, Céleste Brunnquell, Carole Bouquet, Clémence Poésy, Pio Marmaï.
Diffusée sur Arte les jeudis à 20h55 jusqu’au 25 mars.
L’intégralité de la saison 1 est à retrouver sur Arte.fr
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