Sorti le 18 décembre dernier sur Netflix, Le Blues de Ma Rainey signe la dernière apparition de l’acteur Chadwick Boseman, décédé en août dernier à l’âge de 43 ans. Réalisé par George C. Wolfe, c’est donc la dernière prestation posthume de l’acteur (à part une apparition vocale dans la future série Marvel What if … ?). Et même si on regrette évidemment sa disparition, Le Blues de Ma Rainey est un superbe chant du cygne pour le comédien.
Le Blues de Ma Rainey : une adaptation intelligente
Adapté de la pièce de théâtre d’August Wilson, Ma Rainey’s Black Bottom, lauréat du prix Pulitzer en 1984, le film de George C. Wolfe est une touchante réussite. Le long-métrage se place dans le Chicago des années 1920. L’histoire se concentre sur une cession d’enregistrement d’un groupe de blues, dirigé par la légendaire Ma Rainey, considérée comme la mère du blues. Superbement incarnée par Viola Davis, la star, capricieuse, fait attendre ses musiciens, et entretient une relation compliquée avec ses producteurs, et le trompettiste de son groupe : Levee. Ce dernier est incarné par la verve et le talent du regretté Chadwick Boseman. Ce personnage a l’ambition de partir en solitaire et de monter son propre groupe. En parallèle, il est attiré par la copine de Ma, ce qui a de quoi créer de sacrées tensions.
Le décor est posé. Et George C. Wolfe propose un huit clos parfaitement maîtrisé. Le cinéaste semble avoir compris les tenants et les aboutissements de la pièce. Il les transmet à l’écran avec beaucoup d’assiduité. Il n’hésite pas à proposer une mise en scène très théâtrale, voire presque caricaturale. Un hommage brillant et intelligent au matériau de base qui donne une saveur toute particulière au film. L’ambiance est attractive, et donne matière à entrer dans les tribulations et les dialogues interminables de ses protagonistes.
Un casting en or
Le film doit évidemment beaucoup à ses deux interprètes principaux. Chadwick Boseman offre une prestation habitée. Visiblement creusé par la maladie, il intègre parfaitement son personnage et transmet une véritable volonté de bien faire. Certains parlent même d’un Oscar posthume pour le comédien. Mais c’est Viola Davis qui crève véritablement l’écran. Elle campe une Ma imposante, libre et terriblement convaincante. Un personnage complexe, qui permet d’aborder les thématiques de son époque avec beaucoup de subtilité. Que ce soit l’homosexualité, la place de la femme dans la société, et la condition des noirs, tout raisonne parfaitement bien dans ce personnage brillamment écrit.
Parce que au delà de la forme très séduisante sous forme de huit clos, Le Blues de Ma Rainey aborde des sujets sociétaux importants. Le film analyse à la fois la situation des noirs dans la société américaine de l’époque ; mais également la position des artistes dans le show business. Que ce soit à travers la création artistique ou la relation pécuniaire avec les producteurs. George C. Wolfe retranscrit parfaitement le statut des artistes dans la structure sociale, par rapport aux publics et par rapport aux financements. Et c’est un sujet qui raisonne parfaitement avec notre monde moderne, parce que les choses n’ont pas changé tant que ça. Et puis le dernier plan est absolument édifiant, et rappelle que la célébrité peut se créer de toute pièce, et peut être aussi un instrument politique, indépendamment de tout talent.
Le Blues de Ma Rainey est un film intelligent, bien écrit et bien rythmé. Mise en scène théâtrale inattendue, dialogues efficaces, personnages impactant. Les sujets sociaux, artistiques et politiques, sont abordés avec finesse, à travers un semi huit clos passionnant.