Présenté à la Mostra de Venise, Suburbicon est le sixième long métrage de George Clooney en tant que réalisateur. Sur le papier, le film se veut critique, acerbe, avec le brin de folie de ses auteurs originels : les frères Coen. Toutefois, n’est pas Coen qui le veut, et ce film en est la preuve irréfutable. Une oeuvre efficace certes, mais qui sonne faux et loin de l’originalité et du génie des frères de Minneapolis.
Une promesse alléchante…
Tout remonte à 1986, soit plus de trente ans avant la production du film. Les frères Coen écrivent un traitement puis le scénario de ce qui sera Suburbicon. Chose classique à Hollywood, le scénario reste dans les tiroirs et n’est débattu qu’en 1999 où George le lit puis en 2005 où il se charge de la réalisation (les Coen étant là pour travailler le scénario avec le nouveau venu). Au final, les auteurs originels sont relayés au rang de scénaristes et producteurs et laissent le sieur George à la réalisation (cette situation a eu lieu six fois dans leur carrière et dernièrement sur le Pont des Espions de Steven Spielberg). L’histoire est palpitante : une critique de la société américaine actuelle au travers de la vie d’une banlieue à la fin des années 1950. Le casting est de haute voltige avec un Matt Damon dans un rôle pas si nouveau pour lui, une toujours charmante et envoûtante Julianne Moore incarnant deux soeurs jumelles et un Oscar Isaac juste et efficace. C’est même à se demander si le planning de John Goodman n’explique pas son absence au générique. En gros, tous les paramètres sont réunis pour une bonne comédie acide et noire à la sauce Coen.
L’histoire va plus loin dans la critique puisqu’elle prend appui sur des faits avérés à la fin des années 1950. A Levittown en 1957, le couple Daisy et William Meyers aménage dans une banlieue (à ne pas confondre avec notre vision française, les « suburbs » aux Etats-Unis sont des banlieues chics). Des vagues de protestations se déclenchent dans le quartier allant jusqu’à construire un mur autour de leur maison. La raison ? Le couple est noir. La stupidité de cette action n’est pas laissée silencieuse puisque cette intrigue secondaire agit comme porte parole du message de Suburbicon.
Le fond plus fort que la forme
On connaît l’attachement de Clooney pour les films engagés. Jonglant admirablement avec des registres plus légers quand il est acteur, George le réalisateur préfère traiter des sujets plus graves (la Seconde Guerre Mondiale, la politique américaine, la guerre froide). L’homme est également connu pour son engagement dans des causes humanitaires depuis plusieurs années. Sachant tout cela, avec Suburbicon on attend bien évidemment un pamphlet subtilement déguisé sur une société américaine toujours autant idéalisée par le monde alors que la ségrégation raciale est toujours d’actualité et la tranquillité bourgeoise est souvent illusoire. De plus, c’est la première fois que Clooney est uniquement derrière la caméra. Sauf que la mayonnaise ne prend pas vraiment. Le produit est correct, fonctionne mais reste malheureusement trop classique en terme de mise en scène. On voit très bien que Clooney tente de faire du Coen, il en a la matière brute. Cependant, l’ensemble ne surprendra personne. Et ce n’est pas faute d’efforts et remises en question (Josh Brolin, a été coupé au montage) habituels chez un réalisateur voire tout simplement chez un artiste qui crée. L’image est colorée, parfois contrastée et belle mais ne vient pas transcender le public.
Restent deux points très positifs du film : la direction artistique et le casting. Pour revenir sur le premier, il faut souligner le travail de James D. Bissell (à la décoration) et Jenny Eagan (aux costumes) dont la fusion nous transporte les yeux fermés soixante ans en arrière. Rien de très nouveau, l’image véhiculée au cinéma et dans les magazines est intacte, mais c’est un vrai plaisir pour les mirettes. La narration se voit renforcée et plus immersive avec cette direction artistique cohérente. Julianne Moore est tout simplement divine dans son rôle (qui lui a valu le tout-nouveau prix Franca Sozzani à la Mostra). Les décors nous font penser à ces grands films Hollywoodiens de l’âge d’or où les studios de ciné étaient de vrais chefs-d’oeuvre de reconstitution historique.
Clooney a su s’entourer d’amis et surtout de comédiens talentueux qui portent divinement cette histoire. Vous l’aurez compris, Julianne Moore nous a convaincu ! L’arrivée tardive d’Oscar Isaac est un réel enchantement et son interprétation et son personnage apportent un nouveau souffle à une histoire qui tournait en rond. Son rôle, pressenti pour Clooney à la base, s’inscrit comme un pivot narratif qui nous allège de la presque lourdeur du personnage de Matt Damon. Ce dernier est très bon, indéniablement (et son physique pour le rôle conforte grandement sa crédibilité). Cependant, on a déjà vu Damon dans ce genre de rôles. On ne peut s’empêcher de penser à Mark Whitacre, la taupe de The Informant (Steven Soderbergh, 2009). Le quadra victime un peu gras du bide qui tente de changer radicalement sa vie monotone. Et les obstacles qu’il doit affronter sont presque tous téléphonés. On apprécie, mais on a déjà vu ça…
Suburbicon est du pur divertissement « indépendant »- indépendant car message crédible et audible dans le film. Visuellement riche et avec un casting bankable et efficace, le sixième long métrage du réalisateur George Clooney n’est malheureusement pas à marquer d’une pierre blanche dans sa riche carrière. Sur le papier, Suburbicon a tout du film des frères Coen. L’acidité et leur « sauce magique » en moins ! Clooney a su garder un message fort et identifiable mais n’arrive pas à faire décoller cette promesse. Au final, nous avons un film correct, classique mais loin du potentiel de notre bon vieux George. On encourage à aller le voir pour l’histoire des Meyers mais on ne sortira pas de la salle ébahi comme on aime l’être.