Critique du tome 14 de Shy : on est toujours le monstre de quelqu’un

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La série Shy est entrée dans une nouvelle phase riche en turbulences. Tout en continuant à construire un univers super-héroïque original et riche, l’autrice Bukimi Miki approfondit sa plongée dans la mécanique amenant à la naissance  du mal. Servi par un dessin toujours aussi précis, ce volume 14 nous propose donc un récit tout en introspection, tranchant avec le ton du tome précédent, centré en partie sur le personnage de la sœur de Shy.

Héroïne malgré elle

L’affrontement entre les super-héros et Amalarilk a pris une tournure imprévue. Libérant une frénésie émotive sur le monde et une pluie sans fin, le groupe de super-vilains parvient à s’emparer de l’esprit de nombre d’adultes et d’enfants. Désemparés face à leurs sentiments, les victimes se rendent sur l’île de Nerverland où Stigma, le chef d’Amalarilk promet de leur rendre leur âme et leur innocence d’enfants.

En parallèle, Shy et Nirvana poursuivent leur enquête pour comprendre comment Shine, l’ancienne héroïne du Japon et sœur de Shy, a pu donner naissance à Stigma. Cette recherche les conduit à s’intéresser à la jeunesse de Shine et à en apprendre d’avantage sur la formation de cette héroïne qui a inspiré tant d’autres défenseurs de la justice. Shy va, de la bouche même de ceux qui ont côtoyé et formé sa grande sœur, apprendre qu’elle portait déjà en elle une part de ténèbres.

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Shy tome 14 : un cœur qui souffre

Cet opus est largement consacré à explorer le passé de Shine. On peut dire que Bukimi Miki a bien caché ses intentions car les révélations s’enchaînent. Que ce soit la précocité de Shine, sa puissance, son itinéraire, l’autrice révèle l’envers du décor. Shine n’était ni naturellement empathique ni naturellement populaire. Sa puissance, elle la mettait au service des autres par devoir. Ce détachement la protégeait de la souffrance mais la confinait dans son rôle de héroïne sans nom.

C’est la découverte des émotions, de son attachement pour sa petite sœur qui transforme Shine, la toute puissante, en Shine la super-héroïne. L’arrivée en effet de Teru (Shy) lui donne une nouvelle raison d’agir. Mais cette nouvelle capacité agit comme une malédiction. Shine est tiraillée entre son devoir d’aider et sa peur d’échouer. Shine l’insouciante devient responsable et doit accepter ses limites. Elle comprend que le héros bienveillant ne peut être tout puissant.

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Accepter ce que l’on est, accepter ce que les autres sont

Ce 14ème volume de Shy approfondit une thématique chère à son autrice : l’estime de soi. En effet, que ce soit les héros ou leurs antagonistes, le récit insiste beaucoup sur la difficultés à se regarder, à regarder les autres et à accepter le regard des autres. Tout ceci se retrouve autour de la figure du monstre. L’histoire insiste beaucoup sur sa dimension fantastique et sa relation aux normes sociales. On ne naît pas monstre, on le devient.

Ceci amène alors l’histoire à aborder la question centrale de l’attirance, de l’amour, du changement de vie. En effet, héros comme vilains doivent composer entre leur stature et leur être profond. Assumer son inclinaison pour un(e) autre est une tâche finalement colossale pour ces êtres puissants. Accepter de s’être trompé, accepter de montrer son attachement, ne vont pas de soi. Il en va de même avec leur passé. Ce volume offre de jolies révélations sur le parcours de nos héros. Tous n’étaient pas bons à l’origine, tous ne sont pas condamnés à rester héros toute leur vie.

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Shy : l’illusion de la nostalgie

Cet opus en dit un peu plus sur le « paradis » proposé par Stigma à celles et ceux qu’ils a envoûtés. Son « Nerverland » reprend tous les codes du parc d’attraction, style Disneyland, ce paradis des enfants. En effet, peluches, ballons, confettis, feux d’artifice, accueillent les nouveaux arrivants. De plus, à leur arrivée, un cadeau unique les attend : chacun retrouve une chose à laquelle il tenait et qu’il avait oubliée. Une douce nostalgie les envahit qui fait rejaillir leur âme d’enfants.

Cependant tout est illusion et ce tome Shy insiste sur le malaise qui se dégage de ce paradis. Il y a d’abord la géographie du parc qui telle une immense toile d’araignée, attire les visiteurs dans le « love village » ou dans le «  child park » avant de les piéger dans la «  toundra de la mélancolie », sur « le mont de la colère » ou dans le « château de la jalousie ». Il y ensuite le discours sur la nostalgie, référence à peine voilée à son utilisation, parfois excessive dans la pop culture actuelle. Il y a enfin l’inspiration visuelle qui lorgne du côté d’Akira pour détourner la figure de l’ours en peluche.

En conclusion, ce tome 14 est encore une réussite totale. Il développe brillamment sa trame principale, approfondit sa dimension mythologique tout en proposant une mise en garde sur les dangers de la nostalgie.

L’œuvre est à retrouver sur le site des éditions Kana.