En grec, « Zoé » signifie la vie qui se renouvelle. Pour son nouveau long-métrage, l’actrice et réalisatrice Julie Delpy raconte, avec liberté et audace, l’histoire d’une mère prête à tout pour retrouver son enfant. Le film déroute, par le sujet qu’il traite, et les différents genres qu’il explore. Au départ « simple » chronique conjugale, le récit nous emmène crescendo vers la science-fiction. My Zoé, c’est le pari fou d’une résurrection. Il aborde quelque chose de tabou (qu’on ne peut pas dévoiler…), qui parait très loin de nous mais ne l’est peut-être pas tant que ça. Car de la science-fiction à l’anticipation, il n’y a qu’un pas…
Chronique d’une séparation
Tout commence par une histoire « classique » de rupture amoureuse et de garde d’enfant. Isabelle, généticienne, a suivi James à Berlin et ils se sont séparés. Elle est tombée amoureuse d’un autre homme, a décidé de relancer sa carrière, et James n’arrive pas à l’accepter. Jaloux, mal dans sa peau, il lui reproche une séparation qu’il n’a pas voulue. Par esprit de vengeance, il lui mène la vie dure pour obtenir la garde de leur petite-fille Zoé. Une expérience traumatisante, que vit Julie Delpy avec son propre fils au moment de l’écriture. Et qui explique le réalisme des situations et des sentiments. « D’une certaine manière, ce scénario recrée un peu cette situation et la pousse à son paroxysme à la fin, avec cette idée d’un enfant nouveau que mon personnage s’approprie complètement ». Puis un drame se produit, qui fait basculer la vie d’Isabelle et de James dans l’horreur. Sans rien dire à James, Isabelle va prendre une décision folle pour contrer le destin. On ne peut en dire plus, au risque de dévoiler la partie la plus déroutante, et intéressante, du film.
My Zoé parle de cette relation triangulaire que forme un couple avec son enfant unique. Quand le couple se déchire, l’enfant devient malgré lui un enjeu affectif, de chantage et de culpabilité. Un constat amer que fait la réalisatrice: « Il y a quelque chose de très cruel à culpabiliser l’autre dans une relation, surtout lorsqu’il s’agit d’un enfant. James ne laisse pas de répit à Isabelle de ce point de vue ». Le drame, qui réunit d’abord le couple dans une douleur commune, fait ressurgir les rancœurs et les mots deviennent durs, sans retour. L’une des séquences centrales montre James et Isabelle s’affronter dans un espace clos qui évoque un bocal. La scène est pensée comme une chorégraphie : « L’un attaque l’autre, qui va plus loin et atteint le point de non-retour […]. J’ai pensé cette scène comme une danse et comme un morceau de musique. Il fallait qu’il y ait des mouvements, des variations ».
Entre réalité et science-fiction
La construction en trois actes, à la manière d’une tragédie grecque, place le réalisme de plus en plus à distance. Le premier acte traite d’une réalité assez classique ; le deuxième, d’une épreuve douloureuse ; et le troisième s’éloigne de nos repères pour explorer, par une « science-fiction légère », une dimension métaphysique mais plausible. L’histoire devient alors singulière, déstabilisante, en abordant le sujet tabou de la génétique et de la possibilité de transcender la nature humaine. « On est bercés par l’idée qu’il faut accepter la condition humaine, l’idée du vieillissement et celle de la mort, mais cette acceptation m’a toujours gênée. Être créatif, je pense, est une façon d’échapper à cela ». La génétique passionne Julie Delpy et pour écrire My Zoé, elle se base sur de nombreuses recherches.
« J’ai consulté un nombre incalculable de livres scientifiques à m’en saturer le cerveau ! Et je constate que certains scientifiques qui voient le film l’aiment beaucoup. Beaucoup se sont réjouis qu’un film ose enfin affronter de telles problématiques « .
Une séquence montrant des femmes d’une soixante d’années (voire plus), enceintes et radieuses dans le cabinet d’un médecin, met particulièrement mal à l’aise. « On confine à l’absurde, parce que la société dans laquelle on vit l’est ! Notre société a atteint un degré de folie totale, et la science n’est rien à côté de la politique et des intérêts financiers… ».
La réalisatrice a choisi de ne pas mettre de musique pour ne pas influencer les émotions des spectateurs, et permettre les réactions épidermiques. Le climat du film est étroitement lié au travail du son, et notamment ceux de la vie quotidienne, urbaine. Au fur et à mesure que le récit avance, les sons deviennent plus pesants. Les oiseaux disparaissent presque du deuxième acte, et vers la fin il n’y a presque plus de sons, car les sens finissent par disparaître.
Un film engagé
My Zoé est un film audacieux et qui entremêle les genres, de la chronique à la science-fiction, en passant par le thriller psychologique voire même la fable. Ce n’est jamais complètement de la science-fiction car le réel est toujours là, en toile de fond.
« Je ne voulais pas aller vers l’étrange. Je souhaitais qu’on puisse envisager cette réalité : au fond, peut-être n’y a-t-il même rien qui relève de la science-fiction… C’est presque de l’anticipation et c’est inquiétant. La question que soulève ce film est : qu’est-ce que la conscience ? ».
Engagé car il aborde une question sensible, mais aussi par son féminisme pleinement assumé. Le film de Julie Delpy traite de l’infinie tendresse maternelle, mais aussi de certains rapports de couple destructeurs. « James pourrait aimer Isabelle s’il pouvait totalement la contrôler. […] My Zoé parle du contrôle dont ont besoin certains hommes pour exister dans leur relation ». Pendant toute la première partie du film, James essaie d’écraser Isabelle en tant que mère. « D’une certaine manière, elle va se révolter et regagner son identité de mère intégralement, mais pas de manière conformiste! ». L’acteur anglais Richard Armitage incarne à la perfection un James complexe, mélange de fragilité, mal-être, cruauté et instabilité. « My » Zoé renvoie à l’idée que cette enfant va devenir celui d’Isabelle. « Il y a quelque chose de profondément féministe dans ce film : Isabelle prend des décisions par elle-même. Avec tout ce qui se joue en ce moment aux États-Unis autour de l’avortement, c’est sûr que ce titre et cette histoire résonnent particulièrement… ».
Julie Delpy a écrit My Zoé comme ses autres films, avec le cœur et en mettant beaucoup d’elle-même.
« Il y a une grande partie inconsciente dans mon écriture. J’écris mes scénarios de manière passionnelle et celui-ci, en particulier, je l’ai écrit de façon organique, très vite. Puis j’ai pris conscience que j’avais recréé un enfant et une nouvelle forme de maternité ».
Cosmopolite
Tourné à Berlin et Moscou, My Zoé est un film cosmopolite, avec des comédiens de diverses nationalités. « Je ne connais rien d’autre ! J’ai été élevée à Paris, au milieu d’artistes d’horizons variés. Mes parents travaillaient dans le théâtre d’avant-garde avec des gens du monde entier, j’ai donc grandi dans une culture extrêmement mixte. » Le rôle du médecin installé à Moscou est interprété par l’allemand Daniel Brühl. « Je souhaitais un acteur étranger afin qu’on comprenne qu’il s’était échappé de son pays, car dans l’Union Européenne il existe beaucoup de limitations dans les recherches génétiques ». C’est d’ailleurs en partie grâce à lui que My Zoé a pu se faire : « Il a coproduit le film et s’est démené pour trouver son financement dès qu’il en a lu le scénario ».
Pour Akil, l’amant d’Isabelle, Julie Delpy a imaginé un personnage étranger à l’Europe, qui charrie avec lui les traumatismes d’un pays en conflit. Ce qui explique, en partie, qu’il comprenne mieux que les autres la douleur d’Isabelle. L’acteur palestinien Saleh Bakri a su parfaitement incarner cette idée. La femme du médecin est jouée par l’Anglaise Gemma Arterton. Lyndsay Duncan, qui joue la mère d’Isabelle, est également une actrice britannique. « Tout le monde m’a dit que la ressemblance entre nous était troublante. […] Nous formons un couple mère-fille très crédible, et Lyndsay a parfaitement saisi la part fantasque de son personnage ». La petite Sophia Ally, qui incarne Zoé, est d’un naturel et d’une sensibilité incroyables.
My Zoé de Julie Delpy – UK, Allemagne, France, USA – 2021 – 102 minutes – Avec Julie Delpy, Sophia Ally, Daniel Brühl, Gemma Aterton, Saleh Bakri, Richard Armitage, Lyndsay Duncan. Sortie mercredi 30 juin. Découvrez la bande-annonce.
Sorties : découvrez la critique de Teddy.