Par les deux premiers tomes de Keiji, Mangetsu propose de retrouver le dessinateur du célèbre et sanglant récit Ken le survivant (Hokuto no Ken) mais dans le registre du manga historique. Tetsuo Hana a-t-il perdu de son mordant en plongeant dans le passé ?
A la naissance des samouraïs
Keiji se passe dans le Japon du XVIe siècle et nous conte la vie du plus grand kabuki-mono. Ces guerriers flamboyants adoraient revêtir des tenues très éloignées de l’austérité dominante pendant cette sombre époque. C’est à celui qui étalera le plus sa fortune par ses tenues ou lors des fêtes dans les auberges de geishas. Chez le même éditeur, Chiruran raconte les derniers éclats de cette caste guerrière alors que Keiji montre ce groupe en pleine puissance. Keiji est un cavalier qui participe pleinement à la guerre entre seigneurs rivaux. Des cartes et des courts textes avant les chapitres aident le lecteur à ne pas se perdre sur dans les différents clans. De plus, la série commence par des duels pour présenter cette société de guerriers et ses codes si particuliers avant de basculer dans les grandes batailles à la fin du premier tome. On découvre les intrigues de cour mais surtout une caste souvent hautaine avec les paysans. Très susceptible sur l’honneur, ces guerriers combattent, se jalousent, y compris entre les soldats d’un même camp.
Tetsuo Hara est fait pour ce récit. Fidèle à son style, le dessinateur multiplie les détails dans chaque case et n’hésite pas à être excessif dans les expressions des personnages. Il sait aussi s’adapter à l’époque en retranscrivant la flamboyance des armures où les plumes s’ajoutent aux nombreuses décorations. Même en noir et blanc, le lecteur voit l’opulence des intérieurs des seigneurs. Pour bien décrire cette époque, le dessinateur a fait appel à Keiichirô Ryû. Hélas, très âgé, le scénariste n’a pu réaliser que le premier chapitre avant d’être remplacé par Mio Asô.
Une histoire sauvage
Le héros de cette série, Keiji Maeda, travaille pour le clan des Takigawa. Il est un des chefs de l’armée seigneuriale mais il est rebelle. Plutôt que de s’entraîner, il organise des combats de chiens avec les animaux domestiques de ses maîtres. Il refuse même une mission. Pour illustrer cette attitude, Tetsuo Hara fait gicler le sang dès le premier chapitre. Les sabres traversent les têtes et découpent les corps en tranches. Il met en avant ces corps musclés mais couverts de cicatrices dans une ambiance très homoérotique.
On retrouve l’exubérance dans la représentation de la violence de Tetsuo Hara. En effet, il n’a pas un style propre mais fougueux à l’image la violence de l’époque. Cependant, la lecture n’est pas faite pour les plus jeunes avec des scènes assez gore. Une fillette coupe et recueille des oreilles pour son maître. La nature est elle aussi sauvage car un cheval noir échappe à des chasseurs en explosant leur tête avec ses sabots.
Le serviteur de Keiji ressemble à un démon et montre que l’on sort du réalisme historique pour se rapprocher du fantastique. Des ninjas disparaissent dans la brume ou se dissimulent par des déguisements impossibles. Le dessin n’est pas plus réaliste par des combats impossibles entre de géants adversaires.
La biographie d’un (anti-)héros
Keiji n’est pas une hagiographie car ce guerrier n’est pas un saint. Arrogant, il n’écoute aucun conseil en décidant de dresser un cheval craint par tout le monde. Un général a gardé la marque d’une tentative précédente sur le visage mais Keiji aura la patience de se faire aimer par cet étalon du diable. En effet, le kabuki-mono est aussi un grand charmeur dont le magnétisme attire les animaux mais surtout les femmes et les hommes. Il est aussi voleur quand il a besoin de quelque chose. Par ses tenues délirantes, il est très proche d’un chanteur de glam rock. Plus loin, un habile camouflage visuel dissimule une tactique pour le moins choquante pour les autres combattants mais ajoute un humour grotesque à la série. Un groupe de personnages secondaires se constitue progressivement autour de lui et le suit dans ses nombreuses aventures : un duel dans un quartier de geisha, la protection d’une armure, l’attaque d’une armée, un siège… On découvre sa formation et ses problèmes personnels dans le deuxième tome.
Avec Keiji, le lecteur suit les combats dans un pays en guerre civile dominé par des guerriers. Cette série est donc bien plus que la biographie d’un guerrier flamboyant car elle offre une galerie de personnages tous plus originaux les uns que les autres. Avec également Le mandala de feu, Mangetsu se lance à fond dans le manga historique alors que le lecteur aura bientôt la chance de passer dans le monde des femmes avec une prochaine série sur les geishas.
Pour découvrir plus sur l’histoire du Japon, vous pouvez suivre nos chroniques sur le Mandala de Feu et Chiruran.