Depuis l’annonce du film Assassin’s Creed, on s’est inquiété et c’est normal ! En effet, les adaptations de jeux vidéo sur grand écran ont rarement été une grande réussite alors pour une série de jeux qui était déjà remise en question par de nombreux fans et qui a d’ailleurs été mise en pause, il était normal qu’Ubisoft soit attendu au tournant. Ces derniers ont paré en offrant un casting de choix à savoir principalement Michael Fassbender et Marion Cotillard qui sont des valeurs sûres d’Hollywood mais aussi, et là on sabre le champagne : Jeremy Irons et Charlotte Rampling. Ok, donc pour le casting, a priori, on n’a pas lieu de se plaindre. Quant à la peur de voir « une bouse commerciale » débarquer dans le seul but de faire du fric, on peut l’écarter aussi : on sait d’emblée que l’on part sur les meilleures intentions du monde en offrant une histoire inédite, une période historique pas encore traitée à savoir, l’inquisition espagnole du XVe siècle (une période pas très drôle, surtout pour les espagnols) servie par des acteurs stars dont Fassbender qui est également producteur (donc investi dans le projet). Côté réalisation, il faut avouer que c’est un peu plus obscur. En effet, la prod se paye les services de Justin Kurzel qui … a réalisé Mac Beth, une adaptation d’une pièce de William Shakespeare, avec déjà Fassbender et Cotillard. Côté critiques, le film a été accueilli de façon bien mitigée, certains glorifiant le fan service, d’autres se réjouissant que le film ne suive pas les jeux. Personnellement, j’ai été le voir avec les meilleurs espoirs sachant qu’Assassin’s Creed est une de mes séries de prédilection. J’en ferai donc la critique en me focalisant sur le film, mais aussi sur sa symbolique par rapport aux jeux.
Un visuel bien chouette
Commençons donc par le commencement. A quoi ressemble donc ce film ? Eh bien il faut avouer que ça a de la gueule. Les environnements sont assez dépaysants et les mouvements de caméra sont forts bien pensés lorsqu’ils ont pour but de rendre hommage aux paysages. D’ailleurs, on fera bien vite la distinction entre le passé et le présent notamment grâce à un code couleur assez efficace. L’inquisition espagnole est toujours présentée par la dominance orangée, ce qui symbolise les troubles d’une époque, et au contraire le présent par le bleu plutôt froid pour une époque où les conflits se résolvent dans l’ombre. J’en profite pour préciser que la musique est excellente et ponctue superbement bien chaque séquence.
Une mise en scène inégale
Le nom de Justin Kurzel ne rassurait pas forcément d’emblée, et il y avait de quoi. Là où la mise en scène peut être efficace pour présenter des lieux et joue efficacement pour donner des impressions de grands espaces (ce qui est d’ailleurs raccord avec les jeux vidéo où les villes sont explorables en open world), elle se vautre systématiquement sur les scènes d’action. En effet, Justin Kurzel utilise une tendance paresseuse de ces dernières années qui est d’utiliser un montage épileptique pour donner une impression de dynamisme sur les scènes d’action. Bon il est vrai qu’on a clairement vu pire (Taken 3, notamment) mais là on est devant un montage relativement indigeste. On se retrouve à s’infliger quatre plans différents pour une seule et unique action, et ce, en moins d’une seconde. Ce qui entraîne deux choses : le mal de crâne, déjà, mais surtout une lisibilité de l’action extrêmement confuse. Et le pire, c’est que tout est extrêmement bien chorégraphié, mais à cause de ce montage épileptique à souhait, cette qualité ne pourra être que peu appréciée.
Une interprétation loin d’être à la hauteur
C’est quand même dingue de voir de si grands noms au casting et de se retrouver devant une si mauvaise interprétation. En même temps on aurait pu s’y attendre. Le fait que Kurzel récupère les deux acteurs principaux de MacBeth prouvait qu’il souhaitait rester dans sa zone de confort, Michael Fassbender et Marion Cotillard n’ont donc pas été choisis pour ce qu’ils avaient à apporter au rôle, mais sans doute pour le « c’est bon, on peut se les payer et en plus j’ai déjà bossé avec eux donc pourquoi s’en priver ?« . Sauf que Fassbender est presque spectateur de sa propre histoire : ni le côté hyper violent de son personnage évoqué au départ, ni ses doutes par la suite ne se ressentent dans son jeu, juste par quelques phrases balancées à l’arrache. Cotillard, elle, n’est pas beaucoup mieux vu qu’elle ne semble absolument pas comprendre ce qu’elle joue. Son texte sous-entend qu’elle est emprise d’une grande naïveté quant à l’accomplissement de son objectif principal et qu’elle est censée se poser des questions mais… pour le jeu d’acteur en nuances, on repassera parce qu’elle est totalement transparente. Et pour être clair, je ne fais pas partie du clan des « bouh sa mort dans Batman était nulle donc ce n’est pas une bonne actrice« . Je lui reconnais un certain talent et même des grands rôles qu’elle a su porter, mais celui-ci est un ratage complet. Pour finir le désastre, la VF n’est pas terrible et surtout pour ses dialogues d’ailleurs, ce qui est un comble, vu que c’est Marion Cotillard elle-même qui s’est auto doublée. Du coup, joli fail général.
Bon, à partir de maintenant, vu que la forme est traitée, on va passer sur le fond. Donc je vais être obligé de spoiler allègrement, du coup si vous n’avez pas vu le film et que vous voulez garder la surprise… cassez-vous (et bisous !).
Le fan service
Sur les adaptations de jeux vidéo, on a vu un peu tout et n’importe quoi sur le fan service. Faut dire que c’est bien pratique, il suffit d’en caler un peu dans n’importe quel film médiocre et bim les fans ne se plaignent pas ! Bon dans ce cas, il est assez omniprésent mais pas forcément insultant. La pomme d’Eden est réutilisée comme un artefact miracle qui aurait pu être n’importe quoi d’autre, mais bon pas grave. On retrouve capuches et autres lames d’assassin rétractables, c’est la base on va dire. L’utilisation d’un aigle pour suivre les plans de paysages, c’était, bien, mais pas à chaque fois, parce que ça finit par faire légèrement trop appuyé, passant d’un clin d’œil complice à un gros coup de coude infligé dans les côtes du spectateur. Par contre, à la base, l’Animus c’est un fauteuil qui t’envoie explorer la mémoire génétique de ton arrière grand-papy, alors pourquoi en faire une sorte de bras mécanique qui te fait reproduire dans le présent les événements du passé ? Surtout que le montage parallèle des actions d’Aguilar de Nehra (ancêtre du personnage de Michael Fassbender), avec celle de Callum Lynch (son lui du présent) apporte un degré de confusion supplémentaire à son caractère épileptique, surtout quand on le voit escalader des parois invisibles, tracté par son bras géant mécanique.
Une contextualisation aux fraises
Pour moi, Assassin’s Creed souffre du syndrome de Star Wars 7 aggravé, c’est-à-dire qu’il passe complètement à côté de la présentation de son univers. Qui sont les deux factions ? Comment ont-elles évolué au cours du temps ? Comment ça se fait qu’on a des templiers au XXI ème siècle ? Ce n’était pas des mecs dans les croisades ? Et en fait, du coup, les assassins c’est les gentils ? Le problème étant que, bien que présenté comme se suffisant à lui-même, Assassin’s Creed le film a besoin des jeux pour ne pas perdre le spectateur. Les personnages souffrent aussi d’un cruel manque de background. Sérieusement d’où ils sortent ? On ne sait quasiment rien sur leurs motivations qui sont résumées au strict minimum : les templiers veulent annihiler le libre arbitre pour éviter que les assassins s’opposent à eux. Alors déjà au postulat de départ du film, le clan des assassins a pratiquement été anéanti, et a visiblement pour seule raison d’exister d’empêcher les templiers d’anéantir le libre arbitre. Donc sans la volonté des templiers de contrer les assassins, il n’y a plus d’assassins puisqu’ils n’auraient aucune raison de les contrer ? Et anéantir le libre arbitre de l’humanité, ce n’est pas aussi rendre les templiers dépourvus de libre arbitre ? C’est quoi ce plan désespéré ? Comment en sont-ils arrivés là ? Sont-ils complètement idiots ? Pour le personnage principal ce n’est pas mieux : on le retrouve au début condamné à recevoir la peine capitale pour meurtre. Il dit plus tard qu’il a tué un maquereau (sûrement pour qu’on le trouve pas si méchant que ça) et qu’il était transbahuté de famille d’accueil en famille d’accueil, que la violence était son arme pour survivre (blabla) mais on en saura pas plus. Rien ne permettra de s’attacher au personnage qui semble totalement dénué d’intérêt psychologique. Manque d’intérêt d’ailleurs renforcé lors de ses multiples retournements de vestes qui frisent le Deus Ex Machina. Et d’ailleurs, on voit son père au départ, juste après avoir tué sa mère. Et on le retrouve 30 ans plus tard après avoir été capturé par les templiers, interprété par Brendan Gleeson (connu pour avoir interprété Maugrey « Fol oeil » dans la saga Harry Potter). Donc le père du héros au physique svelte d’assassin a prit une cinquantaine de kilos en trente ans alors qu’il était en détention chez Abstergo ? Sérieusement ?
Incohérences ou illogismes, à vous de voir, mais les trous au scénario sont bien là. Principalement parce qu’on sent bien qu’Assassin’s Creed le film est censé être le point de départ à de nombreuses suites. A comprendre : « pas de soucis si vous voulez comprendre faudra aller voir le 2 » sauf que déjà, l’histoire n’est pas si originale que ça puisqu’elle rappelle légèrement la détention chez Abstergo d’un certain Desmond Miles par le docteur Warren Vidic, et surtout qu’un film est presque condamné à ne pas avoir de 2 s’il ne marche pas au box office, et visiblement les résultats sont loin d’être grandioses aux États-Unis (c’est Fassbender qui doit être content d’avoir investi, tiens !). Honnêtement je pense aussi que les gars se sont dits : « C’est pas grave de toute façon tous ceux qui iront le voir connaissent les jeux« . Sauf que rendons à César ce qui appartient à Yves Guillemot : c’est quand même vachement mieux foutu dans les jeux. Je suis bien conscient qu’il existe aujourd’hui un bashing assez régulier et injuste autour de la licence Assassin’s Creed (qui découle pourtant d’une lassitude bien réelle des joueurs, il faut l’avouer) mais si on analyse les factions dans les jeux : les templiers veulent diriger le monde pour qu’il fonctionne correctement. Ils veulent contrôler tous les aspects de la société pour protéger les gens du chaos, quitte à créer des inégalités. Pour eux, ils sont le mal nécessaire pour que le monde tienne debout, même si certains templiers profitent un peu trop de leurs privilèges. Les assassins, eux, veulent l’anarchie. Le pouvoir au peuple. Que ce dernier en fasse quelque chose de bien ou non, qu’importe : il doit choisir son destin quoi qu’il en coûte. L’importance du libre arbitre et le non-manichéisme sont donc des thèmes chers à la série, totalement simplifiés ici pour en arriver au simple « Gentils VS Méchants ». Du moins c’est l’impression que laisse l’absence de background. C’est là le plus gros échec du film. Ceci et la scène finale, joyeux bordel où rien n’a de sens. Pourquoi le personnage de Marion Cotillard s’oppose aussi fermement à son père ? Comment trois assassins arrivent à infiltrer la grande loge des templiers ? Comment Callum Lynch arrive-t- il a traversé la salle où tous les templiers se sont réunis pour en tuer un des plus éminents membres sans que personne ne se soit interposé ? Le service de sécurité était-il en train de s’endormir en jouant à Final Fantasy XV ? Pourquoi Callum Lynch se dévoile au personnage de Cotillard alors qu’elle aurait pu, et même logiquement dû déclencher l’alerte ? Pourquoi elle le laisse assassiner son père ? Pourquoi veut-elle se venger de l’autre juste après alors qu’elle l’a laissé faire ? Pensait-elle qu’il allait simplement lui dire que ce n’est pas bien ? Ce sont des questions dont nous n’aurons sans doute jamais pas les réponses.