Critique « Grave » de Julia Ducournau: Du sang neuf dans le cinéma d’horreur

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Dans les année 1990, le cinéma d’horreur, qui connaissait une fulgurante croissance de popularité, à peu à peu commencé à s’enfermer dans un cercle vicieux dénué d’innovation et d’avantage tourné vers le passé. Depuis, chaque année, seulement une poignée de films d’épouvante échappent à cette banalisation du genre. It Follows en 2014, The Visit et Grenn Room en 2015 sont des exemples frappant. Cette année c’est au tour de Grave de s’inscrire dans cette lignée qui aura fait avancer le genre de l’horreur dans sa traversé du désert.

Grave raconte l’histoire de Justine, une jeune étudiante issue d’une famille vétérinaire végétarienne. À 16 ans, elle est une adolescente surdouée sur le point d’intégrer l’école vétérinaire de sa sœur aînée. Mais, à peine installée, le bizutage commence, et elle se retrouve obligée à manger de la viande crue. Un premier acte qui révélera sa véritable nature.  

Le cannibalisme, un sujet délicat intelligemment exploité :

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Le réalisme, le sujet et la manière de l’aborder font de Grave un excellent film d’horreur, même si sa réalisatrice le considère comme une oeuvre protéiforme mêlant comédie, drame et body horror. Le body horror représentera tout de même l’angle principal de l’oeuvre au regard de ses liens avec le thème de la métamorphose. C’est d’une évolution dont-il est question dans Grave: la métamorphose physique et psychologique de Justine. C’est là que réside la subtilité de Julia Ducournau, c’est en partant d’une jeune fille sage et vierge (dans tous les sens du terme) et en montrant les différentes étapes de sa corruption, que la réalisatrice fait naître la réflexion. Grave pousse son spectateur à se questionner sur le cannibalisme: Qu’est-ce qu’un cannibale ? Comment peut-on en devenir un ? Julia Ducournau dérange en montrant que ce « problème » a un aspect physique innocent via le personnage principal. Le cannibalisme est une pratique considérée comme inhumaine, mais pratiquée par des Hommes, c’est ça qui le rend aussi dérangeant et paradoxal.

Il ne faut tout de même pas oublier les quelques moments d’humour qui ponctuent le film mais qui s’estomperont au fur et à mesure que la thématique cannibale prendra de l’importance. Des instants d’humour surtout apportés par la soeur de Justine, Alexia, interprétée par Ella Rumpf et son colocataire, Adrien, joué par Rabah Naït Oufella, réunissant à eux deux tous les rôles secondaires. Le drame, lui, sera omniprésent au fur et à mesure que Justine combattra l’addiction qui la dévore (littéralement parfois). On saluera un très bon casting qui n’a aucun mal à s’harmoniser à l’ambiance et au caractère du film.

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La mise en scène est également excellente, elle met en avant Garance Marillier, l’interprète de Justine. Cette dernière illustre, à travers un jeu viscéral parfaitement approprié, le mal qui la ronge intérieurement. Un jeu d’acteur qui sera poussé jusqu’à l’extrême lorsqu’elle devra lutter contre ses propres pulsions. Une lutte qui empêchera d’ailleurs le spectateur de la voir comme un monstre, ne faisant que le perturber un peu plus. L’actrice crève l’écran et est omniprésente, souvent filmée dans des plans serrés et via plusieurs regards caméra lorsqu’elle est seule confrontée à ses pensés. Grave enferme donc, pendant 1 heure et 39 minutes, son spectateur avec un personnage de plus en plus attiré par la viande, fixant ce dernier, sidéré par l’apport artistique de la jeune actrice. 

Julia Ducournau, une réalisatrice polyvalente révélée par son cinéma de genre :

Grave se démarque par une diversité cinématographique qui en fait un cocktail de cinéma international issu des inspirations et du parcours de sa scénariste et réalisatrice Julia Ducournau. On retrouve les thématiques de la métamorphose et de la sexualité liées à Lynch et Cronenberg. L’importance des réactions et expressions des acteurs, ainsi que la spontanéité d’un scénario qui va droit à l’essentiel rappel les procédés du cinéma asiatique. Le réalisme des personnages et leur contexte social apportent la touche française à ce film. L’attention portée aux dialogues et à leur message subliminal rappellent un cinéma américain. Une telle mixité cinématographique permet de rendre un sujet comme le cannibalisme à la fois abordable et intéressant.

Julia Ducournau utilise intelligemment les clichés du cinéma populaire, comme le sexe par exemple, qu’elle utilise comme thermomètre de la proximité de Justine avec le cannibalisme. En ce sens, la scène de sexe, outre le fait qu’elle illustre l’évolution vers des choix d’adultes, libère son animalité. L’animalité qui est très importante dans cette oeuvre où le retour à l’état primaire pousse le personnage principal au cannibalisme. Le sexe n’est donc pas ici juste une frivolité comme dans la majeur partie des films actuels. 

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Et bien sur, toute cette association entre un scénario mené à la perfection, un premier rôle formidablement bien tenu et une réalisation minutieuse, ne peut se solder que par des images aussi épurées que belles. L’esthétisme des scènes horrifiques contrebalance avec leurs brutalités, ce qui les rends plus abordables et même belles à voir lorsqu’on se détache de ce qu’elles représentent.. L’ambiance froide apportée par la couleur terne qui règne tout le long du film renforce et maintient le spectateur dans un état d’immersion. Dans les scènes de Grave où Justine se rapproche de sa nature animale, la couleur devient reine et le symbolisme roi. Des scènes où le rouge, couleur du désir, de l’interdiction et du danger, est très présent se matérialisant souvent sous forme de sang ou de lumière, sur Garance Marillier. Une esthétique qui renforce l’image contradictoire de cannibale innocente du personnage, même à travers le symbolisme. Julia Ducournau disperse plusieurs indices visuels en références au changement que subit son héroïne (exemple: le panneau en arrière plan dans la salle d’attente de l’hôpital), notamment un qui ressort et annonce le twist final. 

En somme, Julia Ducournau nous offre avec son film une oeuvre mémorable dans laquelle elle traite avec subtilité et délicatesse un sujet aussi sensible que le cannibalisme. Accompagné de son excellent scénario et de la fidèle interprétation de Garance Marillier, son actrice fétiche, qui prouve encore son talent, Grave sort du lot. Ducournau est une réalisatrice qui a un bel avenir dans le cinéma internationale. Elle est fan de film d’horreur ce qui nous permet d’espérer d’autres œuvres novatrices dans le genre horrifique, avant de se lancer vers d’autres horizons. 

https://youtu.be/TElJs93LLs8