Interview du saxophoniste Léon Phal en tournée pour son dernier album “Stress Killer”

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Léon Phal, interview
Léon Phal Crédit photo Stanislas Augris

Le saxophoniste Léon Phal a répondu aux questions de Just Focus, dans le cadre de la tournée de son dernier album « Stress Killer » sorti le 15.09.2023 sous le label Heavenly Sweetness.

Just Focus – Quel est le contexte créatif de votre dernier album « Stress Killer » ? Pourquoi ce nom d’album ?

Léon Phal – J’ai commencé à composer cet album en 2022. On était en pleine tournée de notre précédent album Dust to stars, qui avait été pensé, imaginé, réalisé et enregistré pendant la période du COVID. Dust to stars c’était finalement une belle époque, on avait quand même eu cette victoire sur le COVID. La musique qu’on avait créé à ce moment là était assez jouissive, il y avait beaucoup de danse.

Pour ce troisième album, cela m’a mis un peu la pression car cette étape constitue un moment crucial dans une carrière d’artiste. J’ai commencé à composer l’album. Plus ça allait plus je me crispais et perdais pied. Je commençais à me noyer dans des angoisses : « est ce que ça va être bien ? Est-ce que c’est trop différent ou pas assez différent de ce que j’ai fait avant ? » ,etc. Beaucoup de questionnements, de remises en question.

J’ai finalement fait écouter les maquettes à mes musiciens, dont j’ai une entière confiance. Ils m’ont rassuré. A partir de ce moment là, je me suis dis qu’on pouvait parfois se créer des montagnes dans sa tête tout seul, et donc s’auto-saboter. Si j’avais eu un peu confiance en moi, j’aurais pu me dire ça tout seul. Finalement, j’avais besoin du retour de mes musiciens pour prendre confiance.

C’est à ce moment-là qu’il y a eu le déclic du Stress Killer. Il faut parfois aller à l’encontre de ce que notre propre ressenti nous dit. On est notre premier moteur de stress. Le stress est un moteur dans la vie mais c’est aussi quelque chose qui peut nous asphyxier. Le morceau Stress Killer, je ne savais pas comment l’appeler, c’était une mélodie que j’avais dans la tête depuis très longtemps, que je jouais souvent au piano.

Cela a fait sens de l’appeler ainsi, car une fois qu’on a terminé de jouer ce morceau là et de l’écouter, on est quand même assez soulagés. Cela a été aussi le nom de l’album car c’est un petit rappel pour moi-même et pour les gens qui m’entourent de ne pas s’asphyxier tout seul dans notre stress.

Just Focus – Comment définiriez-vous votre identité sonore ? Comment parvenez vous à réunir tant de genres musicaux dans vos morceaux ? Comment composez vous et quel est votre processus créatif ?

Léon Phal – Je pense que cela vient avant tout de la manière dont j’ai consommé la musique depuis tout petit. Je suis né en 1991. A cette époque, il y avait l’avènement des CD gravés, des mp3. Dans la maison, on avait pas mal de cassettes, de CD piratés, pour être honnête (rires) ! Mes parents avaient acheté des cassettes de groupes assez obscures de post punk et punk rock (Head Cleaner, Primus, etc). Il y avait aussi beaucoup d’enregistrements de jazz : du Eric Dolphy, des compilations de John Coltrane, de Miles Davis, etc.

J’ai consommé la musique sans forcément mettre d’étiquettes, en essayant de voir ce qui me plaisait ou pas, en écoutant énormément de styles : de la dub, de la drum and bass, de l’afrobeat, du hip hop, etc. J’avais accès à pas mal de musiques, mes parents allaient souvent en médiathèque pour s’approvisionner (rire). C’est ce qui m’a permis de digérer, de ne pas mettre d’étiquette, de jugement sur la musique, mis à part si ça me plait ou pas.

Je pense que cette manière de consommer la musique a finalement porté ses fruits en me permettant d’avoir des idées complètement libres : libres de style, libres d’esthétique. Plusieurs idées ont germé dans ma tête, j’ai fait des connexions, des passerelles entre différentes époques musicales, sans vouloir compartimenter les choses. Mon identité sonore est liée à tout mon historique de culture musicale.

J’essaye de composer plus régulièrement. En pleine tournée de Stress Killer c’est dur d’avoir du temps pour soi. Je compose souvent sous l’impulsion et ça vient souvent d’une émotion forte : une grande dose d’adrénaline, de la joie extrême exacerbée, un petit côté dépressif, un peu de tristesse, une grande colère, de la nostalgie etc. C’est l’émotion forte, celle qui nous traverse en tant qu’humains, qui m’inspire et me donne un déclenchement pour la composition.

Par la suite, j’ai des idées qui éclosent dans ma tête, j’essaye de les respecter, de les mettre à plat, de leur donner une vie dans mon ordinateur avec tout un univers : des batteries, des basses, etc. J’essaye de les habiller autant que possible, le mieux que possible, qu’elles restent bien au chaud.

Ensuite, je les laisse de côté. Quand j’ai une deadline très précise, je vais récupérer toutes mes idées, les réécouter sans jugement, prendre celles qui m’inspirent et essayer de les combiner avec d’autres idées. Souvent, cela fait des morceaux relativement bien ficelés, intéressants car ce sont des idées fortes qui s’enchainent les unes après les autres.

Léon Phal et son groupe
Léon Phal et son groupe

Just Focus – Pourriez-vous me décrire votre processus créatif collectif ? Comment chacun trouve-t-il sa place dans le groupe (quintet) ?

Léon Phal – J’apporte des maquettes en répétition. Notre groupe ne répète pas vraiment souvent. On répète surtout pour la création. Pour tout ce qui est exécution lors des concerts on se donne rendez-vous, on se fait une bonne tape dans le dos en se disant : « t’as les enregistrements, rendez-vous au concert ! ».

Pour que chacun trouve sa place dans le processus créatif, c’est assez facile. J’ai bien le son du groupe dans ma tête, je sais comment il peut sonner. Je compose des maquettes entières, je ne fais pas de partition. Je vais sampler des batteurs, des pistes de batterie qui m’intéressent. Ensuite, je suis claviériste amateur, donc capable de faire des vocing intéressants au clavier (conduite de voix au piano). Je suis saxophoniste donc je sais faire des mélodies. J’ai fait de la basse pendant très longtemps, j’adore faire des lignes de basse.

J’apporte une maquette qui est plus ou moins finie et je l’envoie aux musiciens, avant les répétitions. D’abord au batteur qui réadapte le sample de batterie proposé. Il se l’approprie, il me renvoie ce qu’il a créé. Je supprime la batterie que j’avais créé et la remplace par la nouvelle. La maquette commence à s’étoffer un peu. J’envoie ça au claviériste et au bassiste avec qui c’est le même processus qu’avec le batteur. On a donc une maquette entièrement jouée par les musiciens du quintet avec un nouveau son. C’est fou comme la sonorité peut changer tout le mood d’un morceau, tout l’esprit !

On se retrouve ensuite en répétition avec la maquette qui a été jouée par tout le monde. C’est à ce moment là que commence l’arrangement final du morceau. La maquette, elle reste à l’état de maquette quand chacun est à la maison. Quand on se retrouve en répétition, on donne la forme, la structure finale du morceau en profitant justement d’être tous ensemble pour improviser et expérimenter des choses. Ce sont des compositions que j’ai apportées de A à Z avec les mélodies, etc. mais tout le groupe a participé au processus d’arrangement, se l’approprie et trouve son entière place dedans.

Just Focus – Pourriez-vous me parler de vos explorations musicales et de votre recherche de nouvelles esthétiques ?

Léon Phal – C’est curieux mais je n’essaye pas de mettre toujours un nom sur ce que je fais. Je laisse ça aux journalistes (rire)! J’essaye de rester le plus authentique possible dans les idées, les sentiments, le vécu, les ressentis. Cette curiosité là vient de ma manière de consommer la musique.

Il s’est passé une longue phase dans ma vie où j’ai arrêté d’écouter de la musique. Je n’avais ni mp3, ni ipod, ni écouteurs. J’étais en étude, je faisais de la musique H24, je ressentais une saturation. C’était intéressant mais crevant, il n’y avait pas de phase de découverte. De temps en temps, je réussissais à me payer un billet pour aller voir un concert de jazz ou autre. C’était vraiment l’évènement de l’année, mais sinon, c’était tout le temps des répétitions, des jams sessions, des petits concerts. J’ai fait énormément de créations à ce moment-là, et beaucoup joué des standard de jazz.

C’est seulement à la fin des études où j’ai commencé à reprendre plaisir à redécouvrir de la musique, à prendre le temps d’écouter des albums. C’était assez sympa de se dire qu’il n’y a pas que mon petit nombril, l’école et tous mes amis musiciens qui existent sur cette terre. Y a ces millions de musiciens qui ont fait des supers enregistrements ! J’ai écouté énormément de soul sans m’en rendre compte, j’en consomme encore beaucoup aujourd’hui : instrumental ou chanté, des années 60-70 et d’aujourd’hui. Il y a de supers labels qui continent de proposer de la très bonne soul.

Je ne suis pas comme un dj qui va essayer de rechercher la nouveauté pour la proposer. J’essaye de chercher l’énergie que je n’avais pas perçu jusqu’à maintenant. Il y a tellement de manière d’exprimer la joie, la nostalgie, la passion, etc. d’esthétiques différentes qui permettent de donner des degrés différents de ces mêmes émotions. C’est ça qui m’intéresse. C’est l’émotion. J’achète énormément de vinyles. D’ailleurs, je devrais arrêter ça me permettrait de faire des économies ! Je continue de consommer la musique dans ce sens-là, dans l’énergie.

Just Focus – Quels sont vos liens avec votre public ?

Léon Phal – J’ai de la chance d’avoir un public extrêmement large, de 16 ans à 106 ans ! (rire) J’ai de la chance d’avoir certains spectateurs qui ont pu voir Miles Davis en concert, Funkadelik, Herbie Hancock, etc. et qui viennent me dire en fin de concert : « C’était aussi funky que Herbie Hancock telle année ! ». Dans ce cas-là, on prend le compliment, il faut accepter ce qui se passe.

Je ne me mets pas au même rang qu’Herbie Hancock mais je suis content d’avoir pu véhiculer des émotions aussi fortes que les légendes de la musique noire américaine. Il faut rendre à César ce qui est à César. Le jazz est une dénomination complètement occidentale et marketing donnée par des blancs. Ce qu’on écoute et qu’on aime c’est la musique noire américaine.

J’essaye d’être le plus authentique sur scène. De parler aux gens comme j’aimerais qu’on me parle, sans filtre. On a de la chance d’avoir un public extrêmement large qui se passe le mot de concert en concert, qui communique, qui est curieux. On est très content dans le groupe d’avoir la petite notoriété qui est en train de se créer autour de ce projet. On va continuer à rester le plus authentique possible, rester nous-même, ne pas faire de la musique commerciale pour plaire.

On a de la chance de faire de la musique accessible, mais sans l’avoir conscientiser. On ne s’est pas dit qu’on allait mettre une grosse caisse sur tous les temps pour faire danser les gens ! L’énergie de mon ressenti, j’avais envie de la mettre en musique. Cela m’a permis de faire une musique relativement universelle et authentique à la fois.

Just Focus – Pourriez-vous me raconter un souvenir mémorable sur scène ou en studio ?

Léon Phal – Cette année 2024 a été une année très forte en souvenirs. Elle a débuté, lorsqu’on a joué à New York au Winter Jazz Festival, puis à Londres au Ronnie Scott’s, c’était rempli et magnifique !

Le plus grand souvenir de cette année c’était ce séjour à l’ile de la Réunion. Je pense que je suis un peu ému d’y repenser. C’était magnifique. C’est quelque chose d’incroyable d’arriver dans un endroit aussi particulier, sauvage, intense grâce à la musique ! (Long silence)

On avait un concert le 26 avril, on a pu partir une semaine entière avec tout le groupe et les compagnes de chaque musicien. On est devenu un clan, un gang, une unité totale entre toutes les personnes. C’était vraiment beau ! On avait tellement profité de cette semaine, pris de plaisir. Dans la décontraction qu’on avait, la grande crainte était que le concert soit vraiment pourri ! Ce n’était pas possible que tout se passe aussi bien !

Vous imaginez bien qu’une semaine à la Réunion, on avait autre chose à faire que de travailler nos gammes ! Le concert était mythique, incroyable ! Un public hors norme, pas fou, pas excité, pas stressé du tout, à l’écoute et qui a tout donné dès les premiers morceaux. L’énergie circulait comme on l’avait préparé, comme on avait envie de le faire. On a de la chance de vivre des supers bons moments.


 

Crédits Photos : Stanislas Augris

Photos utilisées avec l’accord de l’agence représentant l’artiste.