La Minute Yaoi #8 : Escape Journey

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Derrière l’idée d’un fan-service érotico-pervers que la rumeur associe souvent au Yaoi, il existe de nombreuses œuvres aux thématiques puissantes et complexes. Du fantastique victorien à la tranche-de-vie, le genre regorge d’histoires à même de contenter les goûts de chacun(e). Certains auteurs n’hésitent d’ailleurs plus à mettre les pieds dans le plat en offrant des récits durs où amour et haine s’entrelacent voire s’entrechoquent. C’est le cas d’Ogeretsu Tanaka, judicieusement repérée il y a quelques années maintenant par les éditions Taifu. La Minute Yaoi vous propose aujourd’hui un  regard sur son triptyque doux-amer, Escape Journey.

L’histoire

Taichi et Naoto se sont aimés à l’époque du lycée. Pourtant, la passion a vite cédé le pas à de violentes disputes. Jusqu’au point de rupture… Les deux garçons se sont alors séparés, chacun le cœur en miettes et empli de regrets.

Mais voilà que leurs chemins se croisent de nouveau à l’université ! Naoto, encore échaudé par cette relation tumultueuse, a du mal à faire le point sur ses sentiments. Taichi, de son côté, semblerait bel et bien avoir changé. Serait-ce l’occasion pour eux de repartir, ensemble, sur de nouvelles bases ? Alors que la pression sociétale et sociale se fait plus forte que jamais sur les étudiants, le présent permettra-t-il de faire table rase du passé ?

Escape Journey : romance en trois actes

Escape Journey attire d’emblée par ses couvertures aux couleurs vives, sur lesquelles interagissent Naoto et Taichi. D’ailleurs, chacune d’entre elles donne un aperçu de l’évolution de leur relation : retrouvailles hésitantes, doutes, confiance en l’avenir… Ogeretsu Tanaka nous happe directement dans son histoire, en rendant distincts dès le départ les traits fondamentaux de ses personnages. Ces derniers sont particulièrement bien écrits, les principaux comme les secondaires.

Ainsi, au long des trois tomes qui composent cette œuvre, la mangaka nous offre à lire une romance tourmentée. Derrière son sourire solaire, Naoto cache en effet une profonde blessure d’amour-propre. En tentant de sauver les apparences, le jeune homme semble surtout se mentir à lui-même, concernant ses sentiments mais également ce à quoi il aspire. Taichi, quant à lui, paraît osciller entre inadaptation et naïveté. Lui aussi traîne de lourds bagages dont il lui faudra se débarrasser.

Escape Journey décrit au fil des pages la lente reconstruction des deux jeunes hommes, dont la passion se rallume comme on souffle sur des braises. Si l’entrée en matière paraît basique, Ogeretsu Tanaka y apporte un changement majeur en y intriquant les interrogations de Naoto, qui prend la place de narrateur principal. L’air de rien, la mangaka instille une atmosphère tendue alors même que la pression sociale augmente autour de ces jeunes adultes. Trouver du travail, se marier, avoir un enfant… Comment y parvenir quand nos désirs ne correspondent pas aux attentes des autres ? Le poids de l’héritage familial est également amené avec beaucoup de délicatesse et de psychologie. Plus que d’amour, c’est bien une histoire de prise d’indépendance que nous racontent ce jeune couple et leur entourage.

Ogeretsu Tanaka, mangaka engagée

La carrière de cette native d’Osaka décolle en 2014 avec le percutant Love whispers, even in the rusted night. Dans ce one-shot, elle y soulève une thématique rare mais nécessaire, celle des hommes battus. Nous y retrouvons déjà sa marque de fabrique. Ses personnages cachent leurs blessures du mieux qu’ils le peuvent, attendant de pouvoir s’éveiller enfin à une relation franche et véritable.

Alternant ainsi entre thèmes durs et tranches-de-vie loufoques (on pense à l’inclassable Yarichin Bitch Club), Ogeretsu Tanaka nous offre depuis ses débuts des œuvres globales, puissantes et complexes, dont la beauté est capable de rayonner hors des frontières du genre. A cela s’ajoute la qualité de son dessin. Les moments joyeux deviennent littéralement lumineux, tandis que les inquiétudes et la violence transparaissent dans la crispation des corps et des visages. La mangaka apporte un soin particulier à ces derniers, bien sûr pour ses personnages principaux, mais aussi pour tous ceux qui gravitent autour d’eux. Ainsi, même les personnages secondaires s’incarnent et prennent vie sous sa plume.

Évitant tout écart ainsi que tout voyeurisme, Ogeretsu Tanaka donne au lecteur l’occasion de se questionner sur ses propres ressentis. C’est en effet avec une facilité déconcertante que l’on s’attache voire que l’on s’identifie aux personnages, masculins ou féminins. Dans son œuvre, il n’est pas non plus question de bien ou de mal. Dans Escape Journey notamment, les frontières sont floues, la violence peut gronder sous la surface, derrière des mots ou des gestes, traduisant une souffrance indicible. Aussi bien qu’un amour mal géré, confronté aux affres d’un passé trop lourd. Mais la mangaka donne toujours une chance à ses protagonistes de se racheter et d’évoluer, à l’image de Nishina. Si le voyage compte plus que la destination, Escape Journey pourrait bien être le récit de celui de l’humanité.

Conclu en trois tomes, Escape Journey fait partie de ces œuvres que l’on aimerait voir continuer plus longtemps, simplement pour observer, avec tendresse, l’évolution de personnages plus touchants les uns que les autres. Avec Ogeretsu Tanaka, les éditions Taifu nous ont offert bien plus qu’une simple romance… mais bien une fenêtre ouverte sur l’âme humaine.