Vous êtes accro au prochain manga d’horreur récemment traduit ? Que diriez-vous de rencontrer leur père ? En effet, le deuxième tome des Chefs-d’œuvre de Junji Ito est une porte d’entrée idéale pour aborder un auteur fondamental de l’effroi en manga.
Honneur au maître
Depuis quatre volumes, la maison d’édition Mangetsu a décidé de remettre en lumière un des maîtres du manga, le scénariste et dessinateur Junji Ito. Ils mettent pour cela le paquet avec des éditions de prestige. Chaque tome est serti dans une couverture cartonnée avec un rabat et présente de magnifiques effets de lumière. La traduction a été totalement refaite. Comme pour 404 comics, Mangetsu décrit le papier choisi pour le livre et la couverture. L’exigence va même jusqu’à traduire des notes de travail puis les réécrire à la main. Cette édition inclut également un appareil critique très complet. Dans une préface, Maghla exprime sa joie de fan de pouvoir lire ces nouvelles. A la fin de chaque récit, les commentaires de Junji Ito enrichissent la lecture en montrant ses influences et le travail en collaboration avec l’éditeur. Si la première nouvelle fait penser à l’écrivain américain Edgar Alan Poe quand la folie s’empare d’un meurtrier, on constate par le commentaire que l’auteur s’inspire d’un conte japonais sur des démons au long cou. A la fin du volume, une analyse précieuse de Morolian, spécialiste francophone de Junji Ito montre le lien unissant les différentes œuvres du maître du fantastique. Il donne des clés d’interprétations comme le lien avec la puberté par l’érection d’un cou.
Une écriture sombre
Comme l’indique le titre, ce volume est le second d’une compilation des meilleurs récits courts publiés par Junji Ito dans le magazine Asahi Shinbun : « Les Cous hallucinés », « La Sadique », « La Ville funéraire », « Tuyaux hurlants », « La Chuchoteuse », « La Femme-limace », « Horreur charnelle », « Les Rumeurs », « Doux Adieux » et « Soïchi Le Possédé ». Ces chefs-d’œuvre sont donc une lecture parfaite pour picorer de temps en temps le bonbon acide de ces nouvelles d’horreur. Au fil des pages, le lecteur ou la lectrice observe les mutations anormales des corps mais, plus que ces créatures difformes, le plus effrayant est le monstre niché au cœur de l’âme humaine. En effet, chaque chapitre dévoile un nouveau mauvais sentiment d’un personnage au départ bien sage. Par petites touches, on observe impuissant une jeune fille modèle devenir sadique. Les personnages principaux éprouvent une forte jalousie, une intense honte ou ont une exigence poussée jusqu’à l’obsession. Tous ne sont pas innocents car, dans la première nouvelle, un lycéen tueur angoisse. La présence de la mort est constante… y compris par des stèles funéraires au milieu de la route ou dans une chambre.
L’effroi en une case
Junji Ito démontre une réelle maitrise de la structure de la nouvelle. Chaque récit commence par un détail anodin – une mère obsédée par la propreté – ou surprenant – une lycéenne bavarde ne pouvant plus parler. On est saisi mais il y a ensuite une progression dans le mal. La tension monte jusqu’au twist final sur la dernière page ou case. Il alterne les ambiances avec une nouvelle poétique sur le lien entre la terre, la mort et les êtres humains.
Le style de dessin de Junji Ito est très à part de la production actuelle. Sa mise en page paraît sage et il est très juste dans le réalisme des corps et des visages autour de décors toujours très détaillés. Tout ce classicisme est un choix volontaire pour que l’apparition du surnaturel soit encore plus terrifiante. Le trait simple montre par le noir autour des yeux que le mal arrive. On peut voir les recherches dans les croquis à la fin de chaque nouvelle. Chez Junji Ito, l’horreur nait en une case : un ado tient une pelle mais le monologue explique qu’il a tué son meilleur ami hier soir. C’est déjà flippant mais on tombe dans un abime de plus en plus sombre : il l’a tué pour sa grande taille, puis son cadavre excavé a un cou beaucoup trop long.
Si, comme toute compilation, tous les récits ne se valent pas, chaque histoire de ces chefs-d’œuvre de Junji Ito vous marquera. Vous serez parfois émus mais le plus souvent effrayés au point de vérifier que la porte d’entrée est bien fermée.
Les récits d’horreur sont également très à la mode dans les comics comme vous pouvez le constater avec les chroniques de The Plot ou Shanghai Red.