Critique « No dormirás » de Gustavo Hernández : plongeon dans les limbes de l’insomnie

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Après avoir regardé No dormirás, vous aurez peur de ne pas vous endormir : années 80, hôpital psychiatrique abandonné, hallucinations et folie.

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Un cadre fascinant

Après La casa muda (2011, film d’horreur filmé en plan séquence qui a connu un grand succès à Cannes, à la Quinzaine des Réalisateurs), Gustavo Hernández revient cette année avec un thriller psychologique dont le thème principal semblerait être les limites de l’art et les sacrifices qu’un artiste est près à faire pour atteindre la perfection.

En 1984, la metteure en scène Alma (Belén Rueda) prive ses comédiens de sommeil pour les pousser à être dans un état secondaire où hallucinations et réalité sont confondus. « Sans folie il n’y a pas de création, » dit-elle.

Après 108 heures sans sommeil, on commence à percevoir la réalité différemment. Dans un décor d’hôpital psychiatrique abandonné, quatre comédiens vont essayer de donner le meilleur d’eux-mêmes au nom de l’art. Dans le lot, Bianca (Eva de Dominici), en compétition pour le rôle principal, va vite être au centre des secrets du présent et du passé. 

Notons que le jeu des acteurs est excellent: jouer un.e comédien.ne peut s’avérer parfois une tâche difficile, mais les acteur.trices y font face à merveille. 

Il faut avouer que l’équipe technique et artistique a effectué un travail particulièrement réussi. En alliant les forces d’Argentine, d’Uruguay et d’Espagne, l’ambiance créée avec l’image seule est si hypnotisante et minutieuse qu’on ne veut pas cligner des yeux de peur de louper des détails. La photographie de Bill Nieto et direction artistique de Marcela Bazzano nourri l’atmosphère angoissante avec des tons bleus étranges. Le visuel rattrape les lacunes, ou plutôt les surplus, de la narration. On s’explique.

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Une intrigue irrégulière

Il faut lire No dormirás sur plusieurs niveaux. Evidemment, le facteur maison psychiatrique abandonnée est là pour nous faire frissonner dès le début. Mais l’autre élément, le processus créatif sévère instauré par Alma est un autre. Les deux sont combinés, les hallucinations (ou pas) provoquées par le manque de sommeil sont fortement influencées par cet hôpital à l’histoire obscure. Les visions terrifiantes de Bianca peuvent être dues aux manifestations surnaturelles d’anciens patients de l’hôpital, du manque de sommeil, d’une manipulation psychologique d’Alma ou même de la maladie mentale de son père qu’elle craint avoir héritée. Le mystère plane.

Sauf que, au lieu de nourrir l’intrigue d’éléments déjà présents et suffisants, d’autres éléments sont constamment rajoutés (on peut citer la maladie du père de Bianca). Ce ne sont pas des pièces de puzzle indispensables, le spectateur est donc perdu, frustré. Un autre accent est porté sur la psychologie des personnages – une analyse profonde, exhaustive, mais très souvent irrégulière. Même parmi tous ces détails, quelque chose manque.

L’élément le plus intéressant peut-être est la relation entre la metteure en scène et ses comédiens et entre l’artiste et son art. Jusqu’où un acteur ira-t-il pour atteindre la perfection ? A quels sacrifices sera-t-il prêt ? Mais là aussi, la question reste en suspens, à moitié éclaircie. Elle est noyée par la dimension surnaturelle de l’hôpital psychiatrique et de l’autre monde. Dommage qu’une question si originale dans un thriller psychologique soit étouffée par des banalités d’un film d’horreur. 

Malgré les irrégularités de la narration et le manque de réponses aux questions posées, le film ne s’oublie pas si vite. La dernière scène surtout est digne d’un grand dénouement théâtral. La réalité et le surnaturel, le passé et le présent, les rêves, les hallucinations, la folie, la vérité, le mensonge, le quatrième mur et son manque – tout se mélange d’une façon spectaculaire. Il fallait s’endormir pour se réveiller. 

Bande annonce No dormirás (en salles le 16 mai) :