L’Impératrice, c’est une musique au groove exalté et chaloupé, un visage aux multiples facettes musicales et teinté d’une sensualité suave. Le règne de L’Impératrice ne fait que commencer.
(Interview réalisée en décembre 2018)
De passage au Bikini de Toulouse, L’Impératrice revenait sur un terrain conquis. Presque un an après la sortie de leur premier album Matahari, les six compagnons de sa majesté sont en passe de terminer leur tournée. Il est donc temps pour JustFocus de faire le bilan avec le fondateur, Charles, et sa voluptueuse voix, Flore. L’occasion pour ce groupe indé d’expliquer sa vision de la musique et les dérives de son industrie, de son rapport aux médias, ses influences, ses rencontres, etc. Entre coups de gueule et coups de cœur, les sujets de L’Impératrice continuent de régner sur leur musique.
Vous êtes presque des habitués des scènes toulousaines ?
Charles : Pour le groupe, c’est la troisième fois que l’on vient à Toulouse. On avait fait le warm-up de Bon Entendeur il y a un ou deux ans avec Tom, le batteur. C’est à Toulouse que L’Impératrice a fait sa toute première scénographie. C’était au théâtre Garonne, pour un festival d’une association artistique hyper cool : Bakélite (en juin 2013 NDLR). Émile Sacré, celui qui a fait tous les visuels de Laurent Garnier dans ses clips, avait découpé dans du bois un ampli géant avec la typographie Marshall où il y avait écrit L’Impératrice. C’est également Bakélite qui fait les Siestes Électroniques à Toulouse.
Vous avez pas mal écumé les scènes de l’Hexagone cette année ?
C : Pas plus que les autres. Aujourd’hui, c’est intense de faire de la musique puisqu’à l’époque, faire des concerts, c’était un bonus. Tu vendais des disques, tu t’achetais une maison et si tu avais envie, tu faisais des concerts.
Vous avez également deux Olympias qui arrivent fin janvier…
Flore : Oui ! Ce sont deux grosses dates. C’est LE truc à faire en France et c’est un truc de dingue.
C’est toi, Charles, qui est à l’origine du projet de L’Impératrice. Comment as-tu rencontré les autres membres du groupe ?
C : J’ai commencé le projet en 2012 en composant un premier morceau tout seul. Puis j’ai commencé à chercher des musiciens pour le live. J’ai rencontré Hagni qui m’a présenté le batteur, qui nous a présenté le bassiste. Il s’avère qu’ils avaient tous en commun un pote qui est le guitariste actuel. Entre temps, j’ai rencontré Flore après la création du groupe, à la sortie d’un concert. On a discuté, elle est passée chez moi écouter des maquettes. Elle m’a renvoyé des essais, c’était pour l’Ep Odyssée. À partir de là, on a commencé à bosser ensemble, donc il y a eu deux vitesses et plusieurs visages.
Vous avez tous des formations différentes : jazz, rock, classique, etc.
F : Il y a même du baroque pour notre guitariste. C’est très varié, c’est ça qui fait le mélange d’influences que tu retrouves dans notre musique.
Six à bosser ensemble, ce n’est pas trop le bordel ? Quel rôle a chacun d’entre vous dans le processus de création ?
C : Assez simplement, l’un ou l’autre commence avec une idée qu’il propose aux autres. Cela part souvent d’une petite maquette instrumentale. Ensuite, on se met d’accord assez spontanément pour bosser dessus et tout le monde apporte son truc, chacun sa spécialité : Hagni va faire son arrangement de basse, Achille va trouver sa partie de guitare, Tom va trouver tout ce qui est rythmique et percussions, Flore une mélodie, etc. on avance comme ça. Parfois les maquettes sont déjà toutes faites. Sur l’album, il n’y a qu’avec le morceau Vacances que l’on est parti sur la mélodie de voix où j’avais vraiment un truc en tête et où, du coup j’ai construit l’instru dessus. Et puis il y a des morceaux où l’on a épuré pour mettre en valeur la voix de Flore.
Tu ne voulais pas de voix au début de L’Impératrice, qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis ?
C : J’avais besoin d’une marionnette, cinq mecs ce n’était pas assez sexy ! (rires)
En vrai, c’était hyper spontané. Au moment où j’ai rencontré Flore, je ne voulais toujours pas de chanteuse, mais j’avais vraiment bien aimé ce qu’elle avait fait sur d’autres morceaux. Je trouvais qu’il y avait une super vibe, que sa voix se posait super bien, qu’elle ne prenait pas de place. Je ne voulais surtout pas une chanteuse avec un coffre énorme ni quelqu’un de type variété. C’est hyper difficile de trouver un équilibre entre les deux.
Tu dis souvent que tu considères sa voix comme un instrument, cela signifie quoi pour toi ?
C : Elle a une voix qui ne prend pas de place et qui s’exprime en harmonie et en accord avec tout ce qui se passe autour. C’est ça une voix utilisée comme un instrument. Ce n’est pas une voix qui te fait dire que c’est une bonne chanson, c’est plus une très belle voix, une très belle mélodie.
F : Sur la moitié des morceaux, ma voix n’est pas en lead, elle est plus là en terme de chœurs pour faire des espèces d’ambiances.
Chose qui était devenue rare en France, beaucoup de vos morceaux sont chantés en français, est-ce un effet de mode ? N’est-ce pas un peu casse-gueule ?
F : Bizarrement, j’ai l’impression que cela s’inverse en ce moment. Maintenant, tout le monde le fait alors que quand on a commencé, c’était encore un peu risqué. Je viens du jazz où l’on chante principalement en anglais, je n’avais que très peu chanté en français. On en avait parlé avec Charles quand j’avais fait des mélodies pour les morceaux d’Odyssée et il m’a dit d’essayer en français. Je me suis lancé là-dedans et maintenant je trouve que ma voix sonne mieux en français.
C : Moi je ne trouve pas, c’est tellement différent. Il ne faut pas rejeter l’anglais qui est hyper cool. C’est juste beaucoup plus simple. Ce n’est pas du tout la même émotion entre le français et l’anglais.
F : C’est très dur de faire sonner le français. L’anglais, tu racontes n’importe quoi, ça marche, ce n’est que de la rythmique vu que c’est une langue très rythmique. Le français est bien plus exigeant. Sur l’album, on a eu du mal, on s’est butés sur les textes, ça a été très long. Parce que c’est tellement risible quand quelqu’un écrit mal en français. Je trouve ça affreux. Ça peut gâcher un morceau. Mais on n’est pas fermés à l’anglais. Notre album n’est pas encore sorti dans le monde, il sortira l’année prochaine avec des bonus en anglais. De toute façon on est Français, notre musique est française, nos mélodies sont françaises, nos instrumentaux sont français.
C’est quoi pour vous une mélodie française ?
C : Sans rentrer dans de la théorie musicale, c’est la même différence qu’il y a entre deux spécialités culinaires : cela dépend des ingrédients que tu vas mettre dedans.
F : Ce n’est pas quelque chose de descriptible, mais tu as des intonations, des façons de faire groover qui seront françaises. Par exemple, quand je fais mes mélodies, je les fais en yaourt. Si j’invente la mélodie en yaourt français ou en yaourt anglais, ce ne sera absolument pas la même. Je ne ferais pas tomber les mots de la même façon. C’est pour ça qu’il y a certains de nos morceaux que l’on ne pourra jamais faire en version anglaise.
Vous n’aimez pas les étiquettes, pourquoi ?
F : Qui aime ça au fond ?
C : Surtout qu’aujourd’hui, on est dans une espèce de multi-revivol où toutes les musiques se mélangent. C’est le principe de la musique aujourd’hui : plus personne n’a envie de faire du rock ou de la funk pure. Tout le monde aime faire des mélanges. Notre musique est fondée sur ce mélange. Dire que l’on fait de la pop, c’est super, mais le rap aussi c’est de la pop maintenant. Dans un rack pop tu auras Bagarre, L’Impératrice, Thérapie Taxi, Lomepal : quatre artistes qui ont quatre horizons différents. Voilà pourquoi on n’aime pas trop les étiquettes.
Charles, tu es un ancien journaliste ? Qu’est-ce qui t’a donné envie de devenir musicien ?
C : J’étais critique musicale même si j’ai un peu touché à tout. Ce qui m’a donné envie de changer c’était le fait d’écrire sur la musique des autres, ce qui est très compliqué, sans vraiment en comprendre les rouages. Je pense que c’était vraiment de la curiosité et j’avais quelques copains qui se mettaient à faire de la musique. Je mettais un pied dedans et on en parlait autrement. Ils avaient des notions que je n’avais absolument pas et qui étaient juste l’aboutissement de la composition. Peut-être que j’ai aussi fait de la musique pour légitimer mon propos. Le déclic, c’est quand j’ai été choqué une fois d’un article de Patrice Bardot (Directeur des rédactions de Tsugi magazine NDLR) sur un groupe qui s’appelait Exotica. Il avait chroniqué leur album en “Bouse du mois” alors qu’il était génial. Je trouvais ça dégueulasse. J’avais bien aimé le disque et je trouvais ça gratuit. Ce mec, mis à part traîner avec des rocks-stars ou des musiciens qu’il connaît, a-t-il vraiment la légitimité de dire que c’est la “bouse du mois”. Imagine, tu es un artiste, tu sors un album, tu as dépensé 150 000 € pour le faire et tu te retrouves dans un magazine où tu es “la merde du mois”.
F : Puis c’est tellement subjectif.
C : C’est le principe de la critique, mais je pense qu’il faut qu’elle soit juste, fédératrice et prescriptrice. Si elle ne remplit pas l’un de ces critères, elle n’a pas lieu d’être.
F : Et cela peut enfouir certains albums ou artistes qui mériteraient d’être connus. Par exemple, on a repris le titre Histoire d’un soir (Bye bye les galères) de Bibi Flash sorti dans les années 80. C’est un titre qui a fait un énorme bide et qui s’est fait détruire par la critique parce que l’on ne sait pas trop si c’est premier ou second degré. J’en avais parlé avec ma mère qui m’a dit que c’était trop la honte d’écouter ce morceau alors qu’il est génial, il y a un truc assez jouissif dans ce morceau.
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N’est-ce pas lié au contexte des années 80 ?
C : C’est vraiment ces morceaux de pop légère, qui essayaient de faire oublier la Guerre froide et tous ces groupes un peu New Wave, Cold Wave. Musicalement, c’était méga glauque ce qu’il se passait dans les années 80. Il y a eu une contre-génération de musiciens style Bibi Flash, Chagrin d’amour, etc. Toute cette nouvelle scène disco des années 80 a été rejetée parce que cela donnait de la légèreté à ce paysage alors que les gens ne voulaient pas ça. Ils ne voulaient pas de catharsis joyeuse. Aujourd’hui, ce sont des morceaux qui vieillissent, qui font partie d’un patrimoine et nous on déterre ça comme des lingots.
Votre premier album Matahari est sorti il y a presque un an ? Pourquoi avoir choisi ce personnage énigmatique ?
C : C’est un personnage qui a un côté très romanesque. Et L’Impératrice c’est ça, c’est juste l’affiliation avec ces femmes romanesques. L’Impératrice c’est l’épopée des sentiments. Et il n’y a pas plus belle épopée qu’à travers l’histoire des grandes femmes. Dans l’audace de personnage, de s’affranchir du patriarcat à cette époque-là, de mentir à tout le monde, de s’improviser espionne, danseuse, de remplir l’Olympia, de duper les gens, je trouvais ça assez fantastique de la glisser sous le chapeau de L’Impératrice. Puis elle a un côté multifacette comme notre groupe.
Pourquoi ne pas avoir sorti cet album plus tôt ?
F : De façon pure et simple, ça coûte hyper cher de faire un album. On est un groupe indé, on a signé chez Microqlima qui est un label indépendant avec peu de moyens. À partir du moment où on était chez eux, on s’est sentis plus apte à sortir un album. Mais quand bien même, cela reste un énorme budget. C’est aussi une question de s’exprimer autrement car pour un album, il faut avoir beaucoup de morceaux et quelque chose à raconter. C’est moins propice à l’expérimentation que les EP. L’album, on l’a sorti presque un an après l’enregistrement. Il faut tout préparer : la sortie, la promotion, le calendrier, etc. c’est un casse-tête énorme. Mais c’est aussi une super expérience. On a travaillé avec un réalisateur, on s’est exprimé différemment, on s’est avancés dans le format chansons que l’on n’avait pas trop travaillé avant avec des morceaux plus lents. C’est une expérience très intéressante mais très coûteuse en termes de temps et d’argent. Les gens ne s’imaginent pas forcément que c’est aussi long. Ça n’a rien à voir avec un EP, c’est une autre démarche.
C : C’est une prise de risque financière, éthique et esthétique parce que quand tu sors un album, tu crames un truc. Tu montes d’un étage et tu ne seras plus jamais dans la fraîcheur d’en bas. Le premier album est symbolique, il ne faut pas se chier. Même dans la tête des gens, tu as une excitation, une découverte.
F : Alors que paradoxalement, si tu ne fais pas d’album, les médias ne parlent pas vraiment de toi. Tu restes un groupe qui démarre, même si tu as fait 10 EP.
C : C’est bien français comme mentalité. Les gros médias ne vont jamais se bouger le cul dans une petite salle pour voir s’il y a un mouvement, de l’excitation autour d’un petit projet alors que c’est comme ça que cela devrait se passer. Alors que la musique c’est ça : n’importe qui peut mettre son track sur internet et essayer de se démerder avec ça.
F : Et les majors aussi. Elles poussent leurs poulains à faire des albums directement parce qu’il y a beaucoup de budget.
C : Il n’y a pas qu’un visage et qu’une recette de la musique alors que les médias ont tendance à sacraliser une voix unilatérale. Du coup les radios suivent et relancent une tendance qui n’est pas forcément la bonne. Le but c’est juste d’atteindre un public de masse.
On dit que votre musique est très imagée, à quoi cela est-il dû ?
C : Cela vient d’une passion pour le cinéma, des BO. Le cinéma suscite beaucoup d’émotions. Je pense à la musique d’Ennio Morricone et de Sergio Leone dans Il était une fois dans l’ouest où il a fait un thème par personnage. Je trouve cela sublime d’habiter la musique de cette manière-là, quand un grand acteur fait son apparition.
Cela vous plairait-il de collaborer dans un projet cinématographique ?
Ensemble : Ouais grave !
Comment vous construisez vos clips ?
C : En général, on pitch des réalisateurs qui nous re-pitchent derrière. En fonction du scénario, on choisit. Ce que je veux, c’est que le réalisateur ait une interprétation bien personnelle du morceau. Ensuite, on le laisse complètement libre de faire ce qu’il veut. Il ne faut pas qu’il y ait un diktat des paroles et de l’ambiance du morceau.
F : L’intérêt dans le clip, c’est de donner une autre vie au morceau, une autre lecture.
Vous qui aimez bien faire des surprises, nous en réservez-vous pour 2019 ?
F : C’est vrai que l’on aime bien les surprises, mais là on est sur la tournée. L’Olympia sera notre prochaine grosse surprise ainsi que la tournée internationale à partir du mois d’avril. On sera encore en tournée quand on va préparer le deuxième album, notre deuxième bébé. Je pense que cet album, on va le composer “entre-deux”.
C : On a plein de trucs sur le feu.
Interview réalisée par Louis Rayssac