Synopsis Eastern Boys: Paris, Garis du Nord. Des jeunes des pays de l’est déambulent sous le regard méfiant des passants. Mais aussi sous le regard intéressé de Daniel, tombé sous le charme de Malek, l’un de ces jeunes garçons, visiblement prostitué. Il lui donne rendez-vous, chez lui, dans son appartement. Malek vient mais accompagné de toute sa bande…
Tout commence à la Gare du Nord, pour une première partie sans dialogue où nous observons de loin pendant de longues (mais jouissives) minutes les déplacements des jeunes délinquants dans les allées de la gare, ici monstre tentaculaire. Daniel (Olivier Rabourdin, magnifique) quinqua en costume les épie, les poursuit. Commence alors un chassé croisé amoureux et terrifiant, où l’on ne sait pas bien qui est le chasseur et la proie, l’adulte et l’enfant. Le cinéaste filme cette grandiose ouverture comme un ballet qui saurai prendre son temps avant de se prolonger en course poursuite. Tout le film est en permanence sur ce numéro d’équilibriste entre romance et thriller, les deux s’alternent régulièrement pour mieux jouer avec nos nerfs.
« Combien il coûte ? Ton appartement »
Robin Campillo, qui s’est illustré avec la série Les Revenants de Canal +, filme sous haute tension la première rencontre, à l’appartement. Toute la bande à Malek s’étant invitée pour une fête improvisée. Nous plongeons alors dans un huit clos où les jeunes russes dévalisent l’appartement, l’envahissent, le violent. Nous pensons évidemment à Funny Games de Hanneke où de jeunes gens perturbent gratuitement le quotidien d’individus paisibles jusqu’à l’inéluctable. Pas de violence gratuite ici mais une violence retenue qui reste en surface, accentuée par le charisme glacial et traumatisant du chef de la bande (interprété par le puissant Danil Vorobyev) . La violence est cachée, ce qui renforce et provoque ces sentiments contradictoires d’étouffement face à une situation hors contrôle, et d’envoûtement face à tant de beauté. Daniel lui même cédera à la fête, passant un bref instant du côté des bourreaux. Pour autant, personne n’est dupe, il ne fait pas partie du groupe, le boss le lui rappelle régulièrement, en lui demandant par exemple le prix de son appartement. Lui qui pensait pouvoir acheter un nouveau bien (le corps du jeune et beau Malek) se voit déposséder de tout.
L’inconnu de l’est
Lorsque Malek finit par revenir à l’appartement, car il reviendra plusieurs fois et seul, l’histoire devient celle d’une relation ambiguë, dangereuse, magnifique, terrible. Ce qui est au départ un rapport au corps uniquement rémunéré devient un rapport où le corps prend le dessus mais avec beaucoup de maladresses de la part de Malek, de caprice aussi, car d’amant il redevient enfant. Le statut des personnages est mouvant, ils dépassent toutes les frontières. Pour autant, Campillo ne verse jamais dans le sentimentalisme facile, encore moins dans le moralisme envers ces réfugiés de l’est. De même que l’homosexualité des personnages n’est qu’un élément de fond mais en rien la trame du récit. Campillo se rapproche ainsi d’Alain Giraudie, une nouvelle fois remarqué à Cannes avec “Rester vertical” dont l’homosexualité est sous-jacente à des suspenses de polar, comme dans “L’inconnu du lac”.
La troisième partie du film se déroule dans l’hôtel périphérique, sans âme, où vivent les réfugiés, reconstituant un microcosme “estien”. Il sera le théâtre d’une confrontation finale où la réalité sociale et physique de chaque personnage les rattrape. Eastern boys s’ancre donc dans trois hauts lieux, la gare, l’appartement, l’hôtel. Dans chaque lieu, des relations de pouvoirs s’établissent, rapport des classes ou rapport des corps, et s’inversent. Ce mouvement constant des personnages est accentué par la mise en scène, elle aussi toujours en mouvement, en flux et reflux. Dans la gare, les personnages se croisent avant de relier une destinée qui de nouveau se brisera dans les couloirs d’un hôtel, témoin d’une guerre civile pas si lointaine poussant des enfants à l’exil.
Il y a quelque chose de magique dans ce film, de l’ordre du temps suspendu. Même lorsque l’intrigue finit par se resserrer, que le montage se fait plus vif et tendu, le réalisateur sait rester à bonne distance. Campillo réussit là où Jacques Audiard a échoué avec “Dheepan” qui a sombré dans une série B qui tentait de nous imposer son point de vue, discutable. Eastern Boy sollicite au contraire l’intelligence du spectateur par sa façon d’aborder des questions sociales sans sacrifier au récit, au sens de l’action portée par des personnages fascinants. Avec en prime, un vrai rôle de “méchant”, fondement de tout bon polar, plus nuancé et tourmenté qu’il ne le laisse paraître. Une pépite.
Eastern Boys de Robin Campillo avec Olivier Rabourdin, Kirill Emelyanov, Danil Vorobyev…2h08
Le film est disponible en DVD et sur OCS.