Blade Runner 2049 est sorti il y a quatre ans déjà, mais cela nous semblait être hier. La très attendue suite du chef d’oeuvre de Ridley Scott Blade Runner (dont le « final cut » est déjà disponible sur le plateforme), inspirée du livre de Philip K. Dick Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? débarque sur Netflix : pas aussi grandiose qu’au cinéma, mais toujours un plaisir pour les yeux et pour l’esprit, entre la réalisation magistrale de Denis Villeneuve, les images magnifiques de Roger Deakins et un scénario digne du précédent. Retour sur l’un des meilleurs films des années 2010, à découvrir ou redécouvrir sans plus attendre.
Los Angeles, trente ans après les évènements de Blade Runner premier du nom : les réplicants Nexus 8, le modèle dont Rachel faisait partie, sont remplacés par un modèle plus récent et plus fiable, plus obéissant. De nouveaux Blade Runners, dont K (Ryan Gosling), sont chargés d’éliminer les anciens modèles. Lors d’une de ses missions, K découvre qu’un enfant est né d’une mère réplicante, chose que l’on pensait impossible jusque là et qui remet en doute toute la conception et l’appréhension de ce que l’on pensait être juste des machines. S’en suit alors une traque de l’enfant, qui va emplir K de doutes quant à sa propre identité.
Brillamment moderne et respectueux des oeuvres originales (aussi bien du premier film que du roman), Blade Runner 2049 transcende par sa beauté et son rythme qui impose la réflexion intérieure, le questionnement sur ce qui fait de nous des humains, et l’espoir universel d’être quelqu’un d’à part, d’exceptionnel, de se démarquer de chacun pour être pleinement soi.
Sublime prolongement de Blade Runner
Faire une suite d’une oeuvre aussi grandiose et culte que Blade Runner n’était pas chose facile ; la réussir était un vrai défi. Et qui d’autre que Denis Villeneuve, qui avait brillé l’année précédente avec Premier Contact, Roger Deakins, l’un des meilleurs directeurs de la photographie et les scénaristes originaux du premier film, Hampton Fancher et Ridley Scott, auraient pu créer un long-métrage aussi audacieux et marquant ?
En bon prolongement de l’oeuvre originale, Blade Runner 2049 reprend les grands thèmes qui avaient fait la renommée du premier : l’esthétique sombre, pluvieuse, sale des rues de Los Angeles, la nature quasi absente, engloutie sous les barres d’immeubles et l’acier, les néons et les publicités géantes qui marqueront le courant cyberpunk, mais aussi le motif de l’oeil, l’eugénisme, les origamis d’animaux. Les sons métallique, graves et froids à la fois, nous replongent également dans cet univers si particulier d’une Terre morte, où les seuls arbres encore debout sont maintenus par des câbles d’acier.
Mais dans cet héritage obscur et brumeux, le film de Villeneuve apporte aussi de la lumière : celle des couleurs franches et vives, du jaune notamment, marqueur du retour de la vie animale au travers des ruches, alors que l’humain n’est plus là que par ces statues gigantesques, ces corps (si chers à l’esthétique du film) vidés de toute âme. Ainsi, Blade Runner 2049 se place en héritier logique d’un film nocturne, humide et oppressant, mais aussi d’une livre original qui ne reprenait pas du tout cette esthétique, et apportait plus de lumière.
Les androïdes rêvent-ils de parents électriques ?
Si le livre original de Philip K. Dick développait l’espoir d’un réplicant d’avoir un animal, de s’attacher à cet être qui était alors si rare, ce thème avait quelque peu disparu dans le premier film. Blade Runner 2049 réhabilite habilement cette envie d’appartenance à une famille, en faisant germer en K les graines de l’espoir d’être l’enfant de parents réels, de n’être plus qu’une machine fabriquée mais un être crée.
Il y a dans l’oeuvre originale de K. Dick, de façon implicite mais profondément sincère, ce rapport à la famille, à la manière d’être élevé et à la construction personnelle, comme il le dit si bien dans le livre de Gregg Rickman, Philip K. Dick: In His Own Words :
» Ce livre a été écrit alors que je connaissais une période de stabilité exceptionnelle. Nancy et moi avions une maison, un enfant et pas mal d’argent. Tout allait bien. À ce moment-là, j’opposais la chaleur de Nancy et la froideur des gens que j’avais connus auparavant. Je commençais à élaborer ma théorie de l’humain contre l’androïde, cet humanoïde bipède qui n’est pas d’essence humaine. Nancy m’avait révélé pour la première fois quel pouvait être le portrait d’un être humain vrai : tendre, aimant, vulnérable. Et je commençais donc à opposer cela à la façon dont j’avais grandi et été élevé. «
Dans le film de Villeneuve, l’espoir se ressent dans tous les instants, et nous envahit aussi bien qu’il transporte K : la lenteur des séquences et des découvertes, ces grands espaces et ces plans larges, permettent au spectateur de respirer, laisse le temps à la réflexion, aux rêves, à l’espérance que peut-être, celui que nous pensions froid et mécanique serait le fruit d’un miracle. Et pourtant, comme la musique de Pierre et le loup qui annonce la présence de Joy, la naïveté de K nous paraît bien trop belle pour être vraie.
Le sentiment d’être un être exceptionnel nous a tous traversé l’esprit : cet espoir que peut-être, je pourrais être différent, apporter plus que les autres, bouleverser le cours historique des choses, changer le monde d’une certaine manière, est finalement ce qui nous anime et nous pousse à espérer encore. Dans Blade Runner 2049, ironiquement, ce sont la pluie pour Joy, et la neige pour K, qui symbolise cette prise de conscience d’être exceptionnel, différent des autres. S’il existe des particularités dans des objets fabriqués en masse, K et Joy semblent vouloir en être la preuve. Et pourtant, un fatalisme toujours brutal viendra les ramener à leur condition: Joy sera comme mise en pause sous la pluie, et la neige signera la fin pour K.
Plus humain que les humains
Finalement, là où Blade Runner 2049 et le plus fidèle aux deux oeuvres originales, c’est dans son questionnement éternel de ce qui fait de nous des humains, en opposition aux réplicants : serait-ce cette âme insaisissable et immatérielle ? Notre expérience, notre passé et nos souvenirs ? En quoi A,C,T et G sont-ils plus valables que 1 et 0 ? Mais cette question est quelque peu transposée ici.
L’humanité des réplicants n’est ici plus à prouver : l’empathie de K se ressent dans tous les instant, ses moments de doutes et ses sentiments envers les autres s’opposent à la froideur de ses contacts avec les humains qui haïssent les robots et la différence de manière générale, avec les humains qui pratiquent encore l’esclavagisme sur des enfants. Non, la question de K est déjà toute tranchée pour le spectateur : il est capable de décider par lui-même de ce qu’est la juste cause, sans répondre à l’idéologie morale d’un parti ou d’un autre. Et Ryan Gosling incarne à merveille ces sentiments refoulés, cette colère cachée aux yeux de tous de peur des représailles, qui se voit dans le regard de son personnage. Par contre, l’humanité de Joy, la petite amie virtuelle de K, reste elle à débattre.
À la manière du film Her quatre ans plus tôt, Blade Runner 2049 pose la question de l’humanité d’un être programmé pour plaire, pour assouvir les besoins de sociabilité, d’un « produit » virtuel. Parce qu’elle n’a pas d’enveloppe charnelle propre (à part ce petit boîtier offert en cadeau) ni de liberté de mouvement, elle nous semble bien plus démunie de sentiments et d’autonomie de penser. Le rapport au corps est constant tout au long du film, mais le cas de Joy cristallise ces ambitions de création de l’être. Joy ressent en permanence le besoin d’être plus humaine, donnant l’une des plus belles scènes du cinéma moderne, où les corps se superposent, se confondent, essaient de faire un mais irrémédiablement deux ; se pose ainsi la question du vécu d’une intelligence artificielle, qui la justifie comme étant un être sensible, dotée d’une réflexion propre.
Suite incroyable qui pose plus de questions qu’elle ne donne de réponses, Blade Runner 2049 s’inscrit dans la lignée des grandes réussites cinématographique des années 2010. Emporté dans cette recherche d’identité et ces questionnements essentiels à nos réflexions concernant les avancées technologiques, on se prend à vouloir rassurer K de sa légitimité, de ce parcours initiatique qui fait de lui un être bien plus humain que beaucoup, par son vécu, son histoire. Une très belle réussite, maintenant disponible sur Netflix.