Alors que le remake de Luca Guadagnino divise, l’original lui, avait fait une totale unanimité. En 1977, Dario Argento (Phenomena) réalise Suspiria, le premier volet du triptyque « La Trilogie des trois mères » composé également de Inferno et Mother of Tears et consacré aux sorcières. Le concept général de l’ensemble est inspiré par la suite du célèbre livre de Thomas de Quincey, Confessions d’un mangeur d’opium, intitulée Suspiria De Profundis. Le passage « Levana et nos mères de Douleur » évoque trois sœurs – similaires aux trois Grâces et aux trois Moires – qui sont les trois Douleurs : la Mère des Pleurs, la Mère des Soupirs et la Mère des Ténèbres.
Un classique du cinéma horrifique italien
Suspiria est une œuvre étonnante et déroutante. Un film d’épouvante pas comme les autres qui mélange les genres et les approches. Le long métrage commence comme une sorte de thriller, un film à suspense dans lequel on ne parvient pas forcément à y trouver ses repères. Le montage visuel est sonore est une pépite. Dario Argento joue avec sa musique, lui donnant une intensité beaucoup plus forte pendant quelques instants pour très rapidement refaire tomber la tension dans le calme. Très coloré, Suspiria enchaîne les éléments gores dès les premiers instants et un meurtre qui restera gravé dans les mémoires. Largement kitch, il n’empêche qu’il se dégage un véritable univers coloré et personnel du film. Les décors et les costumes sont superbes et entretiennent un sentiment étrange, décalé de la réalité devant un optique néanmoins superbe. Suspiria est une tuerie visuelle encore aujourd’hui, et le côté kitch n’est qu’une arme supplémentaire pour donner une identité visuelle très forte au film d’Argento.
Film fantastique ou terre à terre ?
Dario Argento laisse planer le doute pendant la grande partie de son film. Suspiria est-il un film fantastique ou non ? De nombreux films d’horreur jouent sur cette frontière parfois floue entre réel et fantastique. Certains cherchent à ne jamais la franchir et s’amuse simplement sur les nerfs du spectateur, tel un funambule entre deux genres qui se mélangent rarement, le temps d’un équilibre fragile. Dario Argento joue justement avec cet équilibre difficile à atteindre. Il a beau se passer des choses étranges, l’ambiance est pesante et dérangeante, mais jusqu’à son grand final Suspiria laissera le spectateur hésiter entre les deux camps. Est-ce simplement une histoire de meurtre dans une école de musique ou une entité supérieure domine les personnages ?
Certains films décident de ne pas trancher et de laisser le spectateur choisir. Mais bien souvent, le réalisateur finit par donner la clé de l’intrigue aux spectateurs qui hésitent encore entre réalisme et fantastique. Le remake de Luca Guadagnino ne s’en donne pas la peine et décide de prendre un postulat de départ tout autre où le danger est directement déterminé. C’est ce jeu d’équilibriste qui donne toute sa saveur à Suspiria, de ne pas avoir d’où vient le danger, qu’il soit immatériel et secret. Le long métrage devient un mystère épais agrémenté de séquences superbes, qui provoquent mal-être plutôt qu’une véritable peur violente. Suspiria est également l’allégorie de la place féminine dans la société. Film porté par des femmes, il met en avant la condition sociale solitaire de ces dernières mais également leur acceptation physique et sexuelle à travers le thème de la danse. Dans cette école anxiogène, Suspiria démontre la domination matrimoniale sur la jeunesse qui tente d’éclore. Classique parmi les classiques on vous conseille de vous replonger en 1977 avant de découvrir la version 2018.
Le long métrage a beau avoir pris un léger coup de vieux, l’imagination et l’inventivité de Argento sont encore géniales, magnifiques, pleines de grâce et d’épouvante.