Avec Carnage, les éditions Mangetsu publient une nouvelle collection de récits horrifiques du spécialiste japonais du genre : Junji Ito.
L’horreur actuelle
Carnage donne des nouvelles récentes de Junji Ito puisque les douze nouvelles ont été écrites entre 2002 et 2017. Si les tenues sont modernes, le style du dessinateur demeure. Son plus grand talent est de rendre crédible les idées les plus folles. Par leur pureté, les premières pages de la plupart des récits nous donnent une impression de déjà vu et même de banalité. Cependant, en tournant la page, le lecteur sursaute en voyant des créatures étranges ou le regard halluciné d’un personnage.
On peut le voir dans les différents récits écrits par Junji Ito. Dans la première nouvelle, Une ombre assoiffée de sang, à la suite d’un crise d’anorexie, une adolescente fait des cauchemars de pluies de sang. S’inquiétant de sa perte de poids, un discret camarade, Kazuya Tani, propose de l’aider… en l’imitant. Il voit également ce choix absurde comme une preuve de son amour. Cette première action démontre l’étrangeté de Kazuya car il élève des chauve-souris qui se nourrissent de son sang. Prime Time hanté s’ouvre par l’annonce qu’un humoriste a été trouvé mort dans la rue avec un sourire sur le visage. A peine surpris par cette nouvelle, un jeune homme sans humour est poussé par un ami à aller voir un spectacle comique. Deux femmes font un spectacle catastrophique qui déclenche pourtant l’hilarité de toute la salle. Ce non-évènement provoque une révélation surnaturelle. Dans Le tumulte des eaux, deux randonneurs perdus découvrent un cours d’eau en crue charriant des gens. Ils ne peuvent agir mais cet événement rappelle à l’un sa phobie de l’eau liée au mystère de ses origines.
Lipidémie s’intéresse à une jeune femme vivant dans une maison sale. En effet, son père travaille dans un restaurant au-dessous et, en raison d’un manque d’aération, les murs, le sol et l’ensemble des objets dégoulinent de graisse. Son frère est également concerné, mais il devient accro à l’huile qu’il boit au goulot. Cette omniprésence aboutit à un massacre lucratif. Les damnés décrit une enquête pour comprendre une épidémie d’imitateurs de scènes de martyrs chrétiens. Sonnette finale adopte une structure plus rare chez Junji Ito : le choc arrive très vite puis le récit en flash-back explique d’où on vient. Le val miroitant suit un groupe de randonneurs découvrant deux villages en fond de vallée avec de multiples miroirs en extérieur. Dans Je ne veux pas devenir un spectre, un jeune homme traverse une forêt de nuit et découvre sur le bord de la route une femme au visage ensanglanté.
La bibliothèque de Junji Ito décrit la vie d’une jeune mariée dans la maison de son époux où tous les murs sont couverts de livres. Le chant des ténèbres montre qu’une mélodie lugubre peut être si obsédante qu’elle ne peut empêcher de vivre. Dans Pulvérisé, un aliment possède un goût unique au monde mais aux conséquences explosives. Stratophobie débute quand un chercheur de biologie découvre des mouvements au-dessus du cadavre d’un enfant datant de l’Antiquité.
Une horreur sociale et politique
Plusieurs points communs rassemblent les nouvelles de Carnage. Fan d’horreur, Junji Ito joue sur les stéréotypes en proposant une nouvelle version comme les chauve-souris suceuses de sang. Comme l’écrit dans la préface le dessinateur français Luz, l’obsession unit ces nouvelles. Il peut s’agir d’une obsession amoureuse ou d’une frayeur enfantine qui ressurgit. Junji Ito ne choque pas dès le départ mais le récit débute dans la banalité. Cette banalité peut être d’emblée écœurante comme un ado qui écrase ses boutons d’acné. Puis, elle devient inquiétante voire surnaturel. Un public riant à un spectacle devient un moment angoissant. Le final est le plus souvent dramatique voire ostensiblement gore.
Junji Ito donne également une dimension sociale à plusieurs récits. Le féminisme est mis en avant quand une adolescente provoque une crise d’anorexie après une rupture douloureuse. Elle va si loin qu’en se faisant vomir et crache du sang. Le lecteur est écœuré non pas par la fille mais par la société qui pousse les femmes à se faire du mal. Les damnés peut évoquer la dépression ou les mouvements d’imitation déclenchés par internet. Une autre nouvelle dénonce la violence gratuite d’une bande de motards au départ pour basculer dans la morale sur le dilemme entre vengeance et pardon. Le récit est parfois un conte moral comme la dénonciation de la gourmandise.
Si Carnage se place dans l’actualité du scénariste et dessinateur Junji Ito, les différentes nouvelles restent intemporelles. Elles reprennent des thèmes et des figures du genre horrifique en les plongeant dans le quotidien du Japon. Ce mélange contribue à rendre les récits plus angoissants et puissants.
Découvrez sur le site d’autres titres de Junji Ito avec Les cauchemars de Mimi et L’école décomposée.