Analyse : Comment CD Projekt a-t-il détrôné Ubisoft en bourse ?

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Il y a bien longtemps qu’Ubisoft n’avait pas été contesté en bourse par une autre entreprise du domaine vidéo-ludique. C’est désormais chose faite ! Le temps d’une journée, le studio polonais CD Projekt Red (à l’origine de la saga The Witcher) l’a dépassé d’une courte tête. Et le duel ne fait que commencer. 

L’ambiance doit être au beau fixe dans les studios de CD Projekt. A peine le temps de souffler les bougies du cinquième anniversaire de The Witcher 3, qu’une nouvelle d’une toute autre ampleur l’a déjà fait oublier. Le temps d’une journée, le studio polonais est devenu l’entreprise liée au jeu-vidéo la plus chère sur le marché européen. Elle pesait alors 8,13 milliards d’euros, contre 8,12 pour le champion en titre Ubisoft.

L’entreprise des frères Guillemot a depuis ce jour repris le leadership, mais pour combien de temps encore ?

CD Projekt : une success story… à la polonaise

L’exploit est grand, mais certains indices laissaient prédire une telle envolée du studio polonais. Fondé en 1997, CD Projekt est connu dans le domaine pour être à l’origine de trois titres majeurs. Ils sont tous réunis dans une même trilogie : The Witcher. Une adaptation de la saga littéraire connue sous le nom de « Sorceleur » en français, écrite entre 1990 et 2018 par Andrzej Sapkowski. On y retrouve les aventures de Geralt de Riv, homme mutant aux capacités surnaturelles. Celui-ci est tiraillé entre la chasse aux monstres et les guerres qui secouent différents royaumes.

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Geralt, pourrais-tu ramener juste UNE FOIS quelque chose de mangeable pour le dîner ?

CD Projekt acquiert les droits et sort en 2007 le premier opus de la saga : The Witcher. Un jeu de type action-RPG en vue isométrique uniquement développé sur PC (malgré des annonces de portage sur Xbox 360 et PlayStation 3 finalement avortées). Il est très bien accueilli par la presse spécialisée. Si bien que le jeu dépasse la barre des 1,2 million d’exemplaires vendus, entrant de facto dans le top 100 des meilleures ventes de jeux-vidéo sur PC. Le succès est au rendez-vous et la suite ne se fait pas attendre. CD Projekt enchaîne donc avec The Witcher 2 : Assassins of Kings, quatre ans plus tard, sur PC et un an plus tard sur Xbox 360. L’accueil est encore meilleur que pour l’épisode précédent ! L’agrégateur de critiques Metacritic lui décerne même un élogieux 88/100. En 2012, le studio polonais annonce avoir dépassé la barre des 1,7 million d’exemplaires vendus (un chiffre qui a dû bien évoluer depuis).

Jamais deux sans The Witcher 3

La même année commence alors le développement du jeu qui va définitivement asseoir la position de CD Projekt sur le marché européen : The Witcher 3 – Wild Hunt. Le titre sort trois ans plus tard sur PC, Xbox One et PlayStation 4. Il suit l’histoire débutée dans les premiers opus et propose pour la première fois au joueur un monde totalement ouvert. Le scénario est inédit (même pour les lecteurs de l’oeuvre papier) et offre une quête principale longue, pleine de choix et de rebondissements. Les quêtes secondaires sont innombrables et permettent d’approfondir tout au long de l’aventure le lore déjà riche de la saga. Assez logiquement, les critiques sont unanimes et le succès du titre est phénoménal. En moins d’un an, plus de 10 millions d’exemplaires sont vendus à travers le monde. Le jeu est agrémenté de deux extensions en 2015 et 2017, qui lui permettent de ressortir par la suite en version « Complete Edition ».

L’union fait la force de CD Projekt et Netflix

Le jeu s’impose comme une référence du genre mais finit tout de même par se faire oublier. CD Projekt revient donc à la charge en 2019 et sort un portage de son titre sur la dernière mouture de Nintendo, la Switch. Pour la première fois, les avis divergent. Le contenu reste le même, mais les contraintes techniques de la console portable lui font perdre de sa superbe. Fort heureusement, la réputation du jeu n’est plus à faire. En 2019, plus de 6 millions de copies sont vendues rien que sur la version Switch. Au total, toutes plateformes confondues, The Witcher 3 s’est écoulé à plus de 28 millions d’exemplaires. Une réussite totale qui n’attendait que la cerise sur le gâteau. Une adaptation du sorceleur sur la plateforme de vidéo à la demande numéro un dans le monde… Netflix.

Netflix, c’est 183 millions d’abonnés, sans compter le nombre d’utilisateurs par compte. Le premier teaser de la série a été dévoilé en grande pompe par la firme américaine à la Comic Con de juillet 2019 à San Francisco. Un événement à la hauteur d’une saga désormais mondialement connue. Henry Cavill (le dernier Superman en date apparu dans Man of Steel, Batman v Superman et Justice League) prend les traits d’un Geralt de Riv vraiment convaincant. La série, bien que critiquée, est un succès commercial et une saison 2 a déjà été annoncée par Netflix. La nouvelle est excellente pour CD Projekt ! Sans débourser un centime, une nouvelle audience mondiale vient de naître pour sa licence phare.

Ubisoft en perte de vitesse

L’année 2019 n’a pas été aussi bonne pour Ubisoft. Et c’est même les propres mots de son PDG Yves Guillemot, dans un communiqué daté d’octobre dernier. Le groupe a réalisé une bonne expansion sur le domaine du mobile en Asie, mais les deux titres « triple A » de l’année se sont beaucoup moins bien vendus que prévus. Tout d’abord, Ghost Recon Breakpoint fut très mal reçu par les critiques spécialisées et par les joueurs. En cause : les trop faibles innovations apportées par le titre par rapport à l’épisode précédent. Mais aussi des nouveautés peu appréciées par les habitués de la série. Le deuxième titre en cause, The Division 2, semble simplement ne pas avoir attiré assez de joueurs.

Les revenus de l’entreprise ont donc été beaucoup plus faibles que ceux attendus. Pour la période 2019 – 2020, le chiffre d’affaire n’a été « que » de 1,45 milliard d’euros contre les 2,18 milliards estimés. Concernant les revenus nets issus de l’exploitation des titres déjà présents sur le marché, c’est encore pire. Le groupe a gagné entre 20 et 50 millions d’euros contre les 480 millions attendus.

La conséquence a été immédiate : Ubisoft a décalé la sortie de ses trois prochains triples A prévus pour les peaufiner en studio. Gods & Monsters, Rainbow Six : Quarantine et Watch_Dogs Legion sortiront donc d’ici avril 2021. Ces différentes annonces ont effrayé les actionnaires du groupe. L’action d’Ubisoft s’est effondrée le lendemain de ce communiqué, avant de revenir doucement à la normale les mois suivants.

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Cours de l’action d’Ubisoft sur l’année 2019 – Le 25 octobre, lendemain du communiqué, le cours de l’action d’Ubisoft a chuté de 16%. Source : Boursorama

Une année 2020 très compliquée

Les ennuis ont repris en ce début de mois de mai 2020. Désormais très engagé sur le jeu mobile, Ubisoft a porté plainte contre les deux géants Apple et Google qui proposent tous les deux le téléchargement d’un titre largement inspiré de Rainbow Six : Siege. Selon l’analyste financier Charles-Louis Planade interrogé par Les Echos, le préjudice n’est que de « quelques millions par an, pas des dizaines de millions ». Traduction : Ubisoft s’engage en justice contre Goliath et Goliath pour pas grand chose. Et ça ne plaît pas aux actionnaires.

C’est ainsi que le 19 mai dernier, la valeur des actions d’Ubisoft a chuté de plus de 5%. La valeur de l’entreprise sur le marché (sa capitalisation boursière) étant égale au prix de l’action multipliée par le nombre de titres en circulation, Ubisoft a perdu en valeur. Laissant ainsi brièvement la première place à CD Projekt.

Un duel qui risque de durer

A l’heure où ces lignes sont écrites, les deux entreprises sont au coude-à-coude. Ubisoft pèse 8,420 milliards d’euros tandis que CD Projekt vaut 8,398 milliards. Ce qui importe désormais, ce sont les atouts gardés en main par les deux entreprises.

Du côté d’Ubisoft, l’année s’annonce chargée. Le studio prévoit la sortie de quatre jeux triple A, sans compter son fer de lance Assassin’s Creed Valhalla, tout récemment annoncé avec un premier teaser. Et les chiffres sont très encourageants : la vidéo a atteint les 100 millions de vues en seulement 10 jours. Une première pour le studio français. L’époque des Vikings est très appréciée par le public et les innovations en jeu semblent conséquentes.

CD Projekt prépare la contre-attaque

Chez CD Projekt, les projets sont moins nombreux mais attendus depuis longtemps. Le plus important se nomme Cyberpunk 2077. Un jeu de type action-RPG situé dans un monde futuriste dystopique, dont le développement a débuté en parallèle de The Witcher 3. Le premier teaser date de 2013, mais le jeu a été présenté pour la première fois à l’E3 2018. CD Projekt annonce un projet grandiose au rendu « parfait ». Pour cette raison, la sortie du jeu prévue en avril a finalement été repoussée au 17 septembre 2020.

Le second projet dépend directement du premier. Une fois Cyberpunk 2077 commercialisé, il s’agira de développer la suite très attendue de la saga The Witcher. CD Projekt nous a appris à être patient : il faudra donc compter plusieurs années avant de mettre la main sur, on l’espère, un nouveau jeu grandiose.

Le duel qui s’installe entre Ubisoft et CD Projekt ne semble que commencer. Autrefois incontestée en Europe, l’entreprise des frères Guillemot s’heurte cette fois à une concurrence féroce. Depuis plus de dix ans, le studio polonais n’a fait que gravir les échelons. Il s’est imposé comme référence dans l’univers de la fantasy en monde ouvert. Tout se jouera donc d’ici à la fin de l’année, où deux blockbusters s’affronteront à armes égales : Assassin’s Creed Valhalla contre Cyberpunk 2077. Deux ambiances radicalement différentes, deux époques bien distinctes, mais des enjeux financiers bien réels. 

Cyberpunk 2077 – Trailer