Déconfiture des escobars est une mosaïque en 28 obus. Chaque éclat est un cri soutenu par notre impuissance confrontée au réel désolant et absurde de la guerre.
Pouvons-nous, simples témoins, interrompre un génocide vicieux et diabolique ? Bleu. Rouge. Bleus contre les rouges. Et réciproquement. Ces couleurs ne vous rappellent rien ? L’auteur nous entraîne dans la mise en perspective kaléidoscopique d’un vertige macabre mais non dénué d’espérance.
Si chaque tableau, comme un chant de survie, permet de découvrir deux cultures proches, et néanmoins suffisamment différentes pour oser s’affronter jusqu’au sang, l’espoir rôde autant que la mort.
L’auteur confronte deux postures : la dénonciation de faits avérés, soutenue par une collecte rigoureuse d’informations, et l’onirisme pacifié qui s’invite dans les interstices, à travers des fantômes passants, une dame blanche neutralisant les forces du mal, l’égrégore bleu-rouge des défunts enfin réconciliés. Il y a dans cette œuvre plurielle une volonté de ne pas permettre au cerveau d’accepter l’innommable par habituation et banalisation du mal, mais de combattre cet innommable par la poésie comme arme ultime.
La dramaturgie est ici portée par un paysage d’hécatombe morcelé. En guise de ciment pour sertir les éclats en unité, nous suivons la trajectoire d’un tandem clownesque qui semble avoir un plan génial capable de faire taire la guerre. Fantasme ? Stratège ingénieux ? Piste ambitieuse ? L’auteur, sans faire l’impasse sur l’humour, use de nombreux petits détails qui raviront les lecteurs et spectateurs sensibles à la grâce des mots bien pesés.
Cette tragi-comédie nous incite à spéculer. L’Ukraine gagnera-t-elle contre la Russie ? Les deux pays pourront-ils un jour se réconcilier en éradiquant la source du mal ? Tant de mal peut-il naître d’un seul esprit criminel et dictateur ? Nous explorons ces questions dans cette pièce mystérieuse qui emprunte un format hybride (lettre, chant, dialogue, monologue) pour tenter de trouver des éclaircies.
Déconfiture des escobars, une pièce fragmentaire, entre horreur et humanité profonde. Comment aurait-il pu en être autrement lorsqu’une guerre éclate et brise chaque jour des vies de femmes, d’enfants et d’hommes ? Heureusement, dans le texte de Bernard Anton, des échasses sont fournies pour prendre de la hauteur et toucher les étoiles.
Textos ardents, une explosion de mots extatiques jusqu’après la mort
Deux êtres aimants reliés par une langue suave, poétique, gourmande et piquante : des textos ardents. Qui n’a jamais rêvé de se rapprocher de l’être aimé par le véhicule des mots ? Ici, la distance devient l’espace scénique. La distance comme adversité incite à méditer sur ses émotions, à les nommer. Mais quand la mort en devenir s’invite dans le couple sous forme de malédiction, on comprend bien que les amoureux ne resteront pas sur leur perchoir paradisiaque bien longtemps.
La béatitude des amants insupporte-t-elle la mort jalouse au point de les mettre en joue ? Chacun des 24 tableaux montre combien cette mort personnifiée est pernicieuse dans la création du trouble. Son entreprise semble toutefois compromise : le duo amoureux regorge de vie et de désirs. Il ignore être en duel avec une mort affamée de les voir disparaître et qui échafaude de multiples tentatives pour mener à bien le projet mortifère.
L’amour triomphera-t-il du destin ? La malédiction entretenue et cuisinée par un Thanatos déterminé et impitoyable offrira-t-elle du répit à ces cobayes percutés par des rafales de sorts ? Si oui, pour combien de temps ? La fin n’est-elle pas écrite dès l’amorce ? Bernard Anton pose une équation de poète : l’amour ardent peut-il être étanche à la malédiction ?
Textos ardents laisse découvrir une fin surprenante. Il donne envie de vivre pleinement chaque seconde, de se rapprocher plus souvent de l’être aimé, et de transformer les textos brûlants en caresses ardentes. À lire peau contre peau.
Lionel Parrini,
dramaturge