La série Inspecteur Kurokochi brosse, à travers les enquêtes d’un policier sulfureux, une histoire de la face cachée du Japon. En cherchant à dévoiler la corruption dans les hautes sphères de la politique et de la finance, l’inspecteur réveille des affaires sensibles. La grande qualité de cette œuvre, c’est d’utiliser l’histoire réelle du Japon et méconnue du public occidental afin de rendre encore plus crédible son scénario. Dans ce second dossier, nous revenons sur les références à la Corée du Nord.
Kurokochi et le turbulent voisin nord-coréen
A 1000 kilomètres à l’Ouest du Japon (la distance entre Lille et Marseille), au bout de la Mer de Japon, se trouve la république populaire de Corée du Nord. Une proximité que Nagasaki, l’auteur du manga exploite au fil de sa narration. La Corée intervient de trois manières dans son récit. Il y a d’abord les références directes au régime nord-coréen que ce soit comme dans le tome 13 avec l’image du dictateur Kim Il Sung ou dans le tome 14 la référence à l’armée coréenne. Il y a ensuite la peur représentée par la puissance miliaire nord-coréenne (tomes 9 et 13). Il y a enfin les interventions de la Corée du Nord dans les enquêtes de l’inspecteur : le recrutement/enlèvement de Japonais, la fuite d’anciens terroristes en Corée du Nord.
Or, ces allusions s’appuient sur des faits réels qui dépassent largement la fiction. La peur de la Corée du Nord s’appuie d’abord sur la maîtrise de l’arme atomique par ce pays depuis 2006. En effet, depuis cette date, le pays teste régulièrement ses bombes et mène en parallèle des tests balistiques afin de maîtriser la technologie des missiles à longue portée. Ces derniers en 2016-2017 s’abîment en Mer du Japon dans des eaux japonaises. Cette peur repose aussi sur les rapports conflictuels entre la Corée du Nord et les E.U.A et la promesse faite par la première de frapper en cas de conflits, les bases des E.U.A dans le Pacifique, incluant celles au Japon. Elle rappelle enfin qu’en 2001, une bataille navale opposa au large de l’île d’Amami-Oshima des garde-côtes japonais à un navire nord-coréen suspecté d’espionnage et de trafics.
Kurokochi et les interventions nord-coréennes au Japon
Le plus étonnant dans l’œuvre de Nagasaki, c’est de voir qu’il n’a en rien exagéré les ingérences nord-coréennes au Japon. Elles ont été au nombre de deux. La première consiste dans le soutien apporté au groupe terroriste appelée Armée Rouge Japonaise. La Corée du Nord a, à la fois, entraîné, financé et armé ce groupe radical. Elle accueille en 1970 les membres du commando de la Fraction Armée Rouge qui viennent de détourner un avion de la Japan Airlines vers la Corée du Nord. Aujourd’hui encore, les derniers membres de l’armée rouge japonais ont trouvé refuge dans ce pays au sein du « village de la révolution japonaise ».
La seconde ingérence est beaucoup plus lourde de conséquences pour les habitants du Japon. Il s’agit en effet de l’enlèvement de citoyens japonais par des agents nord-coréens ou des membres de l’extrême gauche japonaise travaillant pour la Corée du Nord. Ces disparitions ont eu lieu entre 1977 et 1983 et concerneraient au moins 17 personnes (8 hommes et 9 femmes). Les chiffres sont flous du fait de la réticence de la Corée du Nord à reconnaître ces actes (seules 13 disparitions ont été officiellement reconnues). Un exemple célèbre : Tatsumitsu Kanéda porté disparu en Autriche 1979 n’a pas été identifié comme enlevé, il vit aujourd’hui à Pyongyang.
Les objectifs des nord-coréens sont encore difficile à cerner. Dans certains cas, les personnes enlevées (femmes) ont été mariées de force à des Japonais de l’armée rouge japonaise réfugiés en Corée du Nord. La petite Megumi Yokata, 12 ans, aurait, elle, été kidnappée car elle avait vu les activités d’agents nord-coréens au Japon. Il semble que ces enlèvement ont répondu à trois objectifs principaux. Utiliser les personnes enlevées pour former les agents aux us et coutumes du pays. Voler leurs identités au profit d’agents nord-coréens infiltrés, ce qui permet à Kim Hyon-hui en 1987 de se faire passer pour une japonaise et de poser une bombe dans un avion sud-coréen. Retourner les kidnappés pour en faire des agents double. L’affaire Tatsumitsu Kaneda illustre en effet ce dernier rôle. Il fut attiré en Autriche par Minoru Tanaka, un ancien collègue de travail, lui-même enlevé et retourné par les Nord-Coréens.
Des faits encore douloureux et difficilement reconnus
La découverte de ces faits a été progressive tout au long des années 1980. Elle est le fruit des enquêtes de journalistes et des révélations d’agents nord-coréens arrêtés. Les familles japonaises ont commencé en 1997 à se regrouper pour demander à leur gouvernement de faire pression sur leur voisin afin de connaître le sort des disparus.
Depuis, les progrès ont été très lents. Aux débuts des années 2 000, la Corée du Nord a reconnu 13 enlèvements. Huit personnes seraient mortes, cinq seraient encore en bonne santé. Elle a accepté de renvoyer au Japon les cendres de deux corps. Mais les analyses A.D.N aboutissent à des conclusions contradictoires empêchant les familles d’identifier avec certitude les corps. En 2002, cinq disparus ont été autorisés à retourner au Japon ce qui va permettre d’identifier et d’arrêter les agents nord-coréens ayant participé à leur rapt. Mais un sujet n’a pas encore été réglé : le sort des enfants nés en Corée du Nord.
La série porte ainsi un regard nouveau sur les rapports entre la Corée du Nord et le Japon trop souvent limités aux tensions nucléaires. L’histoire de ces enlèvements (au nombre encore inconnu) demeure un sujet de tensions et de crispation. Retrouvez ici notre le précédent Japan Confidential consacré aux crimes de l’ancienne armée impériale japonaise.