Pour l’avant-dernière soirée de cette édition 2016 de la Villette Sonique, le Trabendo était sollicité pour recevoir 2 groupes distingués par leurs dimensions filmique et hypnotique : Drame, le side project de Rubin Steiner, et les vétérans américains post-rock et free-jazz Tortoise. Photos et ambiance.
Drame, une musique et une fabrique d’histoire
C’est dans l’agencement original du Trabendo, cette salle sur votre droite dans le parc de la Villette, quand vous vous acheminez vers le Zénith, que les badauds, un peu refroidis par ce dernier jour de mai qui s’apparente plus à un premier jour de novembre, s’empressent, verre consigné de bière ou de cocktail à la main. Apparaissent sur la petite scène, que seule une surélévation sépare du public qui est donc très proche, les musiciens du collectif Drame (photo ci-dessus et ci-dessous). Originaire de Tours, ils gravitent autour de Rubin Steiner, s’illustrant depuis des années par son travail d’exploration musicale cassant les frontières de l’électro, du jazz, de la noise, et plus récemment du krautrock. Pour satisfaire toutes ces appétences, le musicien a réuni autour de lui des amoureux de ces sons 70s qui ont passionné les musiciens allemand de Can et NEU!, ces sons sur lesquels ont surfé ou surfent encore Stereolab, Electrelane, Zombie Zombie. Cette culture du renouveau du rock « année 0 », post hippie et contemporain du nihilisme punk et dark wave qu’est le krautrock, plein d’artistes la ravive aujourd’hui, 40 ans après. En ces temps de relents apocalyptiques, où l’état de la planète semble vaciller, cette poussée nouvelle de créativité ex-nihilo a inspiré entre autres Zenzile, consacré dans ce registre avec son dernier opus « Berlin« . Beak, Suuns, ou LNZNDR attaquent actuellement leur carrière sur cette vague foisonnante.
Drame n’est pas en reste : l’écoute de son album éponyme va happer l’auditeur en mal de vitesse, via sa batterie machinale rapide, sans répit, un saxo fou, ou dans des moments plus lents, réécrire un semblant de B52s tendance « Planete Claire », le rockabilly en moins. Ou bien fabrique des histoires de course-poursuites inquiétantes ou d’apparition divine. Le morceau éponyme final est l’apothéose du Drame : un enchainement incontrôlé où se cumulent percussions tous azimut, basse robotique et virevoltes électroniques tout droit sorties d’un oscilloscope rayé. Et ça se danse sans calcul ni mesure du temps : l’hypnotisante spirale de Drame rend aveugle, un plaisir salutaire que la raison ignore.
Tortoise, en dehors des sentiers battus
Tortoise (photo ci-dessus) a démarré sa carrière il y a plus de 20 ans aux Etats-Unis. Ce nom est souvent cité en référence par nombre de musiciens expérimentaux (ou influencés par l’expérimental), eux les créateurs d‘albums aussi léchés que « Millions Now Living Will Never End », « TNT », ces morceaux ultra polis qui scellent leur style inimitable duquel ils ne s’éloigneront plus. Instrumentaux, leurs morceaux structurés comme des puzzles sonores mouvant et en boucle sont souvent organiques. Le son chaud de la guitare ne saurait s’intégrer dans Tortoise sans le recours génial aux bruits électroniques, parfois atonales, parfois harmonieux, voire majestueux. Difficile de décrire tout ça, c’est ce genre de groupe de fusion, que chacun s’approprie à sa sauce, qui peut commencer par une douce intro de guitare presque pop, enchainer par un break de 10 minutes d’une batterie (voire de 2 comme hier) orienté free-jazz, et conclure par des mesures quasi métal-rock. Révélatrice de l’étrange modernité qui nous entoure, vierge de toute tendance ancienne ou actuelle, leur musique est une invitation à redéfinir la musique contemporaine, ou plus concrètement, un apaisement sonore sans que cela fasse penser à tel ou tel groupe, influences. De l’air musical salutaire, confirmé par « Beacons of Ancestorship » et « The Catastrophists » (les 2 derniers albums). Au Trabendo, c’est un public venu donc s’exiler grâce à Tortoise, qui n’a pas déçu. Le contraire aurait été étonnant, avec des morceaux aussi prégnant que « I Set my face to the hillside » du fameux album « TNT », ou bien les escapades électro (mais jamais stylisé en tant que genre musical) grâce auquel le public peut sortir musicalement renouvelé. On a besoin de Tortoise et de la musique s’affranchissant de frontières, dans une époque où ces dernières reviennent, enferment, balisent, calfeutrent, empêchent d’innover, en musique comme ailleurs.