Lorsqu’on à découvert Heartbeast, le premier long-métrage de la réalisatrice finlandaise Aino Suni au Festival du film des Champs-Élysées, on n’a pas pu s’empêcher de lever un sourcil en entendant les retours positifs de certains spectateurs ayant déclaré avoir pris énormément de plaisir devant le film. A nos yeux, il s’agit avant tout d’une expérience presque douloureuse devant ce perturbant et hypnotisant objet cinématographique.
Heartbeast c’est l’histoire d’une jeune rappeuse filandaise, Elina, au look très androgyne (Elsi Sloan) qui suit sa mère qui vient vivre dans le sud de la France avec son nouveau compagnon. Elle rencontre la fille de ce dernier, Sofia, danseuse classique (Carmen Kassovitz vu dans Stalk) et se découvre une fascination pour la jeune femme…
C’est un pitch qui aurait pu parfaitement correspondre à celui d’un des innombrables teen-drama que l’on trouve sur Netflix. Pourtant, c’est bien une véritable tragédie presque Shakespearienne à laquelle on assiste. Celle d’un amour toxique, brutal et destructeur. Un amour obsessionnel, possessif, qui envahit le personnage principal et s’avère être des plus violents.
Elina veut être celle qui protégera Sofia, contre tout ce qui l’entoure. Quitte à s’avérer à être dangereuse. Entre tentative de manipulation, de revenge porn, de fascination morbide. Pourtant, nul jugement envers le personnage. Aino Suni réussit à développer une forme d’empathie envers cette jeune rappeuse, qui ne maitrise pas ce qu’elle arrive. Ces premiers sentiments sont d’une violence inouïe, presque monstrueux. Pourtant, ils sont autant romantiques que cauchemardesques.
Nous l’avons dis plus tôt : Elina est une rappeuse. Deux de ses chansons sont présentes maintes fois dans Heartbeast. La première est du rap plutôt agressif, le son s’avère être assez violent, très proche d’une idée old school du rap. Pourtant, ce qui lui permet de se faire remarquer est un bien une chanson d’amour. Cette chanson est tel un poème d’adolescent. Un poème romantique, avec une instru très douce mais qui ne cache pas la brutalité des paroles. Le rap ici devient l’héritage des chansons courtoises, ces chansons d’amours du moyen-âge. Une déclaration d’amour bouleversante sur laquelle nous revenons, mélange bouleversant de pur romantisme et de violence, de possessivité absolue.
Il est donc logique que le style visuel de Aino Suni évoque ceux des clips de rap. Avec une grande dominance de néons, de rouge, de bleu, de vert. La réalisatrice ne fait cependant pas un clip mais bien du cinéma, l’art de maitriser le temps. Elle le dilate avec de longs plans séquence, filmés en grand angle, immersifs, ne lâchant pas d’une semelle ces deux personnages, Elina et Sofia. Petit à petit, nous ne verrons plus qu’elles dans le film, les autres personnages se retrouvent être exclus, tout comme le désir de possessivité absolue d’Elina. Malgré toute la toxicité de leurs relations, les sentiments des deux personnages grandissent. Elles ont toutes les deux besoins de l’une et de l’autre afin de pouvoir faire leur art (la musique et la dance).
À ce titre, deux séquences clefs sont liées à la fameuse chanson d’Elina. La première, se passant dans une soirée. Sofia diffuse le morceau, sans avoir encore compris que ce son parle d’elle. Le comprenant, la danseuse fuit, rejetant au même passage les sentiments de la rappeuse. Cette scène se répète lors de la séquence finale, dans une scène de concert. Contrairement à la soirée, filmée en plan large, la caméra se concentre uniquement sur les deux protagonistes.
À la fin, il n’y a plus de mots, mais uniquement une jeune femme qui comprend, bouleversée de ce qui lui est arrivée pendant tout le film. Qui réalise également enfin les sentiments qu’elle peut ressentir. Comme si elle était aussi tombée au piège de ce romantisme destructeur qui fait tant de victimes…