Au lendemain de la première guerre mondiale, Tom Sherbourne est un soldat brisé qui décide de rentrer dans son Australie natale, pour mieux s’isoler du reste du monde, en acceptant un poste de gardien d’un phare, Janus, qui se trouve à la croisée de deux océans. Entre temps, il y rencontrera sa future femme, Isabel, qui accepte de son propre chef cette pénible vie insulaire. Seulement, Isabel n’arrive pas à donner naissance à l’enfant qu’ils désirent tous deux et une barque, miraculeusement échouée au pied du phare, va bouleverser leur vie à tout jamais ; les entraînant par le même temps dans une succession de dilemmes moraux.
Un mélodrame minutieux enivré d’une mélancolie funèbre
Après nous avoir dressé l’anatomie d’un couple au paroxysme de l’autodestruction dans Blue Valentine, et nous avoir exposé le drame générationnel des pères et des fils aux allures de brûlot social dans A Place Beyond The Pines, Derek Cianfrance nous revient avec un véritable mélodrame qui épouse son style à la perfection.
A l’instar du couple formé par Ryan Gosling et Michelle Williams dans Blue Valentine, les Sherbourne constituent le ciment du film ainsi que son principal argument. Une nouvelle fois, Cianfrance nous rappelle ses talents de directeur artistique et parvient à sublimer le duo Alicia Vikander / Michael Fassbender dont le choix parait indiscutable tant ils parviennent à rendre compte de l’intensité des états émotionnels de leurs personnages sans tomber dans la surenchère du psychodrame. L’amour se veut ainsi tout aussi subtil que le caractère de ses personnages et les sentiments sont disséminés à travers les regards délicats et la sensibilité des mots cristallisés dans les papiers à lettres que le couple s’envoie lors de leurs pénibles séparations. Seulement chez Cianfrance, rien n’est simple et l’amour, même réciproque se veut ironique et cruel. Quand Tom Sherbourne semble renaitre à travers l’amour d’Isabel, cette dernière perd son éclat à travers l’infertilité qui suit la naissance de l’amour ; comme si la naissance de l’un devait impliquer la mort de l’autre. C’est dans l’observation constante de cette nuance grisonnante et contrariée dans laquelle les sentiments semblent indissociables de la mélancolie intérieure de chacun que le film démontre ainsi toute sa force et affirme ainsi sa propre originalité.
Paysages crépusculaires et confrontations des valeurs
L’autre atout du film se trouve dans le décor choisi. Présentés dans des plans panoramiques de toute beauté, les paysages marins et insulaires de cette Australie d’après-guerre, contribuent à conférer un cachet à ce mélo qui voit ainsi son classicisme atténué par la portée symbolique dans laquelle les décors reflètent l’intériorité des âmes … C’est ainsi que la mise en scène cherche à montrer une véritable fusion entre Tom et ce phare situé à la croisée des océans. Rongé par la culpabilité du survivant et par les atrocités de la guerre, c’est loin des hommes qu’il décide de vivre tout en cherchant sa rédemption dans une sorte d’ascèse qui le verra assumer ce rôle de « guide » au milieu des océans. Profondément mutique, Isabel dira pourtant à son mari : « Tu parles trop. ». Car Cianfrance dépasse le cadre de la rencontre entre deux âmes brisées et filme avec grâce le téléscopage de leurs valeurs et de leurs désirs. C’est ainsi que l’on verra que l’intransigeance morale de Tom le conduira à sa propre perte ainsi qu’à celle de son épouse esseulée par le chagrin.
Le drame des mères / mers
Dans Une vie entre deux océans, les regards sont vides et fixent le hors champ ; les individus sont dans l’attente d’un miracle de vie. C’est ainsi que dans un jeu de mots finement pensé, le titre fait écho au dédoublement constant qui le traversera à partir de sa seconde partie. La perte de l’enfant se retrouve au centre d’un télescopage cruel et mystique où les pleurs funèbres précèdent les pleurs de la naissance d’un bébé qui arrive sur une barque ; ce qui est sans nous rappeler le débarquement miraculeux de Moïse sur les rives égyptiennes. L’évocation des Rois Mages et cette citation bien pensée « Au plus profond de la nuit, je te recherche comme un trésor » parachèvent le drame maternel qui se noue et dont on taira la progression afin que le public puisse le vivre au rythme des émotions qui le guidera jusqu’à la fin.
Une vie entre deux océans est un film d’une sensibilité généreuse et porté par un casting bouleversant où l’on désirerait volontiers couvrir Fassbender de récompenses tant sa fragilité ébranlée nous captive de bout en bout. Rendez-vous le 05 octobre pour vous délester d’une ou deux larmes dans cette bataille d’émotions !