Nous sommes bien entendu des fan de lectures chez JustFocus mais on n’était pas préparé au syndrome de Bibliomania : le symptôme principal de cette maladie surgit quand la littérature devient angoissante…
Un horrible manoir
Dans les premières pages de Bibliomania, on se sent perdu par les manigances du scénariste Orval. Bibliomania s’ouvre par une citation tirée de la Bible puis un monstre s’échappe de son cocon et dévore tout. Sans transition, une jeune fille blonde se réveille dans un monde vide à l’exception d’un immense porte. Elle a un numéro sur la main : Alice est la 431elocataire d’un manoir. Le propriétaire, le grand serpent Ophis, l’accueille. Il lui offre tout ce qu’elle veut mais elle ne doit pas quitter de la pièce. Malgré les tentatives de dissuasion de son hôte, Alice sort pour trouver la première porte, la zéro, qui doit la mener dehors. Mais dès qu’elle quitte sa pièce, un virus gangrène son corps. En parallèle, de courtes scènes dans le passé expliquent comment elle a quitté un monde en guerre en ruine.
Malgré un début naïf, le fan de Junji Ito chez le même éditeur repère très vite une sourde menace. Dès son apparition, la naïveté d’Alice inquiète. Après la dédicace biblique, on pense à l’animal tentateur de l’Ancien Testament en voyant le serpent. Ce propriétaire veut accueillir 666 invités pour organiser une fête… sauf que le lecteur de Bibliomania sait que ce chiffre a un sens démoniaque dans la culture chrétienne. Plus ancrés dans l’horreur exotique, les décors du monde réel reprennent un ornement indien ou maya. En effet, un autre atout de Bibliomania est le dessin très personnel de Macchiro. Au fil de voyage d’Alice, les corps s’éloignent de l’humanité pour devenir de plus en plus monstrueux. Le lecteur retrouve la rondeur du manga et les grands yeux mais le trait est volontairement hésitant et donc plus humain. Le bord des cases est hérissé de coups de crayon.
Road trip à pied
Progressivement, le lecteur prend ses marques dans ce one-shot de 330 pages en découvrant de nouvelles pièces et leurs locataires. Alice débute un voyage dans le manoir mais aussi dans les recoins de la psyché humaine. La première pièce reprend un décor médiéval japonais. Un immense samouraï composé d’une machine en bois juge un harceleur très sadique. Persécuté à l’école, il a demandé au serpent de passer son temps à punir sans fin ses tortionnaires. Le persécuté devient le tortionnaire. Ce manoir est un empilement d’égoïstes désirant combler un manque psychologique, car si chacun réalise ses rêves ou fantasmes dans la pièce, ils en oublient le monde. Seule une poignée de locataires tente de percer le mystère de ce lieu.
En combinant science-fiction et dark-fantasy, la première œuvre du dessinateur Macchiro et du scénariste Orval marque un rupture dans les sorties récentes. Bibliomania est également voyage dans les genres littéraires : la poésie, le combat de robots géants et de plus en plus l’horreur. Macchiro sait aussi multiplier les changements de genre en étant aussi bon dans les parties élégiaques que dans le gore. Il ajoute un trait d’humour par des scènes absurdes au trait épuré. Alice, par son prénom et ses oreilles de lapin, est bien entendu inspiré du personnage de Lewis Carroll. Elle ne passe pas derrière un miroir mais derrière une porte. Cependant, l’enfance devient ici inquiétante. Alice reprend régulièrement la comptine du petit chaperon rouge alors que le conte finit par un infanticide.
Cependant, le manoir n’est qu’un des nombreux subterfuges du plan d’Orval qui joue avec les attentes du lecteur. En franchissant de nouvelles pièces, le lecteur comprend le sens du titre avec perversité : le livre lui-même devient un danger. L’édition de Mangetsu est conforme à ce sujet. Bibliomania est un bel ouvrage imitant les manuscrit anciens avec une couverture rouge sans en relief et signet. Cependant, des indices montrent que ce livre est dangereux. Au centre de la couverture, une créature cauchemardesque nous regarde autour de sombres arabesques. La couverture est aussi une mise en abîme. Cette ambiance horrifique se prolonge par les premières pages intérieures noires. Au milieu de Bibliomania, le récit s’ouvre sur un chapitre plus extérieur mais pas moins terrifiant.
En refermant Bibliomania, on peut se dire que cet ouvrage d’horreur pourrait être parfait pour découvrir le manga. Le sens de lecture est occidental. L’histoire est complète en un tome et les références à la littérature sont nombreuses. En effet, dans Bibliomania, l’humour absurde du livre de Lewis Caroll devient conte cruel qui vous laissera une marque profonde.
Retrouvez d’autres mangas d’horreur avec Ma revenante bien-aimée et L’amour et la mort.