Critique manga : L’ère des Cristaux, de Haruko Ichikawa

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L’Ère des Cristaux, Houseki no kuni en VO, est la première œuvre longue de la mangaka Haruko Ichikawa. Prépublié dans le magazine Afternoon à partir de 2013, c’est Glénat qui, en France, s’empare de ce titre atypique trois ans plus tard. Alors que le onzième tome est sorti en juin dernier, nous vous proposons un retour sur ce seinen mêlant fantaisie, science-fiction et philosophie.

L’histoire

Dans un lointain futur, l’humanité a disparu de la surface de la Terre. De nouvelles formes de vie, appelées gemmes, sont apparues. Au nombre de vingt-huit, ces cristaux à forme humaine combattent sans relâche les Séléniens, des êtres étranges venant des lunes, et qui cherchent à enlever les cristaux pour en faire des parures.

Mais la valeur d’un cristal dépend également de sa dureté. Phosphophyllite, de constitution fragile, ne peut prétendre prendre part à la guerre. Ses maigres connaissances et sa désinvolture ne lui permettent pas non plus de devenir médecin ou armurier. Maître Vajra, chef des cristaux, désespère de lui trouver une mission… jusqu’à un certain jour. Phos sera chargé désormais de rédiger une histoire naturelle. Étudiant le passé pour mieux comprendre le présent et anticiper l’avenir, le jeune cristal sera-t-il celui qui mettra fin à cette guerre plurimillénaire ?

L’Ère des cristaux : récit de l’humanité

Derrière les mastodontes qui tiennent le haut de l’affiche depuis plusieurs années, il arrive que les éditeurs aient l’œil et nous dégotent de petites pépites. Peu de gens en entendent parler, les avis peuvent être divisés, mais ceux qui ont eu ces œuvres entre les mains savent qu’ils viennent là de croiser un objet artistique unique.

Tel est le cas de L’Ère des cristaux. C’est un manga difficile à aborder. Le résumé à la fois ne paie pas de mine et intrigue au plus haut point. Les premières pages nous plongent directement dans l’action, et nous sommes un peu comme Phos, dépassés par les événements.

Phos est le personnage principal mais le plus faible de tous les cristaux. Sa personnalité déconcerte, sa nonchalance agace, son égoïsme adolescent fait qu’il reste toujours un peu à la marge. Du moins, c’est ce qu’il en est durant la toute première partie de l’œuvre…

Car Haruko Ichikawa nous prend par surprise et nous plonge dans un récit aux multiples couches. L’Histoire se dévoile peu à peu, tandis que les cristaux continuent de se battre au péril de leur vie. La mangaka donne vie à des personnages forts et uniques, de Bort le combattant, en passant par Rutile le médecin et Diamant la vedette. Une toile complexe se tisse entre chacun des cristaux, que l’on apprend à connaître. Et Maître Vajra (Kongô-sensei en VO) n’est pas en reste : sa force démesurée, ses airs de moine Shaolin et ses déclarations ambiguës, tout autant que l’amour qui le lie aux cristaux… Tout en lui intrigue, et les découvertes de Phos ne font qu’ajouter aux mystères, jusqu’aux toutes dernières révélations.

L’Ère des Cristaux ne dorlote ni ses personnages, ni ses lecteurs. En nous faisant vivre l’histoire par les yeux de Phos, et en soumettant celui-ci à de multiples transformations qui remettent tout en cause, Haruko Ichikawa nous prend à partie et nous questionne en profondeur, quitte à parfois nous choquer via des mises en scènes percutantes. Les corps immortels des cristaux sont l’objet de destructions massives, et la brutalité des combats n’a d’égale que la violence de la vérité qui s’apprête à éclater.

A travers des références philosophiques et religieuses, L’Ère des Cristaux dépasse le récit d’anticipation fantastique pour nous proposer une fable morale. Celle-ci, incarnée par Phos, vient questionner le fondement même de la notion d’humanité. Phosphophyllite, à la fois acteur et marionnette, plonge dans un drame que n’auraient pas renié les meilleurs auteurs de tragédie.

Lignes de fractures

Si L’Ère des Cristaux est un manga de niche, c’est aussi du fait de son graphisme. Unique, le trait de Haruko Ichikawa s’est renforcé depuis ses one-shots Mushi no uta (2009) et 25-ji no vacances (2011), pour se déployer dans sa série principale.

Vif et franc, le dessin de la mangaka s’affirme dans une fluidité agréable et une mise en scène millimétrée. La nature minérale des personnages est bien rendue à travers des jeux de lumière. Tandis que le côté vaporeux des Séléniens se reflète dans l’éclatante blancheur de leurs vaisseaux. Les combats sont dynamiques, tout comme les expressions des personnages, au rendu très réaliste. On se surprend à guetter le moindre changement sur le visage de Maître Vajra, la mélancolie de Cinabre ou bien encore le sérieux de Jade. Tout comme nous restons ébahis devant la beauté des doubles pages aux faux airs de peintures impressionnistes. On notera enfin la qualité des couvertures proposées par Glénat, qui reflètent élégamment la lumière.

Par ailleurs, l’adaptation en anime initiée par les studios Orange amplifie la particularité graphique de L’Ère des Cristaux. Toshiya Ono, épaulé du character designer Asako Nishido et du réalisateur Takahiko Kyôgaku, nous livre ainsi en 2017 un ovni dans le monde de la japanimation. Entièrement réalisé en 3D CGI, l’anime s’extrait des limitations de la 2D pour exploser dans un chatoiement de couleurs. L’œuvre de Haruko Ichikawa y est sublimée à travers des scènes encore plus dynamiques, accompagnées d’une ambiance sonore composée de thèmes spécifiques. Une réussite hypnotique, à la mesure du matériau original.

Œuvre de niche, L’Ère des Cristaux n’en reste pas moins un manga indispensable pour les lecteurs à la recherche d’un récit exigeant. L’histoire contée par Phos monte lentement en puissance et finit par exploser à travers le prisme d’une guerre totale et sans concession. Qui sortira vainqueur ? A vous de le découvrir !

Si vous souhaitez lire un extrait ou bien vous procurer les tomes déjà sortis, voici le lien !

https://www.glenat.com/seinen/lere-des-cristaux-tome-01-9782344011713