Une exploration de la vie de William Friedkin tirée de son autobiographie Friedkin Connection: Les Mémoires d’un Cinéaste de Légende parut en 2014.
William Friedkin, réalisateur légendaire, aura inscrit son empreinte authentique et jusqu’au-boutiste dans le paysage cinématographique mondial à travers des œuvres remarquables telles que The French Connection, L’Exorciste et Le Convoi de la Peur.
Pourtant, au-delà de ses réalisations, c’est aussi à travers des anecdotes que se révèle la complexité de sa personnalité captivante. Entre une audace maladive et une humilité sans cesse retrouvée, Friedkin a su reconnaître ses erreurs et maîtriser ses excès. Son évolution, mûrie au fil du temps, est mise en lumière par l’écriture de ses mémoires. Ainsi, émerge le portrait d’un cinéaste qui, au fil de son expérience, a su cultiver une profonde forme de résilience.
1) Les Années 60 : Caméra Embarquée & Records de Vitesse
En sondant les débuts de la carrière de William Friedkin, c’est d’abord en tant que documentariste qu’il fascine. À une époque où il n’était pas encore reconnu pour ses œuvres emblématiques, il s’efforçait de se développer en tant que cinéaste, démontrant déjà un attrait profond pour l’image action.
C’est dans le show télévisuel des années 60, The Bold Men, qu’il trouva une source d’inspiration insatiable. Il y côtoyait des intrépides qui lui ressemblaient et risquaient leur vie en atteignant des sommets vertigineux. De l’escalade de falaises immenses aux cascades en hélicoptère, la chaîne NBC dévoilait l’envers de ces exploits. Pour Friedkin, c’était l’occasion de se parfaire en tant que caméraman, déterminé à capturer l’action dans son aspect le plus pur et le plus brutal. Parmi les séquences les plus marquantes de l’émission, une cascade en hélicoptère se distingue. Deux hommes, l’un équipé de deux parachutes et l’autre en était dépourvu, sautant d’un hélicoptère en plein vol. L’enjeu était démentiel pour l’époque : l’homme sans parachute devait compter sur son coéquipier pour lui fournir et installer le sien à temps, rappelant les derniers Mission Impossible. Cette séquence impressionnante illustrera déjà le désir du cinéaste de capturer des images en tant réel, tout en exploitant un réalisme périlleux, alors jugé pernicieux et de seconde zone.
En fait, un événement crucial allait profondément marquer le jeune cinéaste, frôlant la mort de justesse. Cela résultera, tout au long de sa carrière, d’une fascination pour les courses-poursuites et la vitesse. Dès ses débuts dans le documentaire, il souhaita immortaliser ces fous de l’automobile. C’était le cas de ses Daring Men, prêts à tout pour dépasser des records du monde de vitesse. De fait, il ne s’agissait pas simplement de courses, mais bien de compétitions où les participants trafiquaient leurs véhicules sans aucune réglementation. Le risque était considérable, et nombreux sont les participants qui en payaient le prix ultime. William Friedkin éprouvait un profond respect pour ces pilotes de l’extrême, prêts à se sacrifier pour leurs passions.
Cela atteignit un point de non-retour lorsque le cinéaste s’embarqua lui-même au côté des pilotes. Après un premier essai de record de vitesse qui atteignit 740 km/h, la vitre s’était brisée, ce qui aurait dû avertir Friedkin. Cela ne le dissuada pas de se rapprocher au plus proche des véhicules, sous les regards horrifiés de son équipe. Le pilote, téméraire, faillit battre le record mondial, alors établi à 850 km/h. Après ses essais spectaculaires, le pilote proposa à Friedkin de filmer à l’intérieur même du véhicule, une demande qui jettera un froid chez toute l’équipe de production. Pourtant, Friedkin embarqua sans sourciller à la recherche de la séquence suprême. Une quête qui ne le quittera jamais pendant ses plus de cinquante ans de carrière. La décision d’embarquer la caméra le laissera nauséeux mais indemne.
Un ultime essai aurait pu lui coûter la vie. Le pilote décida de retenter l’expérience, battant non seulement le record en dépassant les 850 km/h, mais provoquant également la destruction totale de son bolide, mettant ainsi sa vie en grand danger. Le constat était clair : la décision de monter une seconde fois aurait coûté la vie du jeune cinéaste. Par la suite, il expliquera que cet événement fut l’un des moments constitutifs de son caractère intrépide, une caractéristique qui marquera tous les acteurs et les nombreuses équipes qui travailleront avec lui. Le réalisateur avouera même qu’il n’a jamais véritablement mesuré la dangerosité de ces tournages, se laissant guider par son instinct et son envie de laisser une trace indélébile sur le septième art.
2) La Leçon d’Hitchcock
L’histoire de la rencontre entre William Friedkin et le maître du suspense, Alfred Hitchcock, est indéniablement l’une des anecdotes les plus mémorables de la vie du réalisateur. Elle trouve ses origines alors que le jeune Friedkin travaillait sur le dernier épisode de la série d’anthologies Suspicion, dont le réalisateur anglais était showrunner. Lorsque Hitchcock se présenta devant le jeune cinéaste, sa remarque désormais culte, fut un instant inoubliable. Friedkin se sentit honoré de se retrouver face à l’une des figures les plus emblématiques du cinéma. Probablement sous la pression de son équipe pour cette rencontre de routine avec l’un des réalisateurs les plus jeunes de la série, Hitchcock tendit sa main de manière étrangement solennelle, comme s’il s’agissait d’une poignée de main royale. Il fit remarquer à Friedkin que les réalisateurs ici portaient généralement des cravates, avant de s’éloigner rapidement. Cette première impression laissera une empreinte durable sur le jeune cinéaste.
Cinq ans plus tard, lors de la cérémonie des Directors Guild Award de 1972, où il fut récompensé pour The French Connection, Friedkin rencontra à nouveau Alfred Hitchcock. Cette fois-ci, c’est Friedkin lui-même qui chercha à créer l’occasion de la rencontre. Après son discours, il s’approcha de ce monument du cinéma, saisissant son propre nœud papillon et demanda, avec un sourire espiègle : « Et comment trouvez-vous cette cravate maintenant, Hitch ? ». Cette question laissa l’assistance perplexe, et il était évident qu’Alfred Hitchcock ne se souvenait pas de leur échange. Friedkin plaisanta à ce sujet tout au long de sa vie. Cependant, il ne manqua pas de reconnaître le génie artistique d’Hitchcock, ayant même enregistré un commentaire audio sur Vertigo. Il prodiguait souvent ce conseil aux aspirants cinéastes sur les bancs de l’école : « Partez immédiatement et regardez tous les films d’Alfred Hitchcock ! ».
3) Le Refus d’une Opportunité Légendaire
L’anecdote la plus ahurissante est liée à Star Wars. À l’apogée de sa gloire hollywoodienne, il se vit offrir une opportunité sans précédent : participer à la production d’Un nouvel espoir. Cela fut également proposé à son ami proche, Francis Ford Coppola. Cependant, après avoir pris connaissance du scénario, Friedkin fut sidéré par l’intrigue qu’il qualifia d’atroce, une opinion partagée par de nombreux cinéastes de sa génération. Malgré son profond respect pour le jeune George Lucas, Friedkin déclina l’offre.
En 1977, William Friedkin était au sommet de sa carrière, grâce aux deux succès colossaux qu’étaient The French Connection et L’Exorciste, ayant redéfini en l’espace de quatre ans les codes du cinéma d’action et d’épouvante contemporain. À cette époque, il était impossible de prévoir l’impact massif que Star Wars aurait sur l’industrie cinématographique. Lorsque le film de George Lucas prit d’assaut les écrans, il bouleversa soudainement l’industrie, établissant de nouveaux standards pour les films de divertissement familial, influençant des générations de cinéastes. Parallèlement, la sortie de Sorcerer, Le Convoi de la Peur en France, considéré aujourd’hui comme le chef-d’œuvre de Friedkin, a coïncidé avec celle de Star Wars. Réimagination du classique Le Salaire de la Peur, il suit un groupe de marginaux transportant des explosifs instables à travers une jungle sud-américaine fantasmagorique et obscure. Malgré les qualités indéniables du métrage et les fulgurances dans la mise en scène, Le Convoi de la Peur a été totalement éclipsé par l’engouement que générera le pari de Lucas.
L’émergence d’Un nouvel espoir a transformé le paysage cinématographique en ouvrant la voie aux héros de bande dessinée et aux personnages issus du paysage vidéoludique. Friedkin lui-même a admis plus tard que sa méfiance initiale envers Star Wars était bien plus qu’une erreur de jugement. Il avait du mal à croire que George Lucas, de par son talent expérimental et son bras de fer avec les majors, allait réaliser un tel film.
Contre toute attente, Star Wars a fini par devenir un pilier du cinéma moderne, influençant profondément la manière dont les films sont créés et commercialisés. Cela eut pour conséquence de précipiter le déclin de William Friedkin, qui déclara que Star Wars répondait aux besoins du public américain, tandis que son propre cinéma s’en éloignait.
En réalité, ces anecdotes de la vie de William Friedkin offrent un aperçu plus humain et singulier de la carrière d’un des réalisateurs les plus influents d’Hollywood. De ses débuts intrépides à sa rencontre avec Hitchcock, en passant par ses choix artistiques et les opportunités manquées, Friedkin incarnait une intégrité artistique, explorant à la fois les sommets et les cavités de sa carrière extraordinairement riche.
Ses mémoires forment une véritable source d’inspiration, rappelant que la vie d’un cinéaste est faite d’aventures, de choix cruciaux, mais aussi de complications et de bévues. Nous vous encourageons à plonger dans l’univers de ce réalisateur légendaire afin d’extraire de ses expériences la sagesse qui guidera les générations futures de créateurs.