La série de vampires de Mangetsu, Shigahime arrive à son terme et après les multiples chocs qu’il a reçu, le lecteur se demande comment cela va finir. Le mal est-il si omniprésent qu’aucun bonheur n’est possible ?
La fin des frontières
Au départ le scénariste et dessinateur Sato Hirohisa avait établi dans Shigahime un fossé très clair entre un familier, serviteur soumis et assoiffé de sang et la malheureuse victime tentant d’éviter ou d’ignorer le mal. Tout a disparu et le mal domine totalement. Dans les tomes précédents, Sato Hirohisa ne présentait pour les adultes que des femmes perverses alors des adolescents tentaient de préserver le bien. A force de les fréquenter, les adolescents ont été contaminés et l’amour n’existe plus. Le seul lambeau d’espoir était une jeune fille encore vierge, Chika Murase, mais le tome précédent montre l’effondrement de toutes les certitudes. Osamu Hirota a blessé gravement son amoureuse car, sous l’effet de la faim, il a des hallucinations et ne la reconnaît plus. De plus, Chika a intégré la lignée de sang. Il ne reste que la chasse et la faim : on n’offre pas un bijou mais des organes sanguinolents.
Chika s’investit pleinement dans son rôle de maîtresse et pense ainsi s’être rapproché de son amoureux. Plutôt que de vouloir revenir au lycée, elle veut redécorer le manoir pour en faire un nid d’amour. Shigahime devient alors la parabole d’une relation à sens unique. Osamu veut imposer à Chika l’image d’une fille sérieuse et sage mais la jeune fille a changé et refuse. Elle n’est plus l’amoureuse admirant son amant mais une maîtresse femme voulant dominer la relation. Chika veut découvrir le côté sauvage de son amant et oublier les romances nunuches. Cette opposition se voit dans les dessins. Chika a parfois les traits d’un personnage épurée de manga romantique puis retrouve le réalisme du manga d’horreur. Ce duo n’est pas le seul à avoir des amours tragiques. Tachibana ne cesse d’être rejeté par les femmes.
Un cran supplémentaire dans l’horreur
Shigahime posait aussi une frontière intangible entre le monde quotidien du jour et la chasse des vampires la nuit. Osamu espérait préserver son amoureuse du monde nocturne. Tout se mélange désormais car Tachibana a sorti ses crocs en pleine classe. On revient également dans l’école. Dans les derniers tomes, il était le dernier îlot de normalité. C’est fini car Chika a transformé toute l’institution. Les médias s’en mêlent.
Ce dernier tome de Shigahime monte dans l’angoisse. On trouve à nouveau le trio adolescent aux relations amoureux complexes et perverses. Cependant, oubliez les duels au sol mais préparez-vous à un carnage de masse et à des affrontements aériens. Sato Hirohisa met en image des massacres de masse très impressionnants mais sait également créer des images intimes très repoussantes.
Rapport à l’histoire
Dans Shigahime, chaque maîtresse a un mode de vie différents illustrant une période de l’histoire du japon. Miwako représente l’européanisation du XIXe siècle car elle est une bourgeoisie décadente à la Oscar Wilde. Elle a tout d’une femme de noblesse européenne : elle vit dans un manoir, peint pendant ses loisirs. Sa morale date également de cette époque car, s’estimant supérieure, elle demande à son serviteur d’accepter sa condition. A l’inverse de cette vie luxueuse, une autre maîtresse respectait la tradition en optant pour une vie simple dans une maison typique de l’archipel. Les ultimes chapitres jouent aussi avec le temps en plongeant dans quelques cases dans le passé avant de projeter le lecteur dans le futur.
Shigahime n’est pas seulement une succession de scènes gores. Dans le final, le lecteur comprend qu’elle est une récit sur la quête d’émotions aussi bien du côté des familiers que des maîtresses. Cette quête trouve un dénouement radical en mariant optimisme précaire et noirceur constante.
Retrouvez sur le site les chroniques du premier tome et du précédent sur les liens précédents.