Junji Ito est reconnu comme une référence de l’horreur japonaise en manga mais que devient son style quand il adapte un roman anglais ? Lisez notre chronique de Frankenstein chez Mangetsu pour le découvrir.
Une adaptation japonaise d’un classique anglais
Frankenstein rassemble onze nouvelles du scénariste et dessinateur Junji Ito publiées entre 1989 et 2000 dont l’adaptation du roman de Mary Shelley sur la moitié du livre. L’artiste japonais a d’ailleurs lu le livre en vue de l’adapter. Impressionné, il fait le choix de rester au plus près de l’œuvre d’origine. Il reprend la construction narrative d’un enchâssement de plusieurs récits. C’est aussi un moyen de sortir des films car le monstre est bien plus bavard et pervers.
Le lecteur est plongé dans le gothique horrifique du XIXe siècle. Un jeune homme explore en bateau une région inconnue. Son équipage trouve un européen, Frankenstein, au milieu de la banquise parti chasser un monstre. Le jeune et brave capitaine est en opposition avec cet homme plus âgé et plus sombre. Les deux ambitieux sont obsédés par une quête. Cependant, l’un sait que cette quête est vaine. Frankenstein veut faire la leçon au plus jeune en lui racontant comment, jeune étudiant, il a basculé dans la folie par une obsession morbide. Partant d’un cul-de-sac scientifique, Frankenstein veut tracer une nouvelle route sur l’origine de la mais il crée un monstre.
Le dessin d’Ito rend le monstre de Frankenstein repoussant. Non seulement, il a les cicatrices bien connues dans les films mais la chair est à vif et ses yeux n’ont pas de paupières. La fin est terrifiante par le dessin mais aussi par la vision sombre de l’âme qui s’y déploie.
Plusieurs nouvelles et une retrouvaille
Les histoires courtes composant la deuxième partie du livre reprennent des thèmes récurrents dans l’œuvre d’Ito dont Frankenstein : la déformation corporelle, l’obsession morbide, le besoin d’être aimé ou au minimum d’être en couple, et le questionnement sur l’identité face au conformisme social aboutissant à des névroses. Le surnaturel s’oppose à la psychologie. A l’inverse de très courtes nouvelles donnent une vision différente de son œuvre. Ne bougez plus fait surgir des peurs médicales… Deux récits le montrent totalement dominé par une chienne. On découvre également une société où la hiérarchie et le contrôle social sont si poussés qu’il est intériorisé par un groupe d’élèves.
Dans Frankenstein, Mangetsu réédite Les cous hallucinés puis propose l’ensemble des épisode sur le personnage d’Oshikiri. Le marais aux esprits apparaît au départ comme un préquel mais comme souvent chez l’auteur rien n’est sûr. Une légende sur un marais derrière l’école dit qu’une femme éconduite s’y étant suicidée attire désormais les jeunes hommes pour les noyer. Le twist très réussi donne un aspect encore plus horrifique à ce lycée. Dans La correspondante, Oshikiri se lie avec une jeune fille solitaire qui s’est créée une communauté en écrivant des lettres mais, comme Frankenstein, la jalousie transforme ces liens. Les contradictions entre les différentes nouvelles se font jour et Junji Ito profite du récit L’intrus pour donner une explication à son improvisation narrative de départ.
Ito creuse le genre de l’horreur mentale. Le lycéen Oshikiri vit seul dans une grande maison de plus en plus en ruine au fil des nouvelles pendant que ses parents travaillent à l’étranger. Sa solitude pousse à la pire erreur : la marginalisation. La vision d’Oshikiri serait un moyen de dépasser son angoisse d’être petit mais on peut y lire aussi une image des émois de la puberté. Cette jalousie de ne pas grandir le pousse à un crime absurde puis sa culpabilité le fait avoir des hallucinations.
Comme à chaque tome de la collection Ito, Frankenstein profite d’une couverture rigide sous un rabat, une traduction et un lettrage soignés et l’analyse en postface de Morollian. Cette édition bénéficie d’une préface de Joann Sfar.
Dans Frankenstein, deux géants de l’horreur se regardent, Mary Shelley et Junji Ito. Cette relation est bien moins monstrueuse que le récit mais tout aussi fructueuse. Cette première partie du livre démontre également les racines européennes de l’art d’Ito mais la suite prouve qu’il est aussi un artiste local capable de proposer une vision neuve de l’horreur. Frankenstein prouve donc une nouvelle fois que Junji Ito est un mangaka passionnant.
D’autres chroniques sur l’horreur japonaise sont disponibles sur le site par les mangas Shigahime et Ningyo.