Un régiment de retour d’Afghanistan fait escale pour trois jours dans un hôtel de Chypre alternant séances de relaxation et thérapie de groupe. Après avoir divisé la critique à Cannes, où il a été présenté à Un certain regard, le film des soeurs Coulin arrive en salles et veut confronter le public à la réalité militaire contemporaine.
Le grand débarquement
Le cinéma français se cherche. Longtemps accusé de sombrer dans “le vide politique” il tente de se rapprocher des traumatismes actuels. Après Maryland d’Alice Winocour ou le fabuleux Ni le ciel ni la terre de Clément Cogitore, Voir du pays prend à son tour comme sujet le stress (et la détresse) des militaires en Afghanistan. Pour la section d’Aurore et Marine, les deux protagonistes principales, la guerre est finie. Mais avant de rentrer auprès de leurs proches, les militaires doivent passer par un “sas de décompression” permettant pour les gradés de mesurer leur capacité de réinsertion. Là, ils doivent revivre leurs souvenirs traumatisants grâce à un procédé de réalité virtuelle et immersive dont ils sont les narrateurs, sorte d’expérience malsaine écho à Orange mécanique. Formidable idée scénaristique, ce système proche du jeu vidéo (Call of duty sera d’ailleurs cité) permet quelques moments de cinéma réussis, confrontant des soldats à une guerre en images de synthèses laides et irréelles. Un confessionnal en 3D qui met aussi au grand jour des secrets de régiments et ravive les tensions. Nous pensons au film trop méconnu Un crime dans la tête de John Frankenheimer où des soldats de retour d’Irak subissent l’ESPT (état de stress post traumatique) tout en cachant un scandale d’état. Mais ce n’est que l’une des (trop?) nombreuses pistes lancées par les soeurs Coulin. L’intérêt premier du film réside dans le contraste, dans cet hôtel cinq étoiles, entre des militaires ravagés et des touristes exaltés. Chaque activité touristique devenant matière à tensions. La virée en bateau, la boîte de nuit, la séquence de séduction sont autant de prétextes pour ces “nouveaux Rambo” d’importer la guerre sur un nouveau territoire.
Les nerfs à vifs
Mais les cinéastes balaient assez rapidement ce sujet pourtant prometteur pour s’attaquer à un autre champ de bataille, qui visiblement les intéresse davantage : les rouages de l’administration militaire et sa mentalité guerrière et misogyne. Les deux héroïnes, jouées par Ariane Labed et l’étonnante Soko, pleines de colère et de pudeur façon Adèle Haenel dans Les combattants, font ainsi face à des jeunes écervelés qui confondent courage et virilité. Hélas, sur ce terrain le scénario se fait plus glissant et fragile, de la dénonciation mal amenée du machisme ordinaire jusqu’à un twist final plus qu’attendu. Même si toute comparaison est vaine, le film aurait gagné d’avoir la retenue et la distance de son aîné Ni le ciel ni la terre. Ici tout est explicite et les sujets de réflexion sont surexposés au visage du spectateur, faisant davantage passer Voir du pays pour un travail documentaire. Le CV des deux réalisatrices n’y est sans doute pas pour rien. La caméra met ainsi en pleine lumière les faiblesses mentales et physiques des personnages, s’invitant avec eux sous la douche et filmant la peau meurtrie, une fois, deux fois, trois fois…là où le film sait être pudique avec les sentiments des personnages, il se perd parfois dans la facilité pour illustrer son propos. La volonté de proximité et d’attachement (que l’on sent sincère) avec les deux soldats en souffre, ainsi que l’empathie nécessaire à l’émotion.
Ces défauts, relevant surement de la trop forte volonté de bien faire et de toute dire, n’enlève pas le plaisir de voir un vrai film d’auteur(e)s qui développe une certaine forme de tension qui, hélas, ne se transforme pas tout à fait.