Après une séparation et cinq ans de silence, Nasser revient nous faire transpirer sur les devants de scène avec leur troisième album The Outcome sorti en mars dernier. Rencontre avec Nicolas Viegeolat, le chanteur-batteur du groupe.
Cela fait 10 ans qu’ils arpentent les scènes de France. Enfants du rock et de la musique électroniques, Nasser est un groupe qui, lentement mais sûrement, fait son bout de chemin. La recette de leur électro-rock est terriblement simple : une batterie, un beat, une guitare et du chant crié. Le trio marseillais devenu duo est clairement taillé pour le live, développant une énergie rare. Car avec Nasser, la claque se prend derrière les crashs barrières. Il est rare que le public transpire moins que le groupe devant cette musique oppressante et libératrice. Avec la sortie de leur troisième album The Outcome en mars dernier, le groupe entame une nouvelle tournée marathon. Ils étaient de passage au Connexion Live de Toulouse, on ne pouvait pas manquer l’occasion de leur poser quelques petites questions.
Nicolas, c’est quoi la genèse de Nasser ?
C’est un groupe que l’on a monté il y a une dizaine d’années. Nasser c’était trois pots à l’époque. Moi je faisais de la réalisation avec Romain, qui nous a quittés depuis, et Simon qui travaillait avec nous et faisait nos musiques de films. Un soir on a décidé de monter un groupe parce qu’on avait tout le package autant visuel que sonore. On avait surtout envie de revenir avec un groupe qui mélangeait l’électro et le rock, avec sur scène des beats électro, des claviers et surtout une batterie, du chant crié et une guitare. On a fait trois albums et beaucoup de dates, près de 300 sur les deux premiers albums. Fin 2015 on a fait une petite pause pour reprendre un peu d’envie et surtout faire autre chose pour revenir plus frais. On avait envie de revenir voir le public, sentir la transpiration.
Peux-tu nous en dire plus sur votre séparation avec Romain ?
C’est la vie, nos chemins se sont séparés. C’est aussi pour ça que l’on a fait une pause, on avait besoin de prendre du recul sur tout ça. On n’avait jamais décidé d’arrêter complètement Nasser, ce n’était pas le but. Surtout quand tu as un groupe qui fonctionne aussi bien en termes de composition, d’énergie sur scène. On est un peu des frères d’arme depuis tellement d’années. On a décidé de revenir, seulement à deux. On n’avait pas envie de chercher un nouveau membre, ça ne nous intéressait pas parce qu’avec Simon on avait un mode de fonctionnement qui marchait très bien. Sur l’album on est un duo mais sur scène on est un trio.
Dans le chant, je suis parti vers des endroits où je n’avais pas l’habitude d’aller.
Pourquoi mettre autant de temps pour revenir sur scène ?
Il y a beaucoup de groupes qui prennent pas mal de temps. Je vais en citer un mais eux peuvent se le permettre : Daft Punk. Ils ont des pauses temporelles assez hallucinantes. Nous, on est un groupe qui fonctionne dans une énergie rock très forte, dans la spontanéité. On a eu besoin de cette pause pour revenir à des fondamentaux et à de nouvelles choses, de nouvelles envies. Moi j’ai fait énormément de réalisations car c’est mon deuxième métier. Simon, plus dans la musique, a monté d’autres projets comme Husbands. On n’était tout de même pas loin l’un de l’autre puisqu’on bosse dans le même studio. On est revenu avec peut-être un savoir-faire de production plus maîtrisé, l’envie de faire un album plus conceptuel, comme un véritable album qui tu écoutes à la maison. Pas un enchaînement de chansons. Ce que l’on avait essayé de faire sur les premiers mais pas autant abouti car moins dans la spontanéité. On a eu plus le temps de composer une vraie structure, de raconter une histoire, de tester des choses différentes dans le chant. Je suis parti vers des endroits où je n’avais pas l’habitude d’aller.
Cet album a également une touche japonisante
On a toujours été très fan de Japon depuis des années. J’ai fait du dessin animé pendant des années, j’ai une grosse culture de shimabara japonais. S’il y a Kaori Ito sur l’album c’est parce que depuis des années, j’avais envie de voir les morceaux avec une histoire et une sorte de narrateur improbable. Kaori, je l’ai rencontré dans une résidence d’artistes où j’avais bossé. C’est une grande danseuse contemporaine et chorégraphe. On s’est bien entendu et je lui ai parlé de notre projet Nasser et de cet album. Elle était ok et est venue enregistrer en studio des textes que je lui avais écrit et qui sont l’histoire d’un film de genre, conducteur de l’album, qui répondent aux clips qui vont sortir les uns après les autres.
Justement, que racontent-ils ?
J’ai fait quatre clips pour le moment qui racontent une histoire un peu étrange avec des mecs qui pourchassent des gens, tu ne sais pas trop d’où ils viennent. Aujourd’hui, dans ces moments de troubles médiatiques où il se passe tellement de choses, les gens ont du mal à être bousculés. Moi j’aime bousculer les gens. Nasser c’est une musique un peu sombre. On a toujours joué des problématiques pas forcément toujours joyeuses, pas tristes mais ce ne sont jamais des chansons d’amour. Pour l’instant, le premier clip Love n’a pas choqué mais les gens se sont demandé où nous allions. Du coup, on a choisi de sortir The End. Je pense que je vais en tourner un cinquième qui va clôturer cette histoire, on va le sortir en monde court-métrage. Il y a une vraie narration parce que j’aime ça, j’aime raconter des histoires, comme dans notre musique. Sur cet album, on a une structure qui raconte une histoire, en tout cas qu’on la vive comme si on était au cinéma.
Selon toi, quelle est l’identité de Nasser ?
J’ai clairement réfléchi sur ce que représentait Nasser pour nous, sur ce que l’on était sur scène, avec nos albums et dans nos clips. Pour moi, c’est ce moment où un truc te dérange, quand tu as une espèce de rage qui monte et tu te dis « j’aimerais faire ça, parce que ça m’a gonflé », cette espèce de poussée de colère qui te permettrait de pousser des murs ou de couper court à une situation. Pour moi, Nasser c’est cette émotion-là. Cette émotion brute qui vient du fin fond des âges. Cette espèce de rock’n’roll qui te pousse à exploser.
Nasser c’est cette émotion brute qui vient du fin fond des âges. Cette espèce de rock’n’roll qui te pousse à exploser.
D’où puisez-vous vos influences ?
Elles sont multiples. Nasser, c’est la musique que l’on a toujours voulu faire quand on était gamins. Une musique qui mélange Nirvana, les Beasties Boys, les Ramones, Joy Division, les Béruriers Noirs, etc. Plus contemporain tu as LCD Soundsystem ou Soulwax qui peuvent se rapprocher de notre musique. C’est de la musique qui est entière, qui peut toujours s’apparenter avec du rock. Quand on cite Daft Punk, c’est surtout Homework. Quand il est sorti, c’était vraiment le premier album de musique électronique qui pouvait s’écouter comme un album de rock. Il arrivait à faire la jonction entre un public de musique électronique et un public rock. Quand tu mets Rollin & Scratchin dans une soirée, tout le monde va se retrouver sur le dancefloor et se mettre la race dessus parce qu’il y a une énergie brute.
Quand on monte sur scène, c’est comme un 100 mètres, on ne lâche rien quoi qu’il arrive.
Tout le monde le dit, Nasser ça s’écoute en live. Pourtant cet album est, dans un sens, plus apaisé.
Cet album est plus taillé pour s‘écouter à la maison. Et c’est vraiment ce que l’on avait envie de faire. Mais quand on a monté le groupe, on avait clairement envie de monter sur scène. Le prétexte de notre musique, c’était de monter sur scène et de faire les cons. On aime ça, jouer sur scène, se dépenser. Quand on monte sur scène, c’est comme un 100 mètres, on ne lâche rien quoi qu’il arrive, que ce soit à 20h ou 2h du matin, devant deux personnes ou 25 000, l’enjeu est le même : livrer une performance qui nous transcende et qui transcende le public. Parce qu’on aime ça, cet échange. C’est un peu les fondements même du rock : de monter et d’en donner pleins la gueule au public. C’est une sorte d’exutoire, d’exorcisme, c’est ultra-tribal. Quand on monte, on vit toujours des moments complètement à part, on est pris d’une énergie, on ne sait pas d’où elle vient.
Quelles histoires voulez-vous raconter avec votre musique ?
Ce sont des histoires d’outsiders, des gens un peu à côté de la plaque. On a toujours été séduit par les loosers, des mecs pas forcements dans la lumière, des mecs de l’ombre. Nasser ça a toujours été ça, des mecs qui essaient de se démener dans la vie et qui ne finissent pas toujours avec des fins heureuses. C’est étrange parce que ce sont des choses très visuelles et que l’on a du mal à expliquer avec des mots. Les quatre clips que j’ai faits (The Outcome, Love, Rupture et The End), pour moi, sont une sorte de fil conducteur d’émotions qui se passent. Quand on parle d’amour, ce n’est pas forcément l’amour charnel, ce sont plus des chauds/froids. The Outcome, le dénouement, c’est le moment dans un film où tu penses que tout va exploser, que les intrigues vont commencer à se délier. Love, il y a un sentiment d’amour qui est de suite cassé par une rupture et qui finit par la fin, sans forcément d’échappatoire, où s’il y en a une, il faut sacrément courir. C’est clairement une métaphore de la vie d’aujourd’hui.
Vous dites venir du système D, mais c’est quoi le système D ?
Parce qu’on fait tout nous-même. Ne pas forcément attendre de l’aide ou de l’argent. Aujourd’hui pour nous c’est moins dur qu’avant parce que le groupe est établi, on a beaucoup de gens qui nous suivent. Ce qui est compliqué, c’est de défendre ses idées. De rester fidèle à ses idées sans que des gens arrivent à te travestir car souvent ce sont eux qui ont l’argent pour faire sortir ton œuvre. Il faut être implacable et sans concession pour durer. Le système D, aujourd’hui et qu’il arrive, même si tu as du pognon, tu y es un jour confronté pour la simple et bonne raison que tes idées sortent de toi. Les expliquer à quelqu’un qui va te les retranscrire, il va avoir une sorte de prisme où tes idées vont commencer à se fragmenter. Voilà pourquoi le système D te permet d’avoir une idée qui reste jusqu’au bout la plus brute possible.
On est des marathoniens. On a 10 ans de carrière et on continue.
Comment vois-tu l’évolution du groupe ?
Rudy de Nova disait : Nasser, ce n’est pas un groupe qui fait de vagues, ce n’est pas un truc qui a une hype directe mais c’est un groupe qui monte doucement, tranquillement et qui n’arrête pas de monter. Rudy, pour les Nuits Zébrées à Nantes, nous a bookés sans même écouter l’album. Nasser c’est ça, on est des marathoniens. On a 10 ans de carrière et on continue. Combien de groupes on a croisés sur la route qui étaient dans la lumière et une fanfaronnade et qui n’existent plus aujourd’hui. Tant que tu as des choses à raconter, ça peut tenir.
Pour ne pas louper Nasser en concert, c’est par ici.