Après le succès de Ma Loute et en attendant la saison 2 de P’tit Quinquin, Bruno Dumont nous dévoile son nouveau film, au départ conçu pour être un téléfilm, puis qui finira par avoir 2 versions différentes : une pour la télé (celle visionnée ici) et une autre pour le cinéma. Présenté au Festival de Cannes, il est désormais temps de livrer la critique de ce nouveau film : Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc.
Il fallait oser. Déjà revisiter l’histoire de Jeanne d’Arc, en ne prenant que les prémices de son voyage, de la découverte de son destin, dont elle seule est persuadée, est déjà un choix osé. Ensuite en faire une comédie musicale est un choix plutôt étonnant. Et, pour finir, le fait que la musique se rapproche du métal et du rap à certains moments font du film l’un des plus originaux et étranges du cinéma français actuel. Le pari est largement réussi et Bruno Dumont réussit à réconcilier le cinéma français avec la comédie musicale.
Bruno Dumont, ici après un excellent Ma Loute contenant un certain nombre de stars, renoue avec ses habitudes et choisit pour son casting uniquement des acteurs non professionnels. Un choix rare, mais une habitude pour Bruno Dumont, véritable spécialiste du recrutement de gueules et de talents locaux (on se souvient tous du génial Bernard Pruvost dans P’tit Quinquin), qui montre encore une fois avec Jeannette sa science du casting.
Au niveau de son esthétique, Dumont fait ici des choix audacieux. Au lieu de nous montrer une terre de France dévastée par la guerre, il choisit de nous montrer une nature paisible et vivante, peu concernée par les affrontements. Une guerre, qui reste une menace sous-jacente et grondante. Même si éloignés des combats, les personnages en reçoivent des échos (une partie du film se passe pendant le siège d’Orléans) et prie pour que la guerre prenne bientôt fin. Des personnages parfois excentriques et marginaux, comme les bonnes sœurs siamoises.
Au contraire donc d’un univers détruit, on a un monde paisible et très vivant, peu perturbé par la brutalité et la violence de la guerre. Avec une teinte bleutée mais restant chaleureuse (qui correspond à la couleur des costumes de Jeanette), l’univers dépeint par Dumont est celui d’un monde paysan, a l’écart des affaires du Royaume. Jeanette est ici une jeune fille en proie aux doutes et partagée entre l’impatience de vivre son destin et la tristesse de quitter sa terre natale. En attendant, tel un Luke Skywalker du Moyen-âge, elle s’ennuie à devoir garder ses moutons. Le seul moyen pour elle de passer le temps est de chanter sa rage et de marteler la terre d’impatience en dansant. Danse qui donne l’impression que les acteurs sont possédés et véhicule une énergie fascinante. Une énergie qui compense les longs monologues qui peuvent paraître légèrement verbeux.
Heureusement, pour rendre ces longs monologues attirants, Dumont varie les genres musicaux. Ainsi les musiques qu’utilise le cinéaste pour définir ses personnages sont des musiques proches de la musique populaire et très éloignées des musiques savantes utilisées généralement dans les films sur les fresques historiques. Un choix cohérent connaissant la filmographie du réalisateur qui a toujours pris soin de réaliser des films sur les classes populaires.
Enfin, un petit mot sur Jeanne Voisin, l’actrice jouant Jeannette adolescente. Elle dégage une grâce et une prestance assurées, malgré la cacophonie parfois ambiante, que ce soit au niveau de la musique et des chants.
Ainsi, Bruno Dumont livre une véritable épopée musicale sur une figure forte de l’histoire de France. En montrant une réalité quasi-désertique de toute vie humaine, le cinéaste permet de mieux recentrer son histoire sur le dilemme auquel fait face une jeune fille. Un fascinant voyage mental et poétique sur l’acceptation du destin.