L’emergence est un principe scientifique emprunt de philosophie et selon lequel toute entité « découle de propriétés plus fondamentales tout en demeurant « nouvelle » ou « irréductible » à celles-ci ». Max Cooper, scientifique de formation et friand des relations entre différentes disciplines (science et philosophie, donc, mais aussi la biologie computationnelle qui lie biologie et informatique), nous présente « Emergence », son show où « Tout vient de (presque) rien » : l’histoire de l’univers en 1h30 d’électro dark-ambiant et d’images mixées, rien que ça. Interview et compte rendu.
Max Cooper qu’on a annoncé ici est de passage à Paris, et nous le rencontrons à quelques heures du début de son show « Emergence » qu’il va présenter dans la salle de clubbing « le yoyo » au Palais de Tokyo. Entre une autre interview et une séance de répétition sonore, nous l’accueillons dans la salle du Yoyo où les techniciens sont en train d’opérer encore quelques réglages. Se précipitant sur le canapé et me remerciant aimablement de ma venue pour l’interview (les rôles s’inversent), il est tout ouï pour répondre à quelque questions. C’est parti.
Pouvez-vous expliquer le concept de « Emergence », et plus particulièrement la phrase « Everything comes from (almost) nothing » ?
« Emergence » est un terme scientifique qui désigne un système qu’on peut expliquer par différents blocs qui arrvient être ensemble, selon les lois mathématiques comme le big bang. Ce show raconte la longue histoire de l’univers qui vient de ces blocs de construction qui se rencontrent. Les lois naturelles vont donner naissance à l’univers et aux être humains. Les lois naturelles sont très importantes bien qu’elles ne soient pas matérielles.
Est-ce que la science inspire beaucoup votre œuvre musicale ?
Ce n’est pas que je pense beaucoup à la science, mais je pense beaucoup en terme d’échantillons.
La science et la musique sont des échantillons, des motifs. Elles ne sont pas contradictoires. Quand on fait de la science, on s’intéresse aussi aux autres domaines et comment elles interagissent ensemble.
Est-ce que vous vous êtes intéressés à la musicologie ?
Plutôt à l’acoustique, et comment les sons se comportent dans un lieu physique particulier.
Est-ce qu’un spectacle comme « Isam » de Amon Tobin est quelque chose qui vous plait particulièrement ?
Oui, c’est incroyable, il a créé tout un standard pour tout ce qui est « hyper-détails » et procédés techniques sur les lumières. Moi, j’ai voulu surtout raconter avant tout une histoire.
Vous avez conçu un système de contrôle des images aussi ?
Oui en effet, les rythmes et sons sont enclenchés en même temps que les lumières.
Ca ressemble aux shows de Jean-Michel Jarre il y a 30 ans ?
Oui exactement, il a fait ce genre de spectacle en effet. Il a été un des pionniers.
S’agissant de votre musique, vos disques sont assez darks, avez-vous des difficultés à l’adapter à la scène ?
« Emergence » est un show assez adapté à mes disques, il y aura de la musique downtempo et abstraite, c’est ma musique expérimentale qui va être jouée ce soir.
Quels sont les artistes qui vous ont le plus influencé ? Autechre ?
Oui j’adore, Aphex Twin, Plaid, ce sont mes artistes préférés. Des mélodies folles, ils ont une telle identité…
Avez-vous des projets futurs ?
Oui, je continue de travailler avec des artistes, je travaille sur mon album, avec du piano (comme sur le dernier EP sorti, “Artefact” en duo avec le pianiste classique Tom Hodge, NDLR), on fait des shows live. Je continue à travailler sur des systèmes techniques d’immersion sonore.
Regrettez-vous d’avoir fait des études scientifiques ?
J’ai toujours fait de la musique et étudié de la science en même temps, donc je ne regrette pas. Ca m’aurait pas gêné d’avoir eu un job dans les sciences. Je lis beaucoup tout ce qui est de la science.
J’adore ces concepts d’emergence et d’univers. La science et la recherche peuvent paraître insignifiantes à l’extérieur. J’ai la chance de connaître ces domaines et de faire des connexions avec d’autres domaines. Par exemple la biologie computative. Cela permet de scanner son ADN, de le donner au médecin, et il peut voir si tel médicament peut agir dans telle ou telle direction en simulant son effet.
Dernière question ? La musique est elle une drogue ?
Je crois que oui. C’est addictif. J’en ai toujours fait. J’ai commencé à en faire, à en écouter, un peu comme les jeux vidéos. J’ai beaucoup de joie, cela me permet de m’exprimer, et c’est très sain, ça fait pas de dommages physique ! Les seuls effets secondaires est que tu t’isoles un peu et que tu te rases pas trop.
Merci Max Cooper, et bonne chance !
Ecoutez l’intégrale de l’interview en anglais ci-dessous :
Quelques heures après, nous voilà donc sur la piste de danse du Yoyo, une salle de clubbing située dans le Palais de Tokyo, où commencent à affluer des jeunes clubbers du coin et d’ailleurs, mais jamais loin des beaux quartiers (le demi en bouteille est à 10 euros quand même). Après un DJ set convenu et organisé en remplacement du talentueux artiste électro Molecule qui a finalement été déprogrammé, Max Cooper investit les lieux et démarre son récit de l’univers, tel qu’il le présente. Les images tout le long évoquent en effet un parallèle entre les créations de l’univers et la naissance d’un être humain. Elles représentent des molécules, des ovules ou bien des planètes, des embryons ou bien des formes naturelles diverses. Pour ensuite représenter des formes issues de ces formes naturelles, transformées par la nature ou par l’homme : on aperçoit alternativement des immeubles, des noeuds de Moebius, des animations évoquant l’infini. La dernière image est celle d’un homme, entre 2 âges, chauve. Ambiance…
Et la musique dans tout ça? Effectivement une large sélection des titres ambiant du DJ, sans oublier les saillies IDM faites de chaloupes et de breaks incisifs qui interviennent par vagues et qui ont le don de faire bouger les corps des spectateurs, bien peu mobiles pour une telle salle. Le public étant venu en majorité pour sa cause, il reste attentif et se laisse emporté par les périodes calmes, où les atmosphères diversement tangentes (vers la puissance du vide ou la plénitude des lumières, c’est selon les images) aboutissent à une narration qui provoque du suspense. Ce récit quasi cinématographique sous forme d’un spectacle son et lumière attire l’attention au fur et à mesure des scènes successives. Les étapes initiatiques, montrées par des images connotant des drames comme des âges d’or, foment un tout se voulant dans la lignée d’un « 2001 l’Odysée de l’Espace« . On en ressort entre lessivé et amusé, mais une autre bière suivi de quelques joints ou energy drinks permettront de traverser le reste de la nuit avec un after qui fait revenir le public à la banale réalité des soirées clubbing parisiens. Un DJ qui mixe une musique et un vrai film à la fois dans une boîte un vendredi soir à paris, il n’y a que Max Cooper qui puisse le faire.
Merci à Frederico pour les photos.