En 2021-2022, les hommages à Tezuka se multiplient sous la forme d’anthologie (Tezucomi,) ou d’adaptations (Ayako, Dororo). Une pratique ancienne puisqu’une autre œuvre du maître du manga avait déjà eu le droit à une ré-adaptation : Métropolis. Ce manga constitue une des premières œuvres d’Ozamu Tezuka. Ce dernier a, à peine 21 ans en 1949, quand il découvre le film Métropolis de Fritz Lang. Marqué par les images, il décide d’écrire une histoire inspirée de la trame du long métrage. Cette œuvre de jeunesse est restée longtemps inédite en France. Jusqu’en 2001, année où Rintarô, un des disciples de Tezuka, accepte de l’adapter en film d’animation. Un projet ambitieux, 12 ans après la mort du Tezuka, salué par la critique au point qu’en 2005 Taifu Comics se décide à publier en France le manga d’origine. 20 ans après sa sortie, le film n’a pas perdu de sa force.
Métropolis : une enquête steampunk
A Métropolis s’écrit le futur de l’humanité. Robots, machines, transports modernes transforment le quotidien des habitants. C’est la métropole de tous les possibles où tout est baigné de jazz et de lumières. Et la Ziggourat, projet phare de Duke Red, le plus puissant industriel de la ville, est là pour rappeler les ambitions de la cité. Dans quelques jours, cette tour dominera la ville et accueillera une arme solaire sans équivalent sur terre.
C’est au coeur des festivités qu’arrive un inspecteur japonais et son neveu Kenichi. Ils sont mandatés pour trouver et ramener le docteur Laughton, scientifique poursuivi pour des expérimentations illégales sur l’homme. Ils vont découvrir que derrière les paillettes se cache une ville très hiérarchisée où les plus riches habitent la ville haute ; où hommes et robots vivent dans des espaces limités. Pour faire régner l’ordre, la police et une milice les marduks contrôlent les citoyens et répriment les contrevenants. Et dans les bas fonds, le docteur Laughton travaille en secret au service de Duc Red à la mise au point de Tima, un robot-humain dernière génération qui va embraser la ville.
Métropolis : une ambiance fascinante
La première impression que laissent les premières minutes du film c’est d’abord son univers sonore. La bande originale est l’oeuvre de Toshiyuki Honda. Jeune, il a baigné dans un univers jazz et soul. Son père, critique de jazz, l’initie à cette musique. Ainsi, il devient naturellement musicien de jazz, collabore avec des jazzmen de renom (Chick Corea) et des groupes de jazz (Native son). Tout le prédestinait à être choisi pour composer une bande- son hommage à la musique des années 20. Cette O.S.T est une lettre d’amour à la musique afro-américaine et au jazz style Nouvelle Orléans mélange de fanfares endiablées, de solos de cuivre, banjo. Son orchestration culmine avec la reprise de « ICan’t Stop Loving You » de Ray Charles. Il en découle une des plus belles et originales bande sons de l’histoire de l’anime
Le seconde impression est visuelle. Rintarô et ses équipes ont en effet réussi à rendre hommage à l’oeuvre de Tezuka et à celle de Fritz Lang. A nouveau, les premières minutes posent des bases techniques de haute volée. En effet, la 3D et le dessin classique se mélangent avec harmonie pour faire ressentir la verticalité et l’opulence de la cité. D’un côté, les dessinateurs détaillent cette architecture néo-gothique, industrielle. L’univers steampunk se décline dans un délire de poutres, de constructions suspendues, de couloirs souterrains. Trains, magasins, bureaux, places centrales, présentent en outre une richesse d’éléments, de matières. Sans oublier la dimension robotique. Les équipes dépeignent toute une gamme d’êtres artificiels du plus schématique au plus humain. De l’autre côté, ils reprennent le style Tezuka : visages arrondis, des nez remarquables et une douceur dans le regard. Le tout est rehaussé par une palette de couleurs chaudes, chatoyantes qui déborde à chaque plan. L’ensemble forme une composition artistique qui marque la rétine.
Une histoire polysémique
Avec Métropolis, trois histoires se croisent et s’enrichissent. Il y a en premier lieu l’enquête, l’argument du film. Le scénario est si bien écrit que les mystères se dévoilent patiemment au fil de cette plongée dans les entrailles de la cité. Qui est Laughton ? Qui est Tima ? Qui sont les Marduks ? Les fils d’une toile se tissent et englobent nos deux héros confrontés à des chois cornéliens. La mission, la compassion, l’intérêt, la survie ? Quelle voie choisir?
Il y a en suite à l’image de beaucoup d’oeuvres de Tezuka une dimension politique et humaniste. Comme dans le film de Fritz Lang, l’intrigue propose une réflexion sociale : ville du haut contre ville des prolétaires. Une lutte des classes est inévitable mais la réponse apportée par l’oeuvre va en surprendre plus d’un. Car Tezuka l’inclut dans une réflexion plus vaste sur le pouvoir et la lutte des clans. Entre ces grands intérêts, les classes laborieuses sont à l’image des robots, un outil facilement remplaçable.
Il y a enfin le discours philosophique/mythologique sous-jacent. Cette ziggourat rappelle la tour de Babel. Et le projet de Duke Red évoque l’ambition des hommes qui veulent égaler les dieux et qui, comme Icare, défie les lois de la nature. Dans cette réflexion, le personnage de Tima devient l’expression de cette ambition et l’incarnation de la punition. Comment un être artificiel entièrement cartésien réagira-t-il devant la folie des Hommes ? D’autant que 4 mois après la sortie du film, auront lieu les attentats du 11 septembre et l’effondrement des tours géantes. Hasard tragique qui décuple la force de cet anime.
Métropolis : une adaptation fidèle à l’esprit de l’oeuvre
Adapter c’est trahir et les connaisseurs du manga relèveront les libertés prises par le réalisateur. Celles-ci sont deux ordres. D’abord, l’anime incorpore davantage de références au film de Fritz Lang que se soit visuellement (la forme de la ziggourat) que narrativement (l’importance du thème de la lutte des classes). Ensuite, le film de 2001 modifie des éléments de la trame d’origine. Le robot dans le manga avait la capacité de voler et de changer ce qui disparaît dans le film. Ce dernier ajoute un personnage, Rock, le fils mal aimé de Duke Red.
Toutes ces déviations prennent du sens par rapport au propos du film. En effet, celui-ci insiste beaucoup sur le double visage de l’humanité et le rôle de nos sentiments. Bénéfiques, ils conduisent Tima à s’élever au-delà de sa condition d’humanoïde ; négatifs ils engendrent la frustration de Rock, la froideur de Duke Red. Ceci amène alors l’oeuvre à reprendre un des thèmes fétiches de Tezuka : et si les robots avaient eux aussi une âme ? Ce qui nous offre des séquences d’émotion pure : le sacrifice des androïdes de nettoyage, le destin de l’inspecteur robot ou l’ascension de Tima.
Avec Métropolis, Rintarô signe un bijou de l’animation japonaise doublé d’une adaptation exemplaire. 20 ans après sa sortie, son film reste toujours merveilleux, poétique, intelligent. Il rappelle combien Tezuka est un créateur de génie.