Moon Yu-jung est à sa troisième tentative de suicide. Sa tante, une bonne sœur, l’oblige à rendre visite à Jung Yun-su, condamné à mort pour viol et meurtre. D’abord réticents, les deux jeunes commencent tout doucement à se rapprocher. Ils attendent les jeudis avec impatience, le jour de visite.
Fiche technique
Réalisé par Song Hae-sung
Basé sur le roman à succès ‘Nos temps heureux’ de Gong Ji-young
Date de sortie: 14 Septembre 2006 (Corée du Sud)
Distribution: Gang Dong-Won, Lee Na-young
L’année 2006 fut une année prospère, riche en productions. The Host, dont la version restaurée en 4K est ressortie dans les cinémas français le 8 mars 2023. Tazza: The High Rollers, le génial film d’action Running Wild, le sombre Dirty Carnival ou la comédie 200 Pounds Beauty. Avec plus de trois millions d’entrées, Maundy Thursday (Jeudi saint) a été le septième film le plus populaire de Corée de l’année 2006. Au total, le box-office de 2006 a établi un nouveau record de revenus (plus d’un milliard de dollars) et vendu le plus grand nombre de billets depuis la fin des années 1960.
Il serait dommage d’oublier dans un tiroir ces chefs-d’œuvre absolument extraordinaires provenant de la Corée du Sud. C’est pour cette raison que nous aimons bien y revenir de temps à autre, pour que le public français puisse connaître l’amplitude de « l’après Old Boy » et « l’avant Parasite ».
Impressions
Le thème de la peine de mort fait partie de ces sujets à controverse dont les gens aiment bien discuter, mais qui s’avère stérile à la conclusion. Maundy Thursday n’épargne aucun détail qui pourrait convaincre les réticents ou dissuader les convaincus. Il nous montre un jeune homme ravagé, anéanti par son acte. Peut-être un acte « par surprise », « non voulu » mais il n’en reste pas moins qu’il a quand même tué une jeune femme innocente.
Depuis un peu plus de 20 ans, un moratoire « officieux » s’est mis en place en Corée du Sud pour l’application de la peine capitale. C’est comme s’ils voulaient garder une carte dans leur manche. Garder le pouvoir en somme. Le 25 février 2010, le tribunal a statué que la peine de mort ne va pas à l’encontre de la Constitution si elle est limitée, applicable seulement aux personnes ayant commis des crimes extrêmes, tels que le meurtre de nombreuses personnes avec une extrême cruauté.
Il est sûr que Maundy Thursday est tendancieux. Le visage d’ange de Gang Dong-Won nous place directement dans une partialité à notre insu. Ses regrets, son besoin d’être pardonné, sa résignation, son acceptation, le tout couronné par sa beauté, nous rend la tâche très ardue. Il est très difficile, voire impossible d’être objectifs. Ça aurait été un Kevin Spacey, crâne rasé avec la tête de Gwyneth Paltrow dans une boite (Seven) ou l’assassin de « No mercy », dont la mise à mort n’efface en rien l’horreur que nous venons de vivre… cela aurait été des monstres, est-ce que les principes des avisés n’auraient pas été ébranlés ?
Maundy Thursday est définitivement un film qui soulève des grands questionnements. Qui ouvre des débats sur la punition, le pardon, le viol, ce vaste univers qui est la peine de mort. D’ailleurs, il est presque inévitable de faire le rapprochement avec le dernier repas pris par Jésus avec ses disciples avant son arrestation, le jeudi saint. Des subtiles touches de la religion chrétienne sont abordées sans que cela prenne une place trop importante. Le réalisateur semble avoir voulu s’abstenir d’une intention de dogmatisation qui aurait pu nous faire hausser les yeux. Cela aurait été le comble !
Jung Yun-su et Moon Yu-Jung attendent avec impatience les jeudis, le jour de la visite. Le jeune homme voudrait même que tous les jours soient jeudi. « J’aimerais qu’il n’y ait que des jeudis dans ma vie » Souhaite-t-il éterniser ce dernier moment, cette dernière cène, étant donné qu’il ignore à quelle date aura lieu l’événement fatidique ?
Est-ce que Jung Yun-su mérite de mourir? Sous des faux airs de film romantique, Song Hae-sung nous expose un vrai dilemme (pour le spectateur) face à la peine capitale car, Jung Yun-su, interprété avec tact et subtilité par Gang Dong-won, n’est pas coupable mais il n’est pas complètement innocent.
Deux êtres qui ont peur du jour d’après, qui se rapprochent à cause de leurs blessures. Deux êtres dont l’envie de mourir rend leur relation unique. Une autre question est aussi soulevée dans ce film poignant, qui lui donne un côté » Le Prince des marées » réalisé par Barbra Streisand. Etre contraint par ses propres parents de cacher un viol s’avère plus atroce que le viol en soit, plus dévastateur.
Réalisateur et film
Maundy Thursday ne déborde pas dans l’exagération. Cela permet aux spectateurs la liberté de se concentrer sur les vrais sujets, sans être aveuglés par un trop de larmes inutiles. Trop de mélodrame aurait été le point faible dont le réalisateur nous a épargné. Les dialogues courts et souvent espacés rebondissent entre les quatre murs de la prison provoquant une atmosphère bon enfant, presque feutrée. Douce mais incandescente.
Pour une fois, la fameuse interaction propre à certains films asiatiques se passe sur un autre niveau. Les spectateurs n’arrivent pas à s’identifier à aucun des personnages. Trop éparpillés. Des comportements qui rayent la schizophrénie ou le trouble de la personnalité, n’ont pas de prises auxquelles s’accrocher. Impossible de suivre une balle en caoutchouc qui rebondit dans tous les sens.
On regarde avec une certaine distance. Il s’agit d’une histoire qui n’arrive qu’aux autres. Cependant, le sujet principal remue nos tripes, nos idéaux, nos principes. Nous place, non dans l’identification d’un personnage, mais plutôt d’une humanité qui prônera toujours le pour ou le contre avec une assurance désespérante.
Des flash-backs qui semblent vouloir montrer les conséquences d’une enfance très malheureuse. Cette volonté de cause à effet, de nous faire sentir de la compassion pour ce condamné à mort semble légèrement avortée car, à un certain moment, il nous arrive d’oublier le contexte pour nous concentrer sur leur histoire. L’usage de la caméra sur l’épaule dans les moments critiques nous donne l’impression d’être des voyeurs, comme si nous ne devions pas assister à leurs échanges. Et puis, cette sempiternelle image figée de la prison sous la neige. Toujours la même, impavide, stoïque mais forte et déterminée. Nous réalisons que nous ne sortirons pas non plus de cette prison.
Acteurs
Gang Dong-Won en a fait du chemin depuis Maundy Thursday. The Secret Reunion, A Violent Prosecutor, Vanishing Time: A Boy Who Returned ou le récent Broker (où il retrouve Song Kang-Ho) entre tant d’autres. Repéré dans la rue par un agent de mannequinat, il a défilé pour Gucci, Hugo Boss et DKNY. En mai 2022, Gang a été sélectionné comme ambassadeur de la marque de luxe française Louis Vuitton. Ces expériences semblent flotter autour de lui comme un genre d’aura, très présentes lorsque l’acteur s’exprime lors des interviews, conférences de presse ou autre devant les caméras. En dehors des films et comme tant d’artistes sud-coréens, Gang Dong-Won ne marche pas, il défile.
Si il a une légère tendance à tricoter sa performance autour de son physique avantageux, nous pouvons déjà constater dans ce film qu’il n’est pas qu’un beau visage. Connaissant un peu la personnalité de l’acteur, son parcours, ce top model nous surprend à chaque fois par sa capacité d’abandonner ce qu’il est et de devenir quelqu’un d’autre. Son personnage se veut meurtri, déchiré entre ce qu’il a fait et ce qui l’attend, accablé par le remords. Gang s’y immerge, lui donne un profil tout à fait crédible et contribue ainsi à façonner cette ambiance de non-retour qui règne dans l’histoire.
Lee Na-Young semble trimbaler avec elle ce côté psychotique et névrosé du drama Ireland. Pas vraiment de surprise. Ce sourire figé comme un tatouage permanent, ce regard tristounet, cette attitude morose, sa personnalité qui donne l’impression d’être complètement paumée… on dirait que la personne a changé de film mais qu’il s’agit toujours du même personnage. C’est comme si elle avait peur de dépasser certaines limites. Cela dit, ce nuage maussade qui se dégage d’elle, tombe à pic dans ce scénario où la vie s’accroche à la mort et la mort s’accroche à la vie. Elle arrive à ébranler notre détermination de ne pas pleurer, donnant de sa part la bonne touche de sentimentalisme à chaque scène. L’osmose, cette fameuse alchimie dont on parle souvent entre les deux personnages principaux, donne de la force, du terre à terre, dans cette situation qui pourrait se perdre dans les méandres d’un dramatique trop poussé.
Conclusion
Mis à part l’interprétation et le soutien que les acteurs apportent à Maundy Thursday, le point culminant de ce film est la neutralité dont la peine de mort est exposée. Le spectateur est tiraillé car il est impossible de prendre parti. Et voilà toute sa force. Le personnage principal aurait pu être un méchant très méchant, ou un innocent très gentil. Non, il s’agit d’un très gentil qui s’est laissé entraîner par les aléas de la vie. Et qui aurait pu faire d’autre choix. Le questionnement sur la peine de mort reste ouvert, comme une blessure béante qui se moque de la pensée d’autrui.
Mais… les rencontres entre Jung Yun-su et Moon Yu-Jung guérissent des souffrances trop incréées. Leur histoire est belle. Comme le film.