Pleasure de Ninja Thyberg : (Sans) peine à jouir

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© The Jokers

Avec Pleasure, la réalisatrice suédoise dévoile les coulisses de la pornographie professionnelle aux Etats-Unis. À travers sa protagoniste de 20 ans, Pleasure critique le regard masculin qui domine cette industrie du X. Le tout, avec une mise en scène frontale, qui ose et prend des risques.

Pleasure : une œuvre choc sur l’industrie du X américaine

Nous ne voyons pas la première séquence de Pleasure. Alors que les noms de la réalisatrice, des producteurs et des actrices défilent dans le générique d’introduction, un acte sexuel se déroule sans image. Mais on comprend que les râles sont artificiels, simulés. Puis vient un visage doux et angélique, en totale contraste avec la rudesse de la séquence sonore. Cette dernière indique à l’aéroport qu’elle est en voyage aux États-Unis « pour le plaisir » et non pour le travail. Le long-métrage lance les hostilités sur sa thématique risquée : la pornographie.

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© The Jokers

Bella Cherry est une jeune femme de 20 ans originaire de Suède. Elle entreprend un périple au pays de l’Oncle Sam avec un objectif en tête : devenir l’une des plus grandes pornstars de l’industrie. Pour cela, elle devra s’imposer, en repoussant toujours plus loin ses limites morales, dans un milieu gangréné par le pénis et dominé par le masculin.

Jusqu’au boutisme

Après seulement dix minutes, on sait que Pleasure est déjà une expérience sensationnelle. La jeune femme réalise sa première scène pornographique, avec tout ce qui peut amener à ce cheminement : le doute forcément, la passion et la volonté de « performer », dans le sens antinomique de « prendre du plaisir ». Les décors d’un blanc immaculé et la jeune actrice plus blonde que Marylin Monroe rendent la scène plus ludique que dérangeante. Cette atmosphère lumineuse va très vite péricliter au fur et à mesure que les limites que s’était fixée la jeune femme vont s’effondrer.

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À travers le regard de sa jeune protagoniste (intelligente, forte et consciente de sa précarité), la cinéaste Ninja Thyberg confronte le regard masculin et féminin. Ainsi, la mise en scène rappelle un vieil adage de cinématographie : la caméra est une arme. En l’occurrence ici, une arme de domination masculine. Pour un premier film, c’est un sujet risqué mais admirablement traité. Les situations ne s’enchaînent jamais gratuitement et jouissent d’un sens de la mesure assez remarquable. En témoigne le mantra de l’héroïne, répété avec sa comparse d’un coloc d’actrice porno : « On prend le pouvoir », qui passe de crédo galvanisant à chimère dans un milieu où l’argent et l’homme sont au sommet.

Le regard féminin

Dans cette démonstration de regard féminin, la cinéaste enchaîne les scènes chocs, sans aucune censure, n’hésitant à montrer face caméra des pénis et des positions sexuelles inconfortables. Notamment une scène dite « rude » où les coups pleuvent et l’actrice semble subir, dans une mise en scène « POV », un véritable viol en réunion. L’interdiction aux moins de 16 ans, couplée à un avertissement du CNC n’est pas imméritée.

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Mais là où la réalisatrice suédoise aurait pu tomber dans un banal pamphlet antipornographie, il s’agit au contraire d’un récit très documenté, réaliste, où de véritables stars de l’industrie se mettent en scène. Ainsi, Mark Spiegler, l’un des plus célèbres agents du milieu a un rôle primordial dans le film, Bella Cherry faisant tout pour être une « Spiegler girl », lui garantissant la renommée espérée. Ninja Thyberg le confirme après la projection : « Il fallait que je travaille avec eux pour comprendre comment ils fonctionnent. La plupart m’ont très bien accueilli. Certains sont devenus des amis, d’autres non ». Autant d’éléments ancrés dans le réel qui renforcent la sensation de malaise permanent.

Sofia Kappel, la révélation de Pleasure

Pleasure pêche toutefois par son statut de premier film. S’il n’est pas si balisé, le scénario est assez attendu et manque parfois de folie sur sa construction. On aimerait rentrer davantage dans la psyché des personnages, ressentir plus que voir la décrépitude mentale de personnages qui intériorisent leur condition d’objet de désir. Et ce n’est pas quelques dialogues grossiers qui pourront rattraper cet aspect. Il manque définitivement un œil aguerri de metteur en scène pour aboutir à une grande œuvre sensorielle et définitive. Du côté de la cinéaste suédoise, cela viendra. On retiendra plutôt la performance hallucinante de Sofia Kappel, véritable révélation qui incarne le film sur ses larges épaules.

Pleinement engagé sur le concept de domination masculine dans l’industrie pornographique et de surcroit, dans l’art, Pleasure n’en oublie pas le cinéma et s’inscrit comme une expérience choc et jusqu’au boutiste. Un long-métrage parfois trop arty et facile, mais qui, pour un premier film, est une belle prise de risque de par son réalisme cru et sans concession. Du genre qui ne s’oublie pas facilement.