The Far East Incident se penche sur l’unité 731, une des plus sinistres organisations ayant sévi pendant la seconde guerre mondiale, en Asie. Ses crimes ont inspiré nombre d’oeuvres de fiction que ce soit des films (Docteur Wai, A wife of a spy), des romans (Le Projet Shiro) ou des BD-Mangas (Maruta dans l’univers de Block 109, Inspecteur Kurokochi). Cette nouvelle série mêle histoire réelle et anticipation pour nous décrire une lutte secrète dans un Japon de l’Après-Guerre qui n’a pas encore affronté tous ses démons. Ce premier tome nous a emballé par son ton, son dessin et son dynamisme.
L’âge des variants
Septembre 1945, l’empire japonais vient de capituler, après 8 ans d’une guerre meurtrière, entamée par l’invasion de la Chine en 1937. Le pays, dévasté, est sous administration étatsunienne. Celle-ci doit aider à l’installation d’un gouvernement légal tout en soutenant la reconstruction des villes japonaises réduites en cendre. A cela s’ajoutent les millions de sans-abris, la poursuite des criminels de guerre et la menace représentée par des nostalgiques de l’empire, incapables d’accepter la défaite.
La milice Kiheitai est en effet l’une de ces forces de l’ombre qui rêvent de revanche. Pour arriver à ses fins, elle peut compter sur les variants, des êtres sur-humains conçus par les scientifiques de l’Unité 731. Pour contrer ses attaques de plus en plus spectaculaires, le commandement suprême des forces Alliées, le GHQ a monté une équipe chargée d’éliminer les variants. Autour de Saika, une enfant variante, ce groupe traque sans relâche ses ennemis et va rencontrer Kankurô Konoe, un soldat japonais, tout juste rapatrié, et jeté contre son gré dans cette lutte acharnée.
The Far East Incident : Japon, Année zéro
Ce manga propose au lecteur français de lever le voile sur une partie de l’histoire japonaise : les années d’occupation ayant suivi la capitulation. En effet, ce volume 1 s’ouvre sur une scène qui pose le cadre : le Japon est sous le protectorat de Washington. Dans les villes, c’est la police militaire de l’Oncle Sam qui supplée, encadre la police locale. Le pouvoir est entre les mains du SCAP, un gouvernement militaire étatsunien qui accompagne la transition politique de l’archipel.
Le reste de ce premier volume continue de plonger le lecteur dans une ambiance qui n’est pas sans rappeler la scène finale du Tombeau des Lucioles. Les occupants doivent gérer des milliers de sans abris, nourrir une population choquée par le guerre et la défaite et s’occuper de plus de 2 millions de soldats japonais désormais inutiles. Et sur ce point le récit choisit un héros atypique, un soldat, héros de guerre, mais sans médailles. Sans dévoiler les raisons, les amateurs de cinéma auront perçu la référence au film Under the Flag of th the rising sun, brûlot anti-militariste fustigeant le fanatisme des officiers.
Un habile mélange de fiction et d’Histoire
The Far east Incident, comme les précédentes fictions historiques chroniquées sur notre site (Bomber boy, Manchuria Opium Squad) plonge avec délice dans l’imaginaire fictionnel. Ce sont les travaux des scientifiques, des médecins de l’Unité 731 qui vont ici inspirer l’émergence des variants. Dotés d’une résistance hors du commun, ils sont l’ultime arme d’officiers fanatiques prêts à tout pour restaurer l’ordre impérial. Ce volume nous présente ces cobayes, 1000 en tout, tapis dans tout le Japon et attisant la convoitise de différents groupes. A l’image d’un Wolverine, le récit garde encore tout le mystère sur leur création et sur leur motivation. Ne sont-ils que des outils ou ont-ils conservé un once d’humanité ?
Ce qui rend ce récit captivant, c’est la solidité de l’arrière plan historique. Les créateurs évoquent pêle-mêle le général MacActhur, le ministre Tojo et pointent l’ambiguïté de l’empereur Hiro-Hito. Ils vont aussi rappeler le sort de la Mandchourie, province chinoise conquise par les Japonais et théâtre de nombreuses exactions (trafic d’opium et expériences de l’unité 731). Ils s’appuient aussi sur des événements longtemps restés méconnus : l’impunité des membres de l’unité 731 après guerre en échange de leurs travaux, l’incident de Kyujo qui vit, dans la nuit du 14 au 15 août, des officiers fanatiques tenter un coup d’état pour empêcher la capitulation. Ces références nourrissent le récit et en décuplent la force.
The Far East Incident : action et réflexion
Il ne faut pas se méprendre sur le sens premier de ce manga. The Far East Incident se présente comme un récit d’action mêlant espionnage, pouvoirs et combats. Ce volume remplit parfaitement cette mission en proposant de l’action débridée où des hommes et femmes augmentés s’affrontent à mort. Le dessin superbe est servi par une mise en page très inspirée. Il contribue à créer une ambiance « de l’entre deux » où l’on navigue entre l’esprit shonen (voir la superbe couverture) et l’esprit seinen (dans la description d’un Japon ravagé). Dans tous les cas, le récit se dévore d’une traite.
Ce dynamisme n’empêche pas les auteurs de glisser subtilement une réflexion sur le sens de la reconstruction d’un pays après-guerre. Qui doit-on juger, pardonner, réintégrer ? Collaborer avec l’occupant est-il synonyme de trahison ? En réalité, les personnages, quelque soit leur camp, sont pour l’instant tous ambivalents. A l’exception néanmoins de l’ex soldat qui a payé au prix fort la rhétorique guerrière de son pays et doit, dans une scène digne du Tombeau des lucioles, apprendre à vivre avec le deuil de sa famille. Le récit se permet également un traitement non caricatural des Américains confrontés, eux-aussi, à une mission complexe : aider un pays à se reconstruire sans l’humilier, pardonner à ses anciens ennemis. Une phrase souligne ce traitement très subtil des occupants « nous ne sommes pas là pour piller ».
Les éditions Vega-Dupuis poursuivent leur exploration de la richesse du manga en proposant une excellente série utilisant le divertissement et l’action pour interroger un moment charnière de l’histoire du Japon tout en questionnant les notions de justice et de responsabilité.