Critique de Run to Heaven t.1 de Toan : la course de la vie.

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Run to Heaven évoque un bon manga estival avec sa jaquette azurée, ce visage souriant et cette jeune fille en train de courir sur fond de mer ensoleillée, une vraie ode à la liberté mais derrière ce titre paradisiaque se dissimule une réalité bien plus sombre : celle de la guerre, de ses traumas et de sa violence.  

Toan délivre ici une première œuvre percutante et hors-norme.

L’histoire se déroule en 2036 à Arrecquero un archipel fictif du pacifique déchiré par un conflit armée à l’échelle mondiale. Ce conflit va jusqu’à diviser la population locale entre ceux qui combattent pour l’armée américaine et les indépendantistes, toujours hantés par les précédents conflits, qui ne veulent plus de la propagande occidentale sur leur terre. Pourtant, dans ce climat de tension, la vie continue de mener son cours.

Fee est une jeune insulaire d’Arrecquero. Chagrinée par l’absence continue de sa mère, une amirale partie à la guerre et l’état de santé fragile de son père. Fee ne trouve son bonheur que lorsqu’elle cours tout le long du littoral dans l’espoir de voir sa mère revenir.

Un jour, l’occasion lui est donnée de montrer ses talents à la course durant une compétition inter-collèges mais entre-temps sa mère revient et avec elle le poids d’une guerre qui menace de s’écraser impitoyablement sur l’île d’Arrecquero…

 

Run to heaven, un surprenant manfra

Run to heaven est un titre audacieux, d’autant plus qu’il s’agit ici d’une toute première œuvre, celle d’un mangaka français, Toan, qui avait déjà réalisé un premier jet de ce titre en autoédition avant d’être remarqué par les éditions Ankama.

Audacieux car Toan signe ici un manga plutôt atypique pour une première œuvre, loin des inspirations habituelles type shonen. C’est un titre seinen qui arpente d’abord la pente du manga de sport avant de dégringoler dans le précipice de la guerre. Il ne vaut mieux pas se fier à l’excellente première de couverture dont les tons apaisés ne sont pas représentatifs du contenu. Run to heaven annonce une lutte constante entre l’innocence sous le prisme du sport et la réalité brutale de la guerre.

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Entre rêve et guerre

Dès les premières (et magnifiques) planches couleurs de ce premier volume, le mangaka joue sur ce fragile équilibre entre un paysage paradisiaque et la menace de la guerre représentée ici par des avions de chasses.

A partir de là, l’auteur tisse une intrigue haletante qui éloigne d’abord le conflit dans une dimension sportive avant de nous plonger basculement dans l’horreur de la guerre dans un dernier tiers sans aucune pitié.

 

Courir pour être libre

Dans une première partie, Toan prend soin de dépeindre cette envie de liberté de notre héroïne, persécutée par certains enfants de l’île qui voient en ses parents des traîtres ou des lâches. Fee ne trouve refuge que dans la course et la musique, les écouteurs de son vieux walkman cassette vissés dans les oreilles, elle court d’abord pour s’échapper. L’occasion lui est donné de montrer tout son talent lors d’un festival de sport local de l’île qui est organisé à réponse aux jeux mondiaux. Difficile de ne pas voir dans cet évènement un rapprochement avec les récents jeux olympiques, une trêve dans un monde en guerre.

L’intrigue est magnifiée par un environnement tropical détaillé (les vagues, les jetées, la faune marine) et une galerie de personnages haut en couleurs plus ou moins proches du conflit. Ainsi, Fee, incarnation de cette innocence et de cette soif de liberté pourra compter sur le soutien de son père, un homme malade qui tente de cacher son état à sa fille et celui de Camille, une collégienne rêveuse attirée par la compétition sportive. Mais l’un des personnages les plus intéressants de ce début de série est sans doute la mère de Fee, l’amirale revenant de la guerre, un personnage ambiguë orné d’un sourire de façade et qui semble avoir continuellement le regard plongé dans le conflit.

Loin d’un style passe-partout, Toan possède une patte graphique soignée qui rappelle certains animes des années 90 tel que Cowboy Bepopvoir même Albator pour la figure charismatique de l’amirale. Il donne à ses personnages une allure élancée et aérienne, un peu dégingandée, un chara-design insufflé par une certaine énergie et atténué à peine par quelques défauts de proportions sur certaines cases.

 

Run for your life Critique de Run to Heaven t.1 de Toan : la course de la vie.
Courir pour s’envoler

Courir pour survivre

Le mangaka apporte ainsi une dimension réaliste qui peut tout aussi bien évoquer les jeux olympiques que les conflits mondiaux actuels ou passés… L’ auteur s’est notamment inspiré de la guerre du Vietnam pour imaginer ce conflit pro ou anti-américain. Le fait que l’intrigue se déroule en 2036, donc dans un futur proche et non lointain, donne un cachet d’autant plus réaliste et brutal à cette histoire.

En terme de rythme, l’auteur réalise un sans-faute. L’intrigue est prenante mais le récit s’accélère avec une rupture de ton glacial qui n’épargne ni ses personnages, ni son lectorat. C’est simple, la fin de ce volume vous laissera désemparé au bord du rivage. Le dessin de l’innocence devient alors celui de la violence, les gouttes de sueurs sont aussitôt remplacées par les larmes. L’ardeur de la course, les effets de vitesses sont remplacés par le combat âpre et furieux et la vélocité des balles.

Ce premier tome de Run to heaven annonce d’ores et déjà une pépite du manga français. Pour sa première œuvre, Toan délivre un titre audacieux, une course vers la liberté sans concession, glaciale et saisissante qui laisse son lecteur naufragé dans l’attente d’un tome 2 salvateur.

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La course entre une fille et sa mère

Run to Heaven est édité par Ankama dans une très belle édition format A5 de luxe au prix de 9,95 euros.

Envie d’en savoir plus sur Toan et ces inspirations, retrouvez ici une interview de l’auteur à l’occasion de la Japan expo 2024 !