Alors que Jazz est vu par beaucoup comme un style musical démodé, grabataire, voir mourant, l’espoir d’un vent de fraîcheur nous est né. Si certains le surnomme déjà « Le Messie » du Jazz moderne, Jacob Collier est, à l’âge de 22 ans, devenu le centre de l’attention mondiale de par son talent hors normes. Il symbolise la relève d’un genre qui semblait s’éteindre peu à peu. Votre spécialiste Jazz JUSTFOCUS vous le présente succinctement.
De l’espoir.
Le Jazz fait partie de ces styles qui, dans l’esprit de la plupart des jeunes, est une musique trop complexe pour valoir la peine de s’y intéresser. Les moins jeunes, pour faire de la périphrase, s’ils daignent essayer, voire apprécier, se cantonnent souvent aux éternels incontournables. L’appréhension collective à tenter l’écoute d’un morceau ressemble étrangement à la peur de s’essayer à une langue morte. C’est un peu le latin de la musique. Cela effraie les jeunes, évoque une certaine nostalgie chez les plus vieux, voire largue complètement les autres.
Pour aller droit au but, et pas forcément à Marseille, l’opinion générale n’envisage aucun espoir de renouvellement, de progression, ou encore de résurrection dans ce monde d’une autre époque. Est-ce illogique ? En aucun cas, c’est même très compréhensible. Qu’il lève la main celui qui pense avoir trouvé un remplaçant pour Herbie Hancock… Ou bien un équivalent de Miles Davis. Quelqu’un aurait-il rencontré le nouveau Jaco Pastorius ? Soyons raisonnable voulez-vous.
La découverte.
Mais, ne serions-nous pas en train de nous contredire ; les irremplaçables sont intouchables, mais l’avenir du Jazz est assuré ? Eh bien oui. Jacob Collier n’est pas le futur Bill Evans, le prochain Charlie Parker et encore moins le nouveau Buddy Rich. Jacob, c’est Jacob. Et c’est déjà suffisant, croyez-moi. Et puisqu’on ne commence pas par la fin de manière générale, parlons des débuts du jeune Britannique.
Tout commence sur Youtube (pour changer). Plateforme incontournable de popularisation des talents, c’est un certain Quincy Jones qui va « découvrir » Jacob sur l’application aux fenêtres rouges. Et non, je ne vais pas vous parler d’un môme qui, porté par les espoirs de sa famille, s’enregistre désespérément dans l’optique de faire le Buzz sur le Net. On peut d’ailleurs raisonnablement penser que le producteur le plus influent de l’Histoire de la musique ne parierait jamais 50 cents là-dessus. C’est un jeune garçon de 16/17 ans, fluet et simple, au sourire communicatif et au talent aussi discret qu’infini qui saute aux yeux de Mr. Jones. Nous sommes en 2011/2012.
Un hommage à Stevie Wonder en guise de première apparition solo. Un hommage ai-je dit, pas un carnage. Les habitués des « Covers » traumatisants me comprennent. Mais vous apprendrez que Jacob réinvente les classiques, avec beaucoup de respect. Dès lors, si « Isn’t She Lovely » est brillamment basée sur une sublime succession de quatre accords (avec C # / F# / B / E : respectivement Do # / Fa # / Si / Mi en fondamentales), « l’Harmonizer », de son surnom, explore toutes les possibilités harmoniques du morceau et lui offre une nouvelle vie. À l’aide de nombreuses suites d’accords, complétées par tout un tas de résolutions (accords de passage permettant de faire la liaison entre les accords sur lesquels sont basés l’harmonie générale de la mélodie, et de rendre lisses et agréables les transitions), il déploie des trésors d’arrangements qui redonnent un tout autre ton au morceau. Tant et si bien que la chanson lui appartient, le temps de sa performance.
Si vous connaissez bien ce classique de la chanson Américaine, cette version peut vous paraître déroutante. Alors asseyez-vous confortablement, écoutez dans de bonnes conditions audio, et soyez attentifs. La profondeur et la richesse des arrangements sont à méditer. Une véritable leçon que nous, amateurs, confirmés et professionnels, recevons de la part de ce jeune autodidacte sans prétention. Aussi, vous ne manquerez pas de remarquer qu’il porte autant de chemises qu’il superpose sa voix ; chaque chemise étant elle-même accompagnée d’une coiffure qui varie.
Le Multi-instrumentalisme.
Brisons la glace dès à présent. Ce n’est pas un grand chanteur. Il ne recherche aucune performance vocale. Il utilise sa voix comme un génie. Sa voix est un des nombreux instruments dont il a une impressionnante maîtrise. Qu’est-ce que cela change ? Tout. Jacob est ce qu’on pourrait appeler un « multi-instrumentaliste ». Il use d’autant d’instruments que ses arrangements l’imposent. Dès lors, s’il est un véritable maître du piano/clavier, techniquement et harmoniquement, son niveau à la basse (et la contrebasse) en laisse plus d’un pantois. Guitares en tout genre, percussions en nombre, de l’accordéon au mélodica (petit piano soufflant d’une quarantaine de touches), en passant par la batterie et j’en passe ; tels sont les quelques 20/30 instruments (selon que l’on distingue les catégories et les genres) que Maestro Collier a dans les doigts.
Vous avez dit autodidacte ? Oui, c’est ce que j’ai dit. Jacob a appris la musique dans sa chambre. Cette chambre, ou plutôt cette « pièce » (le lit, je ne vois pas où le mettre là-dedans) est remplie d’instruments. « C’est l’endroit où je me sens le mieux au monde », explique-t-il. Sa mère, excellente violoniste, professeur reconnu, impose la culture de la musique depuis toujours dans la maison. Il est né dedans, dirait-on. Alors, entouré de ces objets brillants, il s’est essayé à tout. Et cela fonctionne plutôt bien non ?
Compositeur / Performer / Chanteur / Producteur / Inventeur ?
Maintenant il faut se mettre à la place de Quincy Jones (oui je sais, pas évident). Tous ses compagnons de studio s’en vont les uns après les autres, ses plus fidèles amis et plus proches collaborateurs. Le dernier en date étant nul autre que l’immense Rod Temperton. Un de ses principaux soucis relève de la passation de pouvoir, s’assurer de la bonne transition pour l’avenir du Jazz moderne, et les générations futures. Alors, lorsqu’il sort Jacob de l’ombre, c’est pour lui une bouffée d’air frais. « Jacob fait partie des plus grands talents de ce monde. Il nous faut les chérir tous ». Ces mots sont bien pesés.
Après de multiples apparitions pour des covers, en tant que « Guest Artist » (invité à jouer avec d’autres groupes/musiciens), notamment pour I Wish avec le WDR Big Band / sessions avec Snarky Puppy / Jamie Cullum, ou Jacob s’est illustré tant dans sa capacité à improviser sur tous les styles, à performer pour n’importe qui et dans n’importe laquelle des situations, le temps étant venu pour un premier album solo. « In My Room » (pour rappeler son apprentissage musical intime) sortait le 1er Juillet 2016 dernier, et confirmait son statut de nouvelle grande figure du Jazz.
Dans cet album : Jacob chante tout, joue tout, invente tout, arrange tout, et compose tout (à l’exception de « In My Room », « You and I » et « Flinstones », reprises qu’il a réinventées à sa manière). « Je voulais cristalliser ce que c’est d’être Jacob à 22 ans. Je souhaitais tout faire moi-même pour garder ce souvenir personnel et intime, m’exprimer seul », confie-t-il. C’est pour cette raison qu’il va même jusqu’à être son propre producteur. Je ne crois pas qu’un couteau-suisse ait autant de fonctionnalités. Ce n’est pas fini. Au Jazz FM Award de Grande Bretagne en 2016, Collier reçoit un prix particulier. Il est fait lauréat de la « Digital Initiative of the Year », prix décerné en référence à sa collaboration avec le MIT Media Lab pour la création d’un nouvel instrument de musique. En effet, pour recréer le plus fidèlement possible le principe de ses premières vidéos sur Youtube (à savoir la superposition de nombreuses voix pour créer accords et arrangements), le MIT lui fabrique un clavier, relié directement à son micro, lui offrant la possibilité de décupler sa voix en autant de notes qu’il presse en même temps sur le clavier.
Explications : Jacob chante la ligne mélodique de base d’un morceau. Mais, parce que son génie de construction harmonique lui impose de complexifier les accords et de remplir les temps de pause par des résolutions à n’en plus finir, cette ligne mélodique, chantée par lui, va se décupler, se multiplier en autant de touches, de notes dans l’accord qu’il va jouer. Dès lors, s’il chante un LA (A) et souhaite un chœur de La Mineur (Am), il garde sa note chantée en LA et presse les touches LA (A) Do (C) Mi (E) – notes qui forment l’accord basique du LA mineur – et se retrouve multiplié, comme si un chœur l’accompagnait en direct. Ça, c’est grand.
Les projets de Jacob Collier, l’avenir.
Si j’avais un conseil à vous donner, je vous dirais d’acheter deux fois son album. Un pour l’écouter, le graver, le mâchouiller et puis le reste vous regarde. L’autre, pour le conserver sous cellophane, car les chances qu’il prenne une très grande valeur (si non fiduciaire, alors pour les collectionneurs) sont indiscutables. L’artiste talentueux est de surcroît très actif (peut-être même hyperactif ?). Parallèlement à la sortie de son « Debut Album », il s’est fait une bonne tripotée de fidèles à travers divers projets tous plus fous les uns que les autres.
#IHarmU en est un bel exemple. Adulé dans le monde pour sa vision infinie des arrangements, il a l’idée de faire participer ses fans. Le jeu est simple : « Vous m’envoyez une vidéo de vous en train de chanter, soit une mélodie à vous, ou bien votre chanson préférée, n’importe quoi, etc. Mais surtout sans « harmonie » (c’est-à-dire dénuée de tout ou partie d’intervention d’instrument et d’arrangements, accords, basses, etc…). Et moi, je vous HARMONISE (d’où le #IHarmU). » L’idée a fait fureur, tant et si bien que des personnalités se sont prêtées au jeu (comme Jamie Cullum). Et pour décoiffer, ça décoiffe.
Devenu le protégé de Herbie Hancock, Chick Corea, Quincy Jones et même notre cher Stevie Wonder, Jacob Collier enchaîne les festivals de Jazz (comme le très célèbre Jazz Festival de Montreux, lors duquel il fait en 2015 la première partie de… Herbie Hancock…). C’est pendant cette même session qu’il présentera son « Harmonizer », qui décuple sa voix. L’innovation a été reçue comme une prouesse technique exceptionnelle (ne pas confondre avec le « Vocoder », qui n’a pas les mêmes caractéristiques et vocations), et a été accompagnée par la projection du visage de Collier en autant de fois qu’il dupliquait sa voix. Il joue tous les instruments en live, sur scène, grâce au fameux « Looper » (machine permettant de créer des boucles à répétition, instrument après instrument, instantanément). Nous voilà de retour, vers le futur.
Il est en tournée à l’heure où je vous parle (façon de parler, ou d’écrire, je suis perdu). Parisiens, êtes-vous prêts pour la frustration ? Pas de concert complet à Paris. « Juste » une première partie le Dimanche 20 Novembre 2016 à la salle PLEYEL – Paris 8ème. Je sais, j’ai moi-même fait une dépression en l’apprenant. On s’en contentera pour l’instant. Mais le temps qu’il se fasse un public plus vaste dans l’hexagone viendra vite et nous l’aurons bientôt.
Je n’ai peut-être pas réussi à vous convaincre, j’en suis navré par avance. Alors, il ne vous reste plus qu’à vous faire votre propre idée. Ecoutez ce garçon, regardez un Live. Et peut-être arriverez à la même conclusion que ces gens célèbres :
Jacob Collier, selon :
The Guardian : « Stupéfiant et unique, le nouveau messie du Jazz ».
Herbie Hancock : « Wahhh, Jacob, ton truc, c’est dingue ! »
Quincy Jones : « Je n’avais jamais vu un talent comparable auparavant. Par-delà toutes catégories »
Pat Metheny : « Je suis un grand Fan… Beaux accords, arrangements magnifiques, superbe voix »
BBC Radio 3 : « Un musicien aux multiples talents, glorieux, extraordinaire ! »
Take 6 : « Mec, t’es tout simplement AU-DESSUS quoi ! »
Tower of Power : « Nous sommes de grands fan.. ! »
Peter Erskine : « Ta musique est légendaire Jacob, je voudrais être comme toi quand je serai grand » (il est vieux ce splendide batteur…)
Chick Corea : « Majestueux »
Incognito : « La huitième merveille du monde ! »
Et maintenant ça fait beaucoup, alors j‘arrête, même si je n’en dis pas la moitié.