Critique Barbara de Tezuka, le génie du manga du côté obscur

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A l’occasion des 90 ans de Tezuka, Delcourt propose dans des éditions de luxe des œuvres marquantes de cette référence incontournable du manga. JustFocus a choisi de commencer par vous présenter son côté obscur avec Barbara.

Tezuka versant réaliste

Osamu Tezuka est parfois connu comme un Hercule du dessin avec 170 000 planches et 700 titres. Mais ce n’est le nombre qui fait son génie mais la qualité de ses différentes séries. Les spécialistes distinguent souvent deux périodes dans la carrière du dessinateur et scénariste – il y aurait eu une période positive jusqu’aux années 70, puis plus sombre. La vie de Bouddha est une ode positive pour une coexistence entre les Hommes mais aussi avec les animaux. Barbara est bien plus sombre et cela correspond à l’évolution du Japon – après la joie d’avoir survécu à la bombe nucléaire, l’ambiance change avec une amertume que les dirigeants ne changent pas. Publié par épisode dans la revue adulte Big comics en 73-74, Barbara est inspirée des Contes d’Hoffmann.

Une enfant abandonnée
Seule à la gare…

 

Barbara, une fille à sauver ?

Tout commence dans une gare de Tokyo, au milieu des visages froids des passants, un homme dont on ne voit pas le visage recueille une fille perdue. Barbara est une hippie alcoolique qui est habituée à vendre son corps pour survivre. Mais on est loin de l’humanitaire. Le sauveur est aussi un narrateur très complexe. Yosuke Mikura est un écrivain à succès et respecté, mais dont on découvre peu à peu qu’il a une perversion sexuelle. C’est un artiste désabusé – plus aucun combat politique n’est valable alors il ne reste que la satisfaction perverse des sens. Il confond ses fantasmes et la réalité – en tombant par exemple amoureux d’un mannequin de boutique. Cet auteur est un arriviste de la culture. On pense à Marc Levy dans la réalité et Bel ami dans la fiction. On suit ainsi une relation toxique – Barbara profite de la richesse de Mikura mais à quel prix ? Il l’exploite et la frappe. A la fin de nombreux chapitres, Barbara fuit ce sadique mais revient par manque d’argent, alors que lui s’ennuie sans elle.

Tezuka profite du personnage de Mizuka pour parler de l’art. Dans plusieurs chapitres, il s’interroge sur la relation entre art et politique. Plus loin, il voit l’écrivain comme un visionnaire qui prévoit son futur. On découvre le travail mais aussi la vie mondaine d’un écrivain. On découvre le rôle d’un éditeur, le tirage et les techniques de vente.

Un dessinateur toujours au sommet

Tezuka compose des pages complexes mais facilement lisible. Le plus souvent, le style est simple et rond mais parfois des cases sont des copies d’œuvres, comme des gravures. On peut être surpris par ce ton profondément sombre, contrastant avec le dessin simple et même si angélique de l’héroïne. Le dessinateur intègre des trouvailles visuelles – dans une partie, les visages des médisants sont résumés à des lèvres. Un homme au long cheveux épais noir et sur fond noir agit comme un vampire. Ces touches surréalistes s’expliquent car tout est vu au travers du regard de l’auteur. Le dessin reflète les délires de Mizuka – des immeubles arrondis par la vision alcoolisée de l’écrivain. Il croit voir des femmes alors que ce sont un mannequin ou un chien. Barbara, selon les cases, ressemble à une enfant innocente perdue mais devient une femme en portant une tenue sexy. Des éléments sont assez explicites comme une fête qui pourrait avoir inspirée Eye Wide Shut.

Un couple loin d'être idéal

Avec Barbara, noir c’est noir…

Les personnages principaux sont loin d’être sympathiques. Tezuka compose étrangement un portrait à charge de l’écrivain alors qu’il en est un. Barbara s’autodétruit dans l’alcool et a une attitude vulgaire – elle utilise le magazine de BD pour s’éventer les seins… et plus bas. On découvre peu à peu le passé tout aussi glauque de Barbara et ses diverses rencontres. Chaque chapitre fait pénétrer des lieux et des personnes déséquilibrées – une secte, un couple incestueux, un mariage par une messe noire… Mikura plonge et commet des meurtres – sur un animal puis un homme par accident.

Au-delà, d’une histoire par chapitre, un fil continu compose peu à peu une histoire. Au départ, Mikura utilise Barbara pour un roman où elle devient Marie Marijuana mais elle prend plus en plus de place. Elle le conseille dans ses romans et l’auteur ne peut plus se passer d’elle. Elle lui trouve un moyen pour éviter toutes représentations publiques et ainsi se concentrer sur l’écriture. Mikura bascule dans la folie et c’est la clocharde qui le sauve du déshonneur public. Elle semble pénétrer les bulles de pensées de l’auteur. Un écrivain africain en exil révèle que Barbara est une muse. Elle l’a quittée il y a plusieurs années et depuis il n’arrive plus à écrire. La magie prend une place grandissante.

Ce volume n’est clairement pas une lecture pour tous mais ce récit hyper réaliste et fantastique par le récit et le dessin est un chef-d’œuvre. Ayant lu La vie de Bouddha avant Barbara, le lecteur est frappé d’un tel contraste. Il est incroyable d’être si naïf parfois et si cynique ailleurs. Tezuka est à la fois René Goscinny et George Bataille dans les tons tout en traitant de tous les stéréotypes de l’écrivain.