Insomniaque déjà à l’âge de 13 ans, j’ai entendu la radio m’annoncer au milieu de la nuit qu’Elvis Presley était mort. « Victime d’une crise cardiaque », « consommation excessive de médicaments » et « à l’âge de 42 ans » sont venus à la suite de cette information. Cette nouvelle, si immense et si incroyable dans le sens propre du terme, m’a paru terriblement sommaire, à la limite de l’incongru.
Cet homme qui se trémoussait dans tous les sens et à qui la censure de la télévision espagnole avait coupé les hanches sans aucune pitié. Ce beau gosse sûr de lui à la moue arrogante. Cet homme à la voix profonde et au sourire presque dédaigneux. Le comble du kitsch, les fans qui hurlent, ses cheveux coiffés en arrière avec cette petite mèche fixée devant. Et son corps. Sa façon bien à lui de braver les interdits. Cet homme venait de mourir.
On l’a surnommé The King. Beaucoup d’entre nous avons été témoins de sa déchéance mais, élégant, il nous a donné sa voix jusqu’à son dernier souffle. Je ne l’aimais pas. Il ne me faisait pas vibrer. Tout cet amalgame de superficiel qui l’entourait m’empêchait d’entendre cette voix inégalable. Un roc venait de mourir. Une période de l’histoire, la fausse image de la liberté. Un repère. Un jeune homme prometteur devenu un monstre à cause des médicaments mais surtout à cause de tous ceux qui ont fait de lui un produit.
Ce n’est que bien des années plus tard, une fois que toutes ces couches d’oignon autour de lui avaient disparu, que j’ai entendu, sans filtre, de cœur à cœur, « Love me tender ». Mes larmes m’ont confirmé ce que je soupçonnais depuis longtemps : une figure emblématique s’était effondrée et avec lui, un tournant de l’histoire de la musique.
Synopsis
L’histoire d’Elvis Presley, à travers le prisme de son impresario.
Impressions
Il est vraiment déplacé de réaliser un film dont le titre est « Elvis », pour finalement faire passer celui-ci en deuxième plan. Certes, l’emprise de ce colonel ne devait pas rester sous silence mais alors, on se focalise sur ce personnage et point barre. Et on appelle le film autrement, comme par exemple « Le colonel Parker ». Tom Hanks joue le rôle de ce colonel, monopolise l’écran jusqu’à l’asphyxier. Son charisme devenu trop lourd, nous étouffe et ne laisse aucune chance à un Austin Butler qui papillonne, qui se noie dans l’interprétation d’un rôle beaucoup trop grand pour lui. Plus que transmettre un semblant de l’énergie sexuelle d’Elvis, il se voit plutôt assaillit par des spasmes qui ne transmettent rien du tout.
Le cinéma de Luhrmann pourrait se qualifier de profond dans sa superficialité. Cette façon tellement particulière du réalisateur de se passer délibérément de point d’ancrage et de nous promener par des voyages visuels époustouflants, devient malheureusement le talon d’Achille de cette intention de biopic. Sous des tonnes de kitsch et avec l’espoir de construire un scénario béton sur Elvis, le film se focalise sur son impresario, ce colonel qui n’était même pas colonel et dont on n’a rien à faire.
Les moments clés de la vie du chanteur sont abordés avec des très pâles coups des pinceaux, ce qui donne au film un aspect décousu et sans âme. Les vides sont colmatés par un Tom Hanks aussi omniprésent que la grenouille Kermit dans les épisodes de Sesam Street. La vie d’Elvis était fortement intéressante et remplie pour que l’on prenne le colonel comme excuse pour parler de lui. Ce n’était pas nécessaire. Le sujet aurait pu être abordé mais pas vendu comme objet principal. Comme si Elvis n’était qu’un accessoire, comme s’il ne valait rien.
Il est absolument déplacé de donner le rôle d’Elvis à un petit jeune qui ne lui arrive même pas à la cheville. L’énergie, l’aura d’Elvis sont tellement absents que le film devient une histoire sans âme qui n’a que pour but l’énumération de certains événements. Comme une exposition qui n’aurait pas de matière et qui finirait par nous ennuyer, voir nous agacer plus que tout. Le petit Forrest Gump dégageait beaucoup plus d’émotions quand il dansait !
Il est clair que se mesurer à Freddy Mercury ou à Elvis, n’est pas donné à tout le monde. Il est clair que Rami Malik n’est pas Freddy Mercury, qu’à aucun moment on oublie qu’il n’est pas Freddy Mercury. Mais une fois qu’on s’adapte et que l’acceptation se met en place, on ne peut que saluer l’interprétation de cet acteur. Austin Butler, on dirait qu’on lui a donné un coup de pied et qu’il a atterri sur le plateau, démuni et seul au monde. Débrouille-toi, quoi.
Récemment, le réalisateur sud-coréen Park Chan-Wook avait parlé de la production des films réalisés pendant la pandémie. Des interruptions des tournages à cause du covid, des salles de cinéma fermées, des confinements sur des confinements… Tout cela offrait plus que le temps aux productions de peaufiner leur bébé. Mais, à notre avis, plus le temps passe, plus on touche et on retouche, plus le projet s’éparpille. La perspective change, l’idée initiale se voit ballottée, banalisée.
Heureusement, tous ceux qui avons connu ce monument, cette force de la nature, gardons bien en nous son souvenir intouchable. Cette glissade, cette vision depuis un prisme exaspérant, risque de passer très vite aux oubliettes. Vraiment dommage.
La seule véritable émotion dans ce film, ce sont les dernières secondes avec le chanteur. C’était Elvis, quoi. Pas besoin de plus.