Paul McCartney le considérait comme son « second père » : George Martin est décédé ce mercredi à l’âge de 90 ans. Il a signé les Beatles en 1962 chez EMI, alors qu’aucun autre label ne voulait d’eux à l’époque. Il laisse alors une trace profonde et différenciatrice dans la carrière des Fab Four, à travers les innovations musicales qui agrémentent ça et là les morceaux, et les trouvailles techniques qui permettent aux groupes de satisfaire leurs soifs de créativité, notamment à la fin de leur carrière. Voici quelques exemples de contributions qui ont fait des Beatles un groupe encore plus exceptionnel que leur talent de composition ne l’était déjà.
« Please Please Me » – 1963
Cette période des tous débuts est harassante pour le jeune groupe : ils enchainent les concerts nuit et jour, ne dorment que très peu et sont tout le temps enrhumés. Malgré cela, le single « Please Please Me » est enregistré avec de bonnes conditions vocales. Par ailleurs, George note l’aspect grivois des paroles (« fais moi plaisir ») et demande au groupe d’accélérer le tempo et d’y mettre plus de hargne. La musicalité y est également augmentée, puisque George suggère aux 4 membres de s’unir dans des harmonies (ça sera pareil dans « Twist And Shout » et « Love Me Do » qui arrivent juste après) et fait ajouter un harmonica. Et ça paye : le premier n° 1 du groupe et la frénésie qui s’en suit (la Beatlemania et la British Invasion) doivent aussi à l’intervention du producteur.
In My Life (1965)
Enregistré dans le cadre de l’album « Rubber Soul », ce morceau à l’allure d’une ballade et aux paroles nostalgiques (John Lennon faisait un peu son premier bilan dans sa vie) n’aurait pas eu la réputation escomptée si un petit passage « à la Bach » joué au piano par George Martin himself n’y s’était pas glissé. Comme le tempo était trop rapide pour le style baroque recherché, il joua cette phase deux fois plus lentement et une octave en dessous, puis il accéléra la séquence de manière à ce que le tempo soit celui du morceau, et que les notes soient aussi dans la tonalité. Ce qui sonne comme un délicieux clavecin qui interrompt à merveille le cours un peu mollasson du morceau (ci-dessous à 1:28). Un esprit génial ?
Tomorrow Never Knows (1966)
De l’album « Revolver », ce morceau est peut être un des plus influents du rock moderne. De par ses techniques d’enregistrements révolutionnaires (détournements des « bruits » issus des compresseur et hauts parleurs, magnétophones en accélérés, bruitages et utilisation inédite de boucles et de samples…) et sa tendance goa (George Harrison y joue de sa tempura indienne), « Tomorrow Never Knows » parvient à déconstruire les schémas pop pour les réinventer : le standard « Couplet / refrain » est relégué définitivement au rang de relique. Permis aussi par l’inventivité de l’ingénieur du son de l’époque Geoff Emerick, le rock psychédélique naissant et futur, le rock indé et expérimental, le post rock, et même la techno doivent beaucoup à ce seul morceau. Rien que ça.
I am the Walrus (1967)
Ce morceau qui fait partie de « Magical Mystery Tour » est illustre de l’influence de George Martin sur la musique des Beatles : cet amoureux de la musique classique et des instruments va s’en donner à coeur (choeur) joie. Le morceau aux paroles absurdes et surréalistes (inspiré d’un poème de Lewis Carroll) contient des arrangements de cordes et de choeurs tous azimut, orchestré par George Martin. Via ces moyens, il y ajoute l’ambiance assez foutraque qui caractérise cet exquis morceau. La voix de John Lennon étant par ailleurs transcendé grâce au travail du producteur, George Martin va vraiment faire basculer le groupe dans une dimension romanesque et théâtrale, et qui, couplée à l’imagerie du film « Yellow Submarine » qui va suivre après, place le groupe comme une pièce maîtresse de l’histoire de la pop culture. Un exemple de l’influence de son travail est Oasis qui usa de ce type d’arrangement de cordes et de piano dans pas mal de leurs tubes « Whatever », « Don’t Look Back In Anger », etc…
A Day In The Life (1967)
Clôturant l’album « Sergent Pepper », considéré comme le premier « concept album », « A Day In A Life » est une des pièces maîtresse du groupe. La structure de la chanson, une touchante ballade chantée par John Lennon, perturbé par la mort d’un de ses proches, est au départ très classique. Mais passé le premier couplet, John Lennon aimerait une tension particulière, que le groupe ne parviendra pas à reproduire de manière satisfaisante. C’est là qu’une idée folle traverse l’esprit de Paul MacCartney, que George Martin n’approuve pas au début : faire jouer plusieurs orchestres à 2 reprises dans la chanson, simplement en leur demandant de jouer les notes dans l’ordre (de la plus basse à la plus aigüe). L’enregistrement devient véritablement mythique, puisque il va durer, juste pour cette chanson, 34 heures, que les studios d’Abbey Road sont transformés en véritable capharnaüm, et que les séquences de montée orchestrale vont faire l’objet d’autres trouvailles et techniques dépassant l’imagination pour produire des effets sonores inédites.